Jean-Frédéric Dufour a pris les commandes de Rolex le 15 juin 2015. Dix ans plus tard, la nature du fabricant de montres genevois n'a pas changé, la marque à la couronne est toujours ce qu'elle était lorsqu'il a pris ses fonctions: le leader du secteur, qui fait tout pour atteindre l'excellence, mais dans de nouvelles sphères grâce à lui.
Ceux qui le connaissent le décrivent comme un homme d'action. Et c'est ce qu'il a fait dès son arrivée chez Rolex: sans perdre de temps, il a augmenté les prix, ce qui a fait sensation dans le secteur. Rétrospectivement, cette décision s'est avérée judicieuse, car elle a renforcé l'exclusivité de la marque. Sous son égide, la production est passée de 800 000 à 1,2 million d'unités par an, sans le moindre compromis en matière de qualité et de précision et sans suivre la tendance à des montres de plus en plus compliquées.
Inébranlable
Rolex, comme on a pu le voir même pendant les années difficiles comme 2024, ne connaît pas la crise. Alors que les ventes d'autres acteurs honorables ont parfois chuté de plus de 10%, la marque à la couronne a augmenté de 5%, avec un volume légèrement inférieur. L'astuce: des modèles plus chers. Le fait qu'un peu moins de garde-temps aient été vendus en 2024 et que les ventes devraient à nouveau être difficiles en 2025 ne change rien à la trajectoire de croissance ambitieuse que Jean-Frédéric Dufour s'est fixée.
La demande continue de dépasser de loin l'offre. À Bulle (FR), une nouvelle usine d'une superficie totale de 15 terrains de football sera construite d'ici 2029. Elle coûtera plus d'un milliard de francs et devrait créer 2000 emplois. Selon Dan Crivello, qui consigne depuis plus de quinze ans sur son blog Coron.et le moindre mouvement de Rolex, la production va toutefois déjà augmenter à partir de 2025: des lignes de production sont en cours d'installation sur une friche industrielle de Romont, rénovée pour 30 millions de francs, et seront mises en service au cours du second semestre.
Jean-Frédéric Dufour s'attelait à la tâche avec autant de minutie qu'il manipulait lui-même les garde-temps. Pourtant, les fans de Rolex attribuaient rapidement à son travail une touche de «fraîcheur». Depuis, les nouveautés présentées chaque année au salon de l'horlogerie au printemps comprennent toujours des modèles Rolex auxquels personne ne s'attendait. La Puzzle Day-Date avec des emojis à la place de la date, une Daytona avec un fond en verre ou encore la nouvelle collection de montres habillées Perpetual 1908. Pour ces modèles relativement audacieux, Jean-Frédéric Dufour a pris son temps, mais il met maintenant la pression: «Il a considérablement accéléré le rythme du développement des produits, déclare Oliver Müller, un expert du secteur, les lancements sont plus audacieux et plus fréquents.»
Jean-Frédéric Dufour a fait passer l'image de Rolex d'enviable à inaccessible. Selon les estimations de Morgan Stanley et LuxeConsult, Rolex détient 32,1% de part de marché à l’échelle mondiale et règne sur le segment central de l’horlogerie, celui des montres vendues entre 7 000 et 15 000 francs. Cette année encore, on devrait enregistrer une hausse, mais avec des volumes plus faibles. Pour commencer, le CEO a de nouveau augmenté ses prix. Reste à voir comment la demande va réagir. Il y a en tout cas des signes indiquant que l'élasticité des prix a atteint ses limites: pour certains modèles Rolex comme la Sky-Dweller en or et certaines montres pour femmes, il n'y a plus de liste d'attente.
C'est au niveau du chiffre d'affaires que Jean-Frédéric Dufour a fait le plus grand bond en avant. Il a plus que doublé son chiffre d'affaires au cours de la dernière décennie, qui est passé à 10,6 milliards de francs. Comme tous les chiffres, celui-ci est une estimation tirée du rapport Morgan Stanley. Officiellement, Rolex, dont les actions appartiennent toutes à la Fondation Hans Wilsdorf, ne communique rien: le silence est de mise dans cette entreprise. Rien, ni les succès ni les échecs, n'est activement communiqué à l'extérieur. Il n'y a pas d'interviews, le mantra est le suivant: «L'excellence des produits doit parler d'elle-même.»
C'est ce que fait «Jean-Fred». C'est ainsi que l'appellent ceux qui ont travaillé avec lui au cours de ses 30 années dans l'industrie horlogère. Avant Rolex, où il est surnommé «JFD», il a travaillé chez Chopard, Ulysse Nardin, Blancpain, puis de nouveau chez Chopard et enfin en tant que CEO de Zenith, qu'il a redynamisé en se concentrant sur l'horlogerie plutôt que sur le glamour de la jet-set.
Avec son CV et son arbre généalogique profondément enraciné dans la société genevoise, il était en quelque sorte évident qu'il ferait partie de la direction de Rolex en 2015. Un seul point suscitait un léger doute: ce touche-à-tout pourrait-il supporter le silence qui est de mise dans l'entreprise? En effet, Jean-Frédéric Dufour s'était fait remarquer au cours de sa carrière en tant que manager aimant être sous les feux de la rampe. Mais il sait se faire discret: depuis le premier jour où il est devenu CEO de Rolex, il est aussi hermétique que la fameuse Oyster de la maison et joue le rôle de l'homme de l'ombre.
Il n'a même pas fait de commentaires sur le plus grand coup qu'il ait réussi jusqu'ici, et Rolex n'a publié qu'un communiqué laconique à ce sujet: l'acquisition il y a un an et demi de Bucherer, le plus important revendeur Rolex et l'un des plus grands détaillants de montres et de bijoux au monde. Elle a coûté environ quatre milliards de francs suisses, a été finalisée à l'été 2024 et marque un tournant dans la stratégie de distribution de Rolex. Jusque-là, le leader du secteur n'avait pas de présence commerciale propre, à l'exception d'une boutique à Genève, mais vendait ses montres par l'intermédiaire de détaillants agréés, principalement Bucherer.
Les conséquences à long terme de l'accord pour les nombreux partenaires restent à voir, mais elles pourraient être importantes: Rolex a en tout cas ouvert sa première boutique à Shanghai l'automne dernier, sous l'enseigne Bucherer, qui n'était pas encore présente en Chine. Si Rolex est omniprésent dans ce pays, c'est grâce à des partenaires de longue date. Les observateurs estiment qu'il ne faudra pas plus de dix ans à Rolex pour conquérir le marché par ses propres moyens.
Une telle situation pourrait également se produire dans d'autres régions. Jean-Frédéric Dufour a apparemment déjà retiré la concession à certains petits détaillants, ce qui signifie en règle générale qu'ils perdent environ 50% de leur chiffre d'affaires. «Certains petits détaillants doivent trembler», déclare un horloger sûr de son fait, avant d'ajouter: «Tout le reste n'aurait pas de sens avec Bucherer maintenant.» Jean-Frédéric Dufour ne renoncera pas complètement à ses partenaires.
Avec le détaillant de montres britannique Watches of Switzerland, concurrent de Bucherer, il vient de poser un nouveau jalon: la plus grande boutique Rolex d'Europe a ouvert ses portes le 14 mars dans Old Bond Street à Londres. On estime qu'elle ressemble exactement à ce que Jean-Frédéric Dufour aurait conçu si elle avait été la sienne. Dans ce vaisseau amiral de quatre étages, on trouve des montres Rolex neuves et d'occasion, ainsi qu'une gastronomie raffinée, des comptoirs en marbre, des murs en pierre cannelés comme la lunette de la Datejust. Lors de l'inauguration, Jean-Frédéric Dufour a coupé en personne le bracelet en tissu vert Rolex devant le portail.
Tourné vers l'avenir
Le CEO ne se contente pas d'appuyer sur l'accélérateur commercial, il imprime aussi sa marque très personnelle à Rolex. Il assouplit les règles vestimentaires, il jette des ponts entre la vie privée et le travail: pour Alexander Troller, l'un de ses plus vieux amis, par exemple, il a créé le poste de «Group General Counsel» chez Rolex au début de cette année.
Avant cela, Alexander Troller était avocat chez Lalive à Genève, c'est-à-dire dans le cabinet qui a été impliqué dans l'accord Bucherer de la part de Rolex. Le fait qu'il ait sponsorisé l'America's Cup de l'équipe Alinghi Red Bull Racing d'Ernesto Bertarelli par l'intermédiaire de Tudor, la marque sœur de Rolex, n'est bien sûr pas non plus une coïncidence: Jean-Frédéric Dufour et Ernesto Bertarelli sont tous deux des marins passionnés et membres du prestigieux yacht club de la Société Nautique de Genève.
Dans le monde des affaires, Jean-Frédéric Dufour a introduit jusqu'à présent une nouveauté impensable: le programme Certified Pre-Owned (CPO), lancé le 1er décembre 2022. Il s'agit d'un changement radical non seulement pour Rolex, mais aussi pour l'ensemble du marché secondaire. Depuis lors, Rolex considère les modèles d'occasion comme des pièces de valeur, les contrôle, les révise et les certifie, à condition qu'ils soient livrés par un partenaire officiel de Rolex à Genève.
Cette procédure augmente bien sûr le prix des montres d'occasion. Ainsi, chez Bucherer, par exemple, une Submariner est vendue environ 8000 francs au comptoir Rolex au rez-de-chaussée de la Bahnhofstrasse à Zurich, et nettement plus cher dans le salon CPO deux étages plus haut, mais sans attente. Selon des rumeurs, mais ni Rolex ni Bucherer n'ont fait de commentaires à ce sujet, il existerait un nouveau format: des boutiques exclusivement dédiées aux montres Rolex CPO.
La décision de Jean-Frédéric Dufour de se retirer de la Formule 1 après plus de dix ans et de confier le chronométrage officiel à TAG Heuer a fait des vagues l'année dernière. Pourquoi? Certains supposent, ce qui est improbable compte tenu de la puissance financière de la fondation Wilsdorf, que TAG Heuer, la maison mère de LVMH, a fait une offre plus intéressante que celle de Rolex. D'autres y voient une réorientation stratégique: la Formule 1 ne correspondant plus à cette nouvelle orientation. Le mot d'ordre est la durabilité. Pour preuve, Rolex a publié juste après la décision le premier rapport sur le développement durable de son histoire et, peu après, a annoncé que l'acteur et activiste écologiste Leonardo DiCaprio serait l'ambassadeur de la marque.
Comme à son habitude, Rolex a fait les choses sans chichis: le rapport a été mis en ligne un beau jour. Et Leonardo DiCaprio a été mis en scène dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. Le petit film est un montage de scènes mémorables de la vie d'autres ambassadeurs de Rolex tels que Roger Federer ou Tiger Woods. À la fin, l’acteur américain apparaît avec l'Oscar qu'il a remporté en 2016 pour son rôle dans «The Revenant» – et ne dit rien, il se contente de sourire.
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Cet article est une adaptation d'une publication parue dans Bilanz.