Home office, IA, codes numériques: les règles du jeu changent en matière de recherche d’emploi. Bertrand Audrin, professeur assistant en gestion des ressources humaines et comportement organisationnel à l’EHL Hospitality Business School, analyse les mutations profondes qui redessinent notre rapport au travail. A l’heure où la frontière entre présentiel et virtuel s’estompe, il décrypte les nouveaux réflexes à adopter pour rester dans la course.
Vous étudiez les effets de la transformation digitale sur le monde du travail. Quelles évolutions majeures observez-vous aujourd’hui dans la relation entre employeurs et collaborateurs?
Les espaces de travail ont beaucoup évolué ces dernières années. Auparavant, la ligne de démarcation était claire entre vie privée et vie professionnelle. Désormais, le bureau est partout avec nous: les outils numériques ont complètement dématérialisé l’environnement de travail. Le covid a entériné cette tendance. Cependant, de plus en plus d’organisations se demandent si le curseur n’a pas été poussé trop loin, et l’on assiste aujourd’hui à un rééquilibrage, avec un retour progressif vers davantage de présentiel.
Néanmoins, beaucoup d’interactions professionnelles restent virtuelles. Quelles sont les nouvelles règles d’étiquette à connaître?
C’est vrai. Même avec une présence physique plus marquée, le numérique structure encore la majorité des échanges. Lors des réunions, il y a toujours au moins une personne en ligne. Ce qui est compliqué en termes d’étiquette, c’est de savoir naviguer dans cet environnement numérique qui multiplie les canaux. De plus, chaque organisation a ses propres outils et, au sein même des entreprises, on trouve des sous-cultures numériques. Malgré l’existence de chartes ou de bonnes pratiques, une part d’interprétation et d’appropriation individuelle subsiste toujours.
Ce qui complique les échanges numériques, c’est le manque de signaux contextuels.
Bertrand Audrin, expert en gestion RH
Pensez-vous que l’étiquette numérique finira par remplacer certains codes traditionnels de la communication en entreprise?
L’étiquette numérique est liée aux codes de conduite de l’entreprise. Certaines sont plus formelles que d’autres. L’enjeu consiste à savoir s’adapter. Ce qui complique les échanges numériques, c’est le manque de signaux contextuels. Contrairement aux interactions face à face, on n’a pas de retour immédiat.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui se prépare pour un entretien d’embauche en visio?
On a parfois tendance à les prendre moins au sérieux qu’un entretien en présentiel. On est chez soi, il n’y a pas la dimension symbolique et processuelle d’aller dans une entreprise et de s’y présenter. Cependant, il faut faire le même travail de préparation en amont: se renseigner sur la société, sur les personnes présentes, etc. Les codes de l’entreprise, notamment en matière de tenue vestimentaire, s’appliquent aussi en ligne.
Au-delà de l’aspect technique (connexion, son, lumière), quels éléments non verbaux doivent être soignés pour faire bonne impression à l’écran?
En ligne, il est encore plus facile de couper la parole d’un interlocuteur, même sans le vouloir. Il peut y avoir un léger décalage et on ne sait jamais qui va prendre la parole ou rebondir sur un sujet. Il est donc recommandé de marquer une petite pause avant de répondre, pour éviter les interruptions. Il faut aussi tirer le meilleur parti du canal. Les entretiens en personne peuvent être intimidants. En ligne, on peut s’aider d’un deuxième écran pour avoir des informations. Mais cela doit rester subtil et ne pas détourner l’attention.
Recommandez-vous d’adapter l’arrière-plan selon les types de postes ou de secteurs visés?
Cela peut représenter un petit plus, par exemple si l’on choisit en toile de fond une image de la ville où se trouve l’organisation dans laquelle on souhaite postuler ou si l’on dispose d’une très belle bibliothèque. Mais cela reste secondaire. Le plus sûr est de privilégier un arrière-plan neutre ou flouté.
Concrètement, comment les recruteurs utilisent-ils déjà l’IA aujourd’hui?
Il existe beaucoup de systèmes de suivi des candidats qui tendent à se développer depuis quelques années. Par exemple, des algorithmes de matching, plus ou moins avancés selon les entreprises ou les profils recherchés, extraient des informations ou des compétences spécifiques dans les CV, les profils LinkedIn et les offres d’emploi pour évaluer la compatibilité d’un candidat avec un poste.
Comment les candidats peuvent-ils se préparer à des processus de sélection de plus en plus automatisés?
Il faut jouer à armes égales. Si les entreprises utilisent l’IA comme filtre, il n’y a pas de raison de ne pas le faire en tant que candidat. Mais il ne faut pas oublier que, malgré l’automatisation, la décision finale revient toujours à un humain. Un œil exercé repère très vite si une lettre de motivation a été générée par ChatGPT, parfois même mieux que les algorithmes de détection. Les documents doivent refléter une identité authentique. Au final, c’est la personne qui est engagée, pas son CV.
Selon vous, ces tendances renforcent-elles ou affaiblissent-elles l’importance de l’intelligence émotionnelle dans le processus de sélection?
Je pense qu’elles vont la renforcer. On atteint les limites de ce que les documents de candidature peuvent transmettre. C’est dans les interactions et les échanges que se jouent les vraies différences.
Un dernier conseil à celles et ceux qui cherchent un emploi aujourd’hui et veulent réussir dans ce monde du travail en mutation?
Le monde virtuel est un peu une jungle et il ne faut surtout pas minimiser sa préparation, car c’est la barrière à l’entrée des emplois. Il ne faut pas hésiter à tester l’IA pour perfectionner ses documents, mais également demander l’avis d’une personne extérieure. Beaucoup de candidats peinent à valoriser leur parcours, car ils oublient qu’ils s’adressent à des personnes qui ne les connaissent pas.