Le monde du travail est désormais obsédé par ce que l’on appelle la RSE, la Responsabilité Sociétale des Entreprises. Voici la définition de la Communauté européenne: il s’agit de «l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales». Cela se traduit par des certificats, des labels, des monitorings et des tonnes de formations pour montrer à quel point on est féministe, attentif à la diversité, respectueux des minorités, orienté développement durable et patati et patata.

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Ce qui devrait aller de soi en somme. Mais là, on se doit de l’afficher. Evidemment tout ça coûte cher, alors on ne va pas pouvoir augmenter les salaires, vous comprenez. C’est rigolo, le fait de bien rémunérer ses employés, de ne pas engager des stagiaires qui bossent à l’œil, de ne pas jeter les travailleurs seniors ou de proposer un plan social correct en cas de licenciement ne semble pas faire partie de la fameuse Responsabilité Sociétale.

Dans ce dossier, il y a la mobilité. Evidemment, le déplacement le moins cher et le plus écologique consiste pour l’employé à aller de son lit à son ordi, en pyjama. Chez moi, il y a exactement 6 mètres. Mais le paradoxe est que de nombreuses entreprises qui ont supprimé la vaisselle jetable et offert aux collaborateurs une gourde (made in China la plupart du temps, ben oui, sans injonction contradictoire, c’est moins marrant) vous demandent d’être présent tous les matins à 8h30. Parce que le télétravail, on a testé après le covid, c’était sympa, mais c’est bien connu, les gens ne foutent rien, surtout le vendredi, alors on va faire revenir tout ce joli monde au bureau, n’est-ce pas?

Et puis, objectivement, ce n’est pas possible dans tous les métiers. Donc, les gens continuent cette transhumance biquotidienne de 8h et de 17h30, qui ressemble à celle des gnous qui traversent le parc du Serengeti en Tanzanie entre janvier et mars, tous les uns derrière les autres sans réfléchir. Mais nous, contrairement aux gnous, nous ne pouvons pas tout faire à pied, alors comment?

En voiture. Mais c’est mal. Ça pollue, ça bouchonne, on ne peut pas bosser, et il faut se parquer… Anecdote: dans une entreprise soucieuse de RSE (une banque, hihi), une nouvelle responsable a proposé de supprimer le parking pour obliger les employés à renoncer à la voiture. Le parterre de gestionnaires de fortune en costard à 5000 ou en tailleur-jupe crayon, qui ne se visualisait pas exactement venant bosser à vélo-cargo, a rétorqué qu’il serait difficile d’expliquer aux clients qui viennent poser quelques millions qu’ils doivent prendre le tram. Le parking est resté.

Le train c’est bien, mais ça coûte un rein, c’est blindé, si l’on veut vraiment travailler, il faut être en première, ce qui signifie sacrifier son deuxième rein. Un avantage des transports publics en général: c’est convivial, on entend les conversations les plus intimes des usagers qui hurlent au téléphone. J’ai un copain français (les Suisses n’osent pas faire ça) qui demande aux gens de mettre le haut-parleur pour qu’il puisse vraiment comprendre les tenants et aboutissants de la discussion, et c’est vrai que quand il s’agit du plan cul de la veille, ça a son importance.

Le bus/tram/métro. C’est pareil que le train, mais debout. Car aux heures de pointe, on a beau être enceinte de 8 mois trois quarts, ou avoir un million d’années, on n’a pas de place assise. Honnêtement, cumuler bus et train, par exemple, c’est super RSE mais super crevant.

Le deux-roues. Alors oui, mais pas avec moteur. Moi je suis à scooter, je rase les murs. Enfin non, parce que si je le laisse contre un mur, je me fais amender direct. Aujourd’hui, pour être vraiment RSE-compatible, il faut être à vélo électrique. C’est d’ailleurs le plus sûr et parfois le seul moyen d’avoir une prime. Car pour obtenir le fameux label, certaines entreprises vous en paient un bout (ouais, un demi-pneu en réalité, mais c’est toujours ça de pris).

Moi, je dis que le meilleur truc pour améliorer la RSE, ce serait de bosser sur la téléportation. On a le CERN et l’EPFL, merde, les meilleurs ingénieurs du monde peuvent bien nous sortir ça du chapeau non? On se dématérialise à la maison et on se retrouve imprimés en 3D au boulot, frais comme des roses, ni mouillés, ni stressés, ni ruinés. Vous imaginez? Plus de pétrole, mais des idées. Vous avez aimé le télétravail, vous adorerez la téléportation!

Carré blanc
Martina Chyba