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Multi-entrepreneur, Florent Bourachot a cofondé la société Neho, pionnière du courtage immobilier au forfait. Il a lancé et dirigé le groupe de cabinets vétérinaires Swissvet Group. Il s’attaque désormais à la pénurie de psychothérapeutes. Et revient à ses premières amours, la promotion immobilière. De l’art de jongler avec plusieurs casquettes.

Alain Jeannet
Florent Bourachot, entrepreneur suisse et cofondateur de Neho.
Pierre FantysPublicité
Après sept ans passés à la tête de Swissvet Group, Florent Bourachot s’est libéré des contraintes quotidiennes du job de CEO et regagne ainsi une bonne marge de manœuvre pour ses nouvelles activités, nous raconte-t-il en préambule. L’entreprise qu’il a cofondée il y a huit ans comprend à ce jour 16 cabinets vétérinaires et 140 salariés en Suisse romande. Rachetée par le groupe britannique VetPartners, basé à York, elle fait désormais partie d’un important réseau international. Le multi-entrepreneur de 37 ans reste certes administrateur de sa filiale helvétique après son retrait de la direction il y a six mois, mais la gestion au jour le jour a été reprise par d’autres.
«Je suis plus à l’aise à la tête d’équipes d’un maximum de 40 à 50 personnes, confie-t-il. Quand il faut diriger une entreprise plus grande, j’assume, mais ce n’est pas ce que je fais le mieux.» Son point fort: identifier de nouveaux besoins, développer un concept et le mettre en œuvre avec efficacité. Un Macher, disent les Alémaniques. Florent Bourachot consacre désormais deux jours par semaine à ses activités de promotion immobilière, menées jusqu’ici de manière un peu «artisanale» pour reprendre ses termes. Il accompagne le développement d’une chaîne de cabinets de psychothérapeutes en s’appuyant sur l’expérience accumulée chez Swissvet Group – l’un de ses projets les plus récents, nous y reviendrons.
Avec un enthousiasme renouvelé, il s’implique aussi dans le développement de Neho, son premier bébé, le plus connu. «L’équipe des débuts est toujours en place. J’ai un immense plaisir à travailler de nouveau plus étroitement avec elle.» Et poursuivre ainsi le mouvement de disruption du courtage immobilier en Suisse dont il a été l’instigateur.
Obtenez le meilleur prix, économisez 25 000 francs, vendez mieux avec nos agents locaux... Difficile d’échapper aux promesses de Neho diffusées à la télévision, dans les journaux et placardées en format mondial dans les rues des villes suisses. Fondée en 2017, la première agence immobilière suisse en ligne propose une alternative au modèle de courtage traditionnel. Les commissions, entre 2 et 3% du prix de vente en moyenne, sont remplacées par un forfait fixe de 12 000 francs (14 500 francs avec les visites du bien). Autres avantages: la transparence des informations et des coûts, une visibilité optimale des annonces de ventes. Encore faut-il disposer des bons outils.
Voilà pourquoi Neho se définit aussi comme une entreprise de technologie. Elle emploie d’ailleurs une vingtaine de développeurs en Roumanie et a systématiquement réinvesti ses bénéfices dans le développement de sa plateforme. «Le travail des courtiers, explique Florent Bourachot, s’est considérablement simplifié avec la digitalisation et, pourtant, la hausse des prix de l’immobilier a également fait exploser les montants de leurs commissions. Difficile à justifier.»
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Pour l’acquisition des biens à vendre, Neho investit environ 15% de son chiffre d’affaires en marketing et en publicité et peut compter sur l’expérience de Steve Savioz, créateur de l’agence de marketing digital Bright et également cofondateur de Neho. Reste encore un gros travail sur la perception de l’entreprise. «Comme pour les vins, on croit qu’ils sont forcément meilleurs quand ils sont chers, observe Florent Bourachot. Si les tarifs pratiqués par Neho sont imbattables, nos prestations sont au moins aussi qualitatives que celles des courtiers payés à la commission.»
Le courtage traditionnel représente malgré tout 97% des transactions. C’est dire le potentiel d’un marché encore très local et fragmenté, mais en voie de consolidation rapide. «Nous visons à terme 10% de parts de marché national», poursuit-il. La PME vaudoise est sortie des chiffres rouges en 2023, elle a réalisé un bénéfice en 2024 permettant d’effacer toutes les pertes cumulées depuis sa création, elle devrait enregistrer cette année un chiffre d’affaires de 23 millions de francs réalisé pour moitié outre-Sarine et annonce une belle rentabilité (25% d’EBITDA). De la tête et des épaules, elle continue de dominer son challenger, la société Kiiz, incarnée dans ses publicités par l’ex-champion de ski Didier Cuche.
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Neho a renoncé pour l’heure à s’étendre à l’étranger après une expérience douloureuse en Allemagne – «essayé, pas pu», résume Eric Corradin, le CEO de Neho et compère de Florent Bourachot, qui assure, lui, la présidence du conseil d’administration. Priorité donc au marché suisse, passé de 50 000 transactions en 2021 à 35 000 début 2024 et qui se remet à peine de ce brutal reflux. Neho devrait réaliser quelque 1200 transactions cette année. Une hausse sensible, mais un peu inférieure à celle anticipée lorsque les taux d’intérêt sont repartis à la baisse.
Si les fondateurs de Neho se sont d’abord intéressés aux propriétaires-vendeurs avec leur modèle de forfait, ils développent depuis trois ans sous la marque Strike une offre pour les acheteurs. Ce service consiste à les aider à sélectionner les maisons ou les appartements correspondant à leurs besoins propres, à analyser les prix affichés, à préparer leurs dossiers pour les banques et à les conseiller, le cas échéant, sur les rénovations à entreprendre. Un accompagnement pour lequel il est encore difficile de faire payer le client au juste prix, concède Florent Bourachot, mais qui devrait finir par s’imposer vu les conditions du marché.
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On imagine qu’il faut pour innover et disrupter l’ordre établi le goût de la transgression et une bonne dose d’agressivité. Rien de tout cela dans le caractère de Florent Bourachot. Ses associés le décrivent comme quelqu’un de bienveillant, loyal et discret, presque jusqu’à l’effacement. «Il possède surtout une vive intelligence», résume l’entrepreneur Patrick Delarive, qui l’a engagé en 2012 comme stagiaire, lui a transmis beaucoup de son savoir et l’a même encouragé à faire du théâtre d’improvisation pour asseoir sa posture en public.
Une relation de mentorat exemplaire dont les deux hommes parlent d’ailleurs volontiers. Tout comme de leur passion entrepreneuriale qui nourrit aujourd’hui encore un storytelling commun et répété à l’envi. Ingénieur en mécanique de l’EPFL, Florent Bourachot a passé quelques mois dans une grande banque privée genevoise pour son travail de master. Son diplôme en poche, il refuse le salaire d’entrée de 10 000 francs dans la gestion de fortune qu’on lui propose. Son avenir est ailleurs, ressent-il dans ses tripes. Bluffé par la motivation du jeune homme, Patrick Delarive le recrute sans cahier des charges précis et pour un salaire de 4000 francs à peine. Avec l’injonction suivante: «Fais en sorte que, chaque matin en me levant, j’aie honte de te payer si mal.»
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Assistant, chef de projet et bientôt nommé CEO du groupe Delarive à moins de 30 ans, Florent Bourachot devient aussi associé et actionnaire dans plusieurs projets à parité avec son patron qui lui avance les fonds pour le faire: «Je n’avais alors pas d’argent personnel.» Pendant plus de sept ans, le jeune homme travaille jour et nuit. Lui qui a fait du ski et du vélo de compétition arrête le sport, se met à fumer, prend du poids. «Ce n’est pas la période la plus saine et la plus équilibrée de ma vie.» Il mène en parallèle le lancement de Neho et de Swissvet Group avant de se concentrer sur la gestion opérationnelle du groupe de cabinets vétérinaires. «Heureusement, je n’avais alors pas d’obligations familiales», précise celui qui a depuis épousé Katerina, la cheffe des finances de Neho et la mère de leur fils de 4 mois.

Avec son épouse Katerina lors de leurs dernières vacances au Chili.
Archives privées Florent Bourachot
Avec son épouse Katerina lors de leurs dernières vacances au Chili.
Archives privées Florent BourachotLe concept de Swissvet Group, mis en œuvre par Florent Bourachot et le vétérinaire Antoine Adam, mais imaginé par Patrick Delarive et l’homme d’affaires Alain Guttmann, associé gérant d’Alpavest SA et président du groupe Bobst, rencontre un joli succès. La profession s’est radicalement féminisée, la nouvelle génération de vétérinaires hésite à se mettre à son compte. La discipline s’est de plus spécialisée et exige des appareils sophistiqués fort coûteux, des IRM par exemple, en rien différents des équipements utilisés en médecine humaine. La prise en charge groupée de l’administration et des investissements permet une rationalisation des coûts et une amélioration de la qualité des prestations.
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Toutefois, en 2021, la vente s’impose comme l’alternative la plus raisonnable à une nouvelle et conséquente levée de fonds. Fondatrice de VetPartners UK, l’entrepreneuse Jo Malone a monté en moins de dix ans un groupe pesant plus de 1 milliard de francs de chiffre d’affaires. De formation vétérinaire, elle apparaît comme la repreneuse idéale pour les cofondateurs comme pour les collaborateurs qui se sont investis à fond dans Swissvet Group. «J’ai beaucoup appris à son contact, elle est impressionnante», constate Florent Bourachot.
L’entrepreneur compte bien mettre à profit les compétences accumulées avec Swissvet Group dans le développement de la chaîne Novapsy. Cette autre idée novatrice est née d’échanges avec un avocat d’affaires, ami de longue date et désireux de monter une entreprise commune ainsi qu’avec un associé de la société d’investissement genevoise Decalia. «Je ne m’étais pas intéressé jusque-là au domaine de la santé mentale», dit Florent Bourachot, même si, à titre personnel, il a à l’occasion consulté un psy, spécialiste de la maïeutique, et séjourné dans la fameuse clinique Buchinger, au bord du lac de Constance, pour un jeûne thérapeutique de dix jours avec comme objectif de reprendre le contrôle de son poids et d’arrêter de fumer. Une expérience cruciale.
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La libéralisation du secteur en 2022 et les nouvelles règles de prescription de traitements psy par les généralistes ont changé la donne. Elles permettent un remboursement des traitements par les assurances de base et ouvrent un nouveau champ d’action. Le principal écueil? La pénurie qui règne dans la profession et la difficulté de recrutement qui s’ensuit. Pour y faire face, les fondateurs parient sur des équipes constituées de psychologues seniors supervisant leurs jeunes consœurs et confrères en formation. Un modèle de simple bon sens qui semble faire ses preuves.
«A peine ouvert, notre premier centre faisait le plein, résume Florent Bourachot. Le principal défi consiste à répondre à la demande. Je n’avais jamais connu ça dans mes autres domaines d’activité.» Le deuxième cabinet d’une douzaine de praticiens ouvrira bientôt ses portes et la chaîne devrait à terme en compter une quinzaine pour atteindre la taille critique minimale et une rentabilité projetée de 15%. «Nous avons commencé de manière assez classique, mais nous aimerions bientôt proposer une approche plus holistique de la santé psychique. L’intelligence artificielle devrait aussi nous permettre d’assurer certaines tâches de manière plus efficace, par exemple l’identification des cas urgents, afin de dégager un maximum de temps pour les interactions thérapeutiques que jamais la machine ne pourra assurer.»
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«A peine ouvert, notre premier centre de psychothérapie faisait le plein. Je n’avais jamais connu ça dans mes autres domaines d’activité.»
Florent Bourachot le reconnaît sans ambages, il aurait fait plus d’argent s’il s’était concentré ces dix ou douze dernières années sur l’immobilier, le secteur qu’il connaît le mieux. Le même constat vaut d’ailleurs pour son mentor Patrick Delarive, qui après avoir fait fortune dans la pierre s’est risqué dans l’hôtellerie, la production musicale et même l’écriture romanesque. Les deux hommes partagent la même envie de s’engager dans divers milieux et de s’amuser en travaillant. Attention toutefois à bien doser ses dépenses d’énergie, une discipline avec laquelle Florent Bourachot a renoué en reprenant le sport de haut niveau. A son palmarès récent, un hypertrail de 115 kilomètres et le Tour des Stations, une course de vélo en autonomie de 1000 kilomètres et 26 000 mètres de dénivelé positif parcourus en quatre jours en dormant une heure et demie par nuit. «Pour quelqu’un qui a besoin de ses heures de sommeil, c’était rude. Il m’a fallu planifier et optimiser mes efforts pour réussir ce qui a priori m’apparaissait comme impossible. Un exercice aussi bien physique qu’intellectuel.»
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Cette économie de moyens, Florent Bourachot l’applique à ses nouvelles activités immobilières. Pour pouvoir les réaliser dans des délais raisonnables, il a choisi de se concentrer d’abord sur des projets de petite et moyenne taille, soit des immeubles de 3 à 20 appartements maximum ou des maisons individuelles. Priorité à une construction de qualité, en ossature bois si possible, grâce à une collaboration étroite avec l’entreprise générale Villvert, spécialiste de ces techniques. Centré sur le canton de Vaud dans un premier temps, il prévoit d’étendre ensuite ses activités à Genève, à Neuchâtel et à Fribourg.
En s’associant avec deux autres acteurs de l’immobilier, Patrimonium et Julien Pellegrino, fondateur d’Omnia Immobilier, au sein de la société Land Catchers, Florent Bourachot ambitionne aussi de créer un fonds d’investissement régulé et disposant de muscles financiers conséquents. «Notre but est de proposer à des investisseurs privés, qui n’y ont pas accès aujourd’hui, des opportunités de placement dans un portefeuille de promotions immobilières diversifié.» Voilà pour la stratégie.
L’augmentation des oppositions, voire les référendums contre la construction de nouveaux quartiers rendent cependant la promotion immobilière toujours plus compliquée et technique. «Mon propos n’est pas de susciter la commisération pour les milieux immobiliers, précise-t-il. Mais ces difficultés expliquent en bonne partie la pénurie de logements et les prix très élevés qu’on observe actuellement. Il est aberrant qu’un jeune couple qui gagne un salaire cumulé de 200 000 francs, un revenu conséquent, n’ait plus les moyens d’acquérir un appartement ou une maison s’il ne peut compter sur une aide de sa famille ou un héritage.»
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«Il est aberrant qu’un jeune couple qui gagne un salaire cumulé de 200000 francs n’ait plus les moyens d’acquérir un appartement ou une maison.»
Et comme les prix devraient continuer d’augmenter, notamment en raison des fondamentaux démographiques, la situation n’est pas près de s’améliorer. La seule manière d’y faire face: construire plus petit et plus intelligent, optimiser les espaces à disposition par des aménagements malins – fini les appartements familiaux de 150 ou 200 mètres carrés. Remplacer les maisons individuelles des boomers lorsqu’ils les vendent par de petits immeubles de plusieurs logements. Espérer que les communes soutiennent davantage par un système de bonus la construction de logements d’utilité publique, par exemple. «Clairement, on n’y est pas encore», déplore Florent Bourachot. Et sur ce coup-là, difficile d’imaginer la formule disruptive qui change la donne du jour au lendemain.
1988
Naissance à Lausanne, enfance à Morges.
2012
Décroche son master en génie mécanique de l’EPFL et entre dans le groupe Delarive.
2017
Fondation de Swissvet Group et de Neho, dont il est aujourd’hui le président.
2021
Vente de Swissvet Group.
2023
Neho est lauréat du Swiss Economic Award du SEF dans la catégorie Services. Mariage avec Katerina.
2025
Quitte le poste de CEO de Swissvet Group.
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