«J’ai grandi dans les arts: mon père était compositeur de musique de film et ma mère, originaire de Russie, a, entre deux carrières d’interprète et de gérante de fortune, été couturière pour le Grand Théâtre de Genève. La notion de transmission de la culture a toujours beaucoup compté pour moi.

A tel point que je n’ai jamais réussi à m’insérer dans une seule case et à limiter mes références au seul silo de l’architecture. J’aime jouer avec le cinéma, le théâtre et la gastronomie. Si je me suis orienté vers les espaces d’hôtellerie-restauration, c’est parce que j’ai d’abord travaillé comme serveur dans l’optique de financer de futures études de cinéma à l’Institut supérieur des arts de Bruxelles. Voyant que j’étais trop maladroit pour le service en salle, le patron m’a demandé ce que je savais faire de mieux. Je lui ai donc proposé de lui concocter de nouvelles lampes, puis de lui refaire toute la décoration. Mes travaux l’ont convaincu.

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Finalement, j’ai choisi d’étudier l’architecture plutôt que le cinéma. Un an après l’obtention de mon diplôme de l’EPFL, j’ai fondé mon propre bureau d’architecte, Ykra. J’avais alors 28 ans et j’ai signé mes premiers succès avec les rénovations de restaurants principalement à Genève et à Lausanne depuis 2014.

La cuisine et la restauration sont de véritables puits d’inspiration pour moi. Ces espaces véhiculent des rituels et des traditions qui survivent aux tendances et aux époques. Ils sont les garants d’une mémoire collective à laquelle tout le monde peut s’identifier. Je les vois comme une grande pièce où chacun joue sa partition avec rigueur et assiduité. Travailler sur ces projets d’architecture intérieure, c’est un peu poser le décor d’une pièce de théâtre rondement exécutée. Il faut donc veiller à préserver l’ambiance et à utiliser de nouvelles idées pour la sublimer.

J’admire le travail des chefs. J’ai eu la chance de convaincre les restaurateurs que mon enthousiasme pour leur travail pouvait se matérialiser dans des projets architecturaux et scénographiques originaux. Parmi la vingtaine de projets qui ont abouti figure le Bar de la Plage du Grand Théâtre de Genève, où nous avons joué avec les codes du bord de mer pour les faire résonner avec l’ambiance de ce lieu majestueux. Au Tibits de Lausanne, installé dans les locaux de l’ancien Buffet de la Gare, nous avons su faire dialoguer les ornements en bois et les gigantesques peintures murales avec un mobilier aux traits contemporains. Celui qui me correspond le plus reste sans doute Le Dorian, célèbre enseigne que tout Genevois a déjà fréquentée au moins une fois dans sa vie. Le chef Florian Le Bouhec nous a donné carte blanche pour repenser le décor du restaurant qui compte notamment un tableau indéboulonnable: il s’agissait de «tout changer sans rien changer». Finalement, le résultat, à la fois enjoué et fidèle à une forme d’austérité qui caractérise les bistrots, a été à la hauteur du défi.

Cet enchaînement de projets en lien avec la restauration m’a donné une certaine notoriété dans le milieu. Je suis heureux d’avoir pu m’exprimer avec tant de liberté, autant pour des restaurants que, aujourd’hui, dans l’hôtellerie. Mais je reste lucide. Il y aura nécessairement un passage de flambeau à cette tendance éphémère. Je vois aujourd’hui de nombreux jeunes architectes de talent qui méritent cette forme de reconnaissance.

Désormais, je me consacre principalement à des mandats de transformation institutionnels au long cours. Treize ans après sa création et fort d’une équipe de 13 architectes, le bureau Ykra continue sur la même lancée, mais dans une ambiance de travail sans doute plus calme et sereine qu’auparavant. La nature des projets et la narration qui les accompagne changent également. Bientôt, nous mettrons les premiers coups de pioche dans le vieux Carouge pour la rénovation d’un îlot entier qui, à terme, accueillera hôtel, restaurant et salle polyvalente dans une ancienne grange et un groupe de bâtiments historiques rue Ancienne.

En parallèle, nous travaillons également sur des projets institutionnels en Suisse mais aussi au Brésil.

Le futur Musée de la bande dessinée qui prendra ses quartiers dès 2027 dans la villa Sarasin, une magnifique demeure genevoise datant du XIXe siècle dont il s’agira de préserver les traits caractéristiques, et le mythique bâtiment du cinéma Le Plaza, un projet sur lequel nous travaillons depuis quelques année déjà pour le compte du bureau FdMP avec qui nous avons des débats passionnants et dont les travaux devraient prendre fin d’ici 2028. Enfin nous travaillons sur des projets d’hôtel les pieds dans l’eau: sur les bords du Léman qui ouvre dans quelques semaines au Port Gitana de Bellevue (GE) et l’autre dans la baie de Rio de Janeiro, au pied du fameux Pain de Sucre.»