Mi-novembre, les salons du Schweizerhof, à Berne, accueillaient une douzaine de mousseux suisses et leurs producteurs pour une manifestation destinée à la promotion des vins effervescents du pays. Organisée par l’association Vinea, elle offrait une dégustation de ces crus commentée par Paolo Basso, Meilleur sommelier du monde, cuvée 2013. «Cette journée est intéressante, expliquait-il, car elle marque une nouvelle époque pour les vins effervescents de notre pays. Nos producteurs font preuve d’un beau dynamisme. Cela fait longtemps que nous en produisons en Suisse, mais il est important de communiquer auprès des consommatrices et consommateurs pour leur faire part de cette qualité.»

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Réalisée avec le soutien de Swiss Wine Promotion (SWP), cette masterclass a été suivie de trois dégustations publiques à Berne et à Sierre de ces mêmes vins. Et Vinea a réalisé 12 vidéos de présentation des crus, puis autant de recettes de cocktails pour les utiliser. «Nous avons en Suisse des effervescents de qualité, avec une grande diversité de propositions selon les terroirs, explique Fabienne Bruttin, directrice de l’association. Forcément, cette large palette rend difficile une communication globale, mais elle permet par contre de répondre à des attentes de consommateurs très différentes.»

Un intérêt grandissant 

Du côté de l’office de promotion des vins suisses, Marine Bréhonnet, cheffe de la communication de SWP, le confirme: «Nous constatons un intérêt grandissant chez les consommateurs pour les vins mousseux ou effervescents. C’est ce qui a poussé les producteurs suisses à s’engager sur cette segmentation de produits. Cet engouement est renforcé par les résultats du Grand Prix du vin suisse (GPVS) et d’ailleurs.»

Les mousseux suisses se font une place dans les concours internationaux. Comme le Brut du Valais, une spécialité lancée en 1989 par Jacques Germanier dans sa Cave du Tunnel, à Conthey (VS). Ce vin est élaboré dans 800 m2 de galeries spécialement construites pour reproduire les conditions d’élevage en Champagne. A base uniquement de chardonnay (un blanc de blanc, donc), il est arrivé à la première place de sa catégorie au GPVS ces quatre dernières années. Le millésime 2014 était également dans le Top 10 des meilleurs bruts du concours Chardonnay du monde.

Le Brut du Valais Germanier est élaboré dans les 800 m2 de la Cave du Tunnel, à Conthey (VS).

Le Brut du Valais Germanier est élaboré dans les 800 m2 de la Cave du Tunnel, à Conthey (VS).

© Cave du Tunnel

«Le Brut du Valais marche tellement bien que nous devons plutôt calmer nos clients parce que nous n’arrivons pas à suivre», explique Davina Rudaz, responsable marketing de la cave. Selon les années, ce sont entre 50 000 et 100 000 bouteilles qui sortent du Tunnel. Depuis, la cave valaisanne a élargi son offre avec un Réserve, assemblage de plusieurs millésimes, un rosé (segment en plein boom) et un sparkling wine d’entrée de gamme.

Un spécialiste historique

A Neuchâtel, la famille Mauler a débarqué de son Alsace natale en 1829 pour investir le prieuré Saint-Pierre de Môtiers et y élaborer des vins mousseux selon la méthode traditionnelle. Elle exportait déjà au XIXe siècle ses effervescents jusqu’en Asie avant de connaître des soucis de liquidités au début de ce siècle. Mais Jean-Marie Mauler va sauver la maison et, aujourd’hui, elle produit 700 000 bouteilles chaque année. Grâce aussi à sa gamme Cordon d’entrée de gamme, vendue en supermarché et élaborée avec des vins achetés à l’international.

Production de vin mousseux selon la méthode champenoise chez Mauler, le mercredi 30 juin à Moitiers.

C’est dans le Prieuré Saint-Pierre de Môtiers, au coeur du Val-de-Travers, que Louis-Edouard, d’origine alsacienne, s’installe en 1829 pour créer des vins mousseux. En 2023, Caleb Grob reprend la direction générale. Jean-Marie Mauler reste actif en tant que président. La maison produit 700 000 bouteilles par an.

© VALENTIN FLAURAUD / VFLPIX.COM

La Cuvée Louis-Edouard Mauler 2016 a remporté le Prix meilleur effervescent au Mondial des pinots 2023. «Les consommateurs suisses ont bien compris l’enjeu du local pendant le covid et nous en avons profité, explique son directeur, Caleb Grob. Ils ont vu que notre notoriété venait de vins de qualité, tirés de nos propres vignes et primés à des concours. Le marché des mousseux est en augmentation, particulièrement dans les rosés.»

Le troisième gros acteur du marché est la Cave de Genève, qui a lancé dans les années 1960 le Baccarat, un mousseux élaboré en cuve close, aux tarifs forcément plus avantageux. «C’est un produit qui est en croissance continue, explique Florian Barthassat, œnologue responsable. Les consommateurs sont de plus en plus amateurs de vins mousseux, pour toutes les occasions. Pour nous, Baccarat est devenu une marque locomotive pour toute la cave.» Avec plusieurs centaines de milliers de bouteilles par année, le Baccarat a aussi élargi sa gamme, avec un bio, un rosé et un brut en méthode traditionnelle. «Mais nous ne pouvons pas régater face au prosecco question prix. Heureusement, le public apprécie la qualité et le côté local.»

Des cuvées de niche

Pour beaucoup de caves suisses, le mousseux reste un produit de niche. Leurs producteurs passaient donc par deux spécialistes pour la «prise de mousse», Daniel Marendaz, à Mathod (VD), et Xavier Chevalley, à Cartigny (GE). Les deux ont remis cette activité à une nouvelle société, Swiss Sparkling, à Lutry (VD). Un monopole que craignaient certains vignerons, qui ont poussé Œnologie à façon, à Perroy (VD), à se lancer aussi dans ce secteur, après la gazéification.

«Nous avons engagé un œnologue dédié et un œnologue conseil en Champagne, acheté des machines et créé un local de 4000 m3, explique Fabio Penta, un des associés. Et nous accompagnons les vignerons dès le début puisqu’il faut produire du raisin différemment que pour des vins tranquilles. Mais souvent, ils font 1000 ou 2000 bouteilles par millésime.» Qui se vendent à côté de leur production traditionnelle, mais sans faire d’effort marketing dédié, le vigneron mettant son énergie sur ses gros volumes.

Mousseux, mode d’emploi

Il y a quatre moyens principaux de créer des bulles dans un vin:

La méthode traditionnelle, comme en Champagne. Le vin est vinifié normalement avec une première fermentation. Il est ensuite mis en bouteilles avec un mélange de sucre et de levures pour provoquer une deuxième fermentation, génératrice de bulles. Il vieillit ensuite sur lattes avant qu’on dégorge la bouteille, soit qu’on enlève le dépôt de levures. On complète la bouteille avec de la liqueur d’expédition plus ou moins sucrée pour obtenir du brut, du demi-sec, etc.

La cuve close, comme le prosecco. On fait la même opération, sauf que la deuxième fermentation se fait dans une cuve en acier hermétique qui retient les bulles. Le vin est ensuite filtré à basse température et mis en bouteilles. Il n’est pas vieilli sur lattes, le vin aura donc moins de complexité et d’élégance.

La méthode ancestrale consiste à mettre en bouteilles un vin dont on a stoppé la fermentation par le froid, puis à le faire refermenter aux beaux jours, sans le toucher jusqu’au moment de le déguster. On fait ainsi la Clairette de Die, le Cerdon, le Bugey, le Gaillac ou le Limoux ancestral. Si le vin est nature, on le retrouve sous le nom de «pét nat» (pétillant naturel).

La gazéification est un procédé industriel consistant à injecter du gaz carbonique dans un vin tranquille, comme on le ferait pour une eau minérale.

Carré blanc
David Moginier