Si l’on y pense, développer des logiciels RH n’est-il pas antinomique? C’est mettre l’humain dans des grilles numériques, diront même certains. Jean-Marc Fillistorf ne se laisse pas démonter par la question, bien au contraire. «L’humain, ce sont des échanges, de la communication, des émotions. Le logiciel permet de partager ces informations et de donner de la transparence, cela à tous les types d’humains», glisse le CEO, fils et petit-fils de restaurateurs, nourri à l’entrepreneuriat.

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Le Vaudois a racheté Gammadia il y a bientôt quinze ans, une société spécialisée dans les logiciels pour sages-femmes et les documents du patient. Rapidement, un logiciel de gestion du temps de travail développé par son équipe prend le dessus. Tipee est né. Il représente 80% du chiffre d’affaires et couvre les PME de tout secteur. La structure emploie 50 collaborateurs à Lausanne et a rejoint en 2024 le cercle de Scale-Up Vaud. «Ce n’était pas le but, observe-t-il. On nous a posé la question et nous répondions aux critères, qui sont une croissance de 20% du chiffre d’affaires ou du nombre de collaborateurs, cela en trois ans. Ce n’est pas mon monde. Tipee veut être une belle PME pour les PME, avec une croissance organique, et pas lever des millions. Nos clients sont des bouchers, des data centers, des communes ou même des bûcherons qui ont besoin de touches plus grandes. J’aime cette diversité et tous veulent des outils plus simples et moins de clics.»

Marché bouillonnant

Quoi qu’il en soit, Tipee a eu fin nez. Le marché des logiciels RH ne cesse de grandir. En France, avec l’hybridation du travail, il prévoit de doubler pour atteindre 6,7 milliards d’euros en 2027. «Il y a beaucoup plus de choix qu’avant, c’est stimulant, relève le CEO. Certains dinosaures ne sont plus là et de nombreuses start-up proposent un élément précis de la gestion du temps. Elles sont actives quelques années et disparaissent ou sont rachetées.» La croissance effrénée n’est pas au cœur des réflexions de celui qui se définit comme un créatif pragmatique. Tipee n’est pas à vendre. Lorsqu’il a orienté son activité vers les RH il y a treize ans, on parlait peu de temps partiel, de flexibilité des horaires, de transparence et encore moins de télétravail. «A l’époque, les plannings des employés ne se partageaient pas, se souvient-il. Désormais, beaucoup ont compris que c’est un atout pour toute l’équipe. Les collaborateurs gagnent aussi en autonomie et en responsabilité avec un accès à leur solde de jours télétravaillés ou de vacances.»

On a dépassé depuis longtemps la simple fonction de timbreuse ou de contrôle. Collecte et protection des données, soutien aux managers et aux RH dans la prévention des burn-out, des questions de santé mentale ou encore suivi des objectifs sont au menu des logiciels RH.

6,7 milliards

Le montant, en euros, que pourrait peser le marché des outils RH en 2027 en France, soit le double d’aujourd’hui.

«Le travail des ressources humaines a tellement évolué en dix ans, note-t-il. Il y a davantage de données à disposition, ce qui permet de justifier des ressources supplémentaires ou d’anticiper des problèmes.» Par exemple, pour les entretiens d’évaluation, on passe d’un document consulté une fois par année à des modèles intelligents. Ainsi, des pop-up sont envoyés automatiquement aux employés rappelant les objectifs établis par leur responsable ou ceux qu’ils se sont eux-mêmes fixés. «On est très loin de l’outil de flicage de l’époque», ajoute-t-il. Le principe est le même pour la prévention des risques sur la santé. Les données fines sur la surcharge ou les absences se corrèlent pour envoyer des alarmes au manager ou au RH.

Tipee a du reste participé à un projet de la HES-SO Valais proposant des fiches RH aux employeurs, une cocréation mêlant les bonnes pratiques RH dans les PME. «Là aussi, les choses ont beaucoup évolué. Les entreprises collaborent à présent, alors qu’avant chacune restait dans son coin. S’entraider entre PME vaut de l’or!» relève-t-il.

Partage du pouvoir

A 57 ans, Jean-Marc Fillistorf a construit tout son modèle entrepreneurial sur le partage de compétences, de pouvoir et d’expériences. S’il est actionnaire majoritaire, il a structuré la direction en cercles. Sa société pourra ainsi se passer de lui le jour où il souhaite diminuer son activité. Ce n’est pas le cas pour l’instant. Pour lui, c’est avant tout une manière de répartir les responsabilités et de naviguer plus léger. En interne, l’équipe a mis en place des séances de feedback entre trois ou quatre collègues, sans l’intervention des RH ni d’un cadre. Le but est de pousser tout le monde à construire la relation et à grandir.

L’humain est également au cœur des Tipee talks, des podcasts avec tout type de personnalités du monde de l’entreprise. Cette initiative, lancée il y a dix-huit mois, cartonne et positionne Tipee comme un expert des questions RH pour les PME. «Nous ne vendons rien dans ces podcasts et ne parlons pas de Tipee. L’intérêt pour la notoriété est toutefois évident. Il est impossible de calculer le ratio coût-bénéfice, mais cela nous ouvre sur d’autres communautés», poursuit le CEO.

Cette passion pour l’autre l’a poussé à participer, à titre personnel, à un projet d’intégration de 50 jeunes migrants dans sa commune de Crans. «Il y avait beaucoup de peur à leur arrivée. Nous avons mis en place des rencontres et, au final, il y a eu zéro problème. J’aime et je soutiens cette diversité. Elle est présente dans les RH, relève-t-il. Il y a des modes de pensée et de faire différents et nous devons être capables de fournir des outils pour intégrer tout le monde et pas seulement des modèles générés par des hommes blancs de 40 ans.»