J’ai vu passer sur LinkedIn une petite phrase rigolote: la génération X fait pendant quarante ans le même job, la génération Y fait pendant une année 40 jobs différents et la génération Z se demande pourquoi il faudrait avoir un job. C’est marrant, moi, je suis X, et il y a plein de jours où je me pose la même question, pas vous?
Je sais, je sais, nous sommes des Suisses, un peuple laborieux, attaché à la valeur travail, fier de gagner sa vie et de payer sa chère, très chère, trop chère assurance maladie à la sueur de son front, pour s’assurer au final une vague retraite avec taux de conversion de plus en plus bas, qui permettra peut-être tout juste de ne pas devoir s’expatrier au Portugal ou en Thaïlande pour cuver son alzheimer. C’est pavlovien, moi-même je culpabilise stupidement lorsque j’ai un problème de santé et que je ne peux pas travailler. Je ne suis pas responsable de la situation, et pourtant c’est con, l’arrêt maladie me rend malade. Et j’ai une copine à la retraite depuis peu qui vit très mal l’idée de toucher de l’argent sans rien faire. Bon, là, euh… moi, je ne dirais pas non dans l’absolu, d’ailleurs, je joue au Rento régulièrement et je ne gagne rien tout aussi régulièrement.
Cela fait un moment que cela me travaille: est-il normal que nous vivions dans l’attente du prochain jour de congé? Du week-end? Des vacances? Tout le monde sait qu’il y a un pic de télétravail le vendredi, et que dans les bureaux ça ressemble au mois de mars 2020 (je vous laisse vous souvenir). Tout le monde sait que les gens commencent à se détendre la veille, que l’on appelle désormais le «jeudredi», en se tapant déjà le petit Spritz de fin de semaine. Et tout le monde sait que le blues du dimanche soir est en passe de devenir un syndrome officiellement porté au registre des maladies psychiques, il y a d’ailleurs plein de conseils pour traverser cette effrayante épreuve, par exemple s’entraîner à «mentaliser et à positiver le lundi». Et tout le monde sait que le lundi au soleil, c’est une chose qu’on n’aura jamais (les 60 ans auront la réf, et sauront aussi que c’est notre Patrick Juvet national qui a composé la musique).
Non mais sans déconner, ce n’est pas très carpe diem tout ça. Et cela ne me semble pas très adapté à nos besoins fondamentaux non plus. Comme le dit le psychologue Albert Moukheiber, qui parle de «non-sens» des vacances: imaginez-vous manger une tonne de nourriture et ensuite tenir des semaines sans manger? Alors pourquoi faisons-nous cela avec le travail? Nous bossons comme des damnés en nous répétant tous les jours «Il faut tenir jusqu’au 7 juillet» et, lorsque le fameux, attendu, espéré et tant fantasmé congé arrive, nous nous effondrons littéralement et commençons nos vacances en PLS (position latérale de sécurité, pour ceux de mon âge qui n’ont pas d’enfants de la Gen Z). Nous retrouvons un peu la forme trois jours avant de rentrer et hop, c’est reparti pour un tour! Albert Moukheiber est aussi docteur en neurosciences et affirme qu’il faudrait écouter son rythme biologique et se reposer un peu chaque jour. J’adore ce mec! Mais je ne suis pas sûre que mon boss le kiffe autant que moi. Et je me retrouve à «poser» mes congés comme tous les salariés, au lieu de me poser moi-même, voire, soyons dingues, me re-poser.
C’est difficile d’imaginer un monde sans travail… mais nous devrions gentiment nous habituer à l’idée. Parce que, avec les développements de l’intelligence artificielle, ça va être compliqué pour l’emploi. La technologie nous remplacera, c’est une évidence, et comme elle est intelligente, elle ne fera pas la vaisselle, la lessive, le récurage des WC et la bouffe tous les soirs, elle écrira des scénarios, gérera des comptes en banque, opérera des cœurs, bref, elle nous piquera nos revenus d’une part et toutes les choses un peu intéressantes d’autre part, et nous laissera la vie domestique et les basses besognes, comme être l’assistant d’une intelligence artificielle par exemple.
Comment sortir de ce guêpier? Eh bien, je me disais que l’on pourrait se réintéresser au revenu de base inconditionnel. Je sais que les Suisses ont salement claqué l’idée en votation en 2016, que ce n’est pas dans notre mentalité, bla bla bla, mais cela a le mérite d’être une proposition originale et alternative d’organisation économique. Il n’y en a pas tant. On en reparle. Mais pas maintenant, c’est l’heure de ma sieste.