Redonner de la désirabilité aux métiers de l’hôtellerie, voilà l’un des principaux objectifs de Nathalie Seiler-Hayez dans le cadre de sa nouvelle fonction de directrice générale de l’association Swiss Deluxe Hotels. Pour ce faire, il s’agira de continuer à vendre du rêve à la clientèle locale et étrangère, tout en se débarrassant de certaines vieilles habitudes et carcans historiques.

Vous venez de prendre la tête de Swiss Deluxe Hotels, qui défend les intérêts de 39 hôtels cinq étoiles en Suisse, dont le Beau-Rivage Palace de Lausanne que vous avez dirigé durant plus de sept ans. Quelles seront vos priorités à ce nouveau poste?
Dans un monde en constant changement, je souhaite offrir aux hôteliers une plateforme d’échange et d’inspiration sur différents sujets. Nous allons aussi nous appuyer sur de nombreux partenariats qu’il faudra développer. Dans l’hôtellerie, la pandémie a accentué un problème de main-d’œuvre qui existait depuis longtemps. Nous devons recréer de la désirabilité pour nos métiers. Il va falloir nous battre pour défendre les couleurs de l’hospitalité en Suisse, aussi bien au niveau de la main-d’œuvre qu’afin de faire rayonner nos établissements à l’international.

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Comment allez-vous vous y prendre?
Historiquement, l’hôtellerie est un secteur rigide où la hiérarchie a toujours été importante. Les nouvelles générations cherchent davantage à travailler en mode «projets». Elles veulent un système plus horizontal. Nous devons sortir de certains carcans devenus un peu has been. Car le luxe ne veut pas dire être coincé. Cela fait de nombreuses années que nos clients nous le suggèrent. En allégeant dernièrement son dress code, l’Ecole hôtelière de Lausanne a fait un pas dans une direction qui me semble tout à fait appropriée. En résumé, nous devons devenir plus agiles et plus flexibles, mais en gardant notre qualité.

Cela passe aussi par un changement en termes de formation.
En effet, il faut accepter aujourd’hui que l’on forme des jeunes qui vont peut-être rester à peine une année, puis partir faire autre chose. Il nous faut travailler sur un volume d’employés qualifiés, au travers d’une école de formation axée sur le savoir-être, élément essentiel dans les métiers de service et du luxe. Mais cela n’empêche pas le fait de devoir travailler sur différents programmes en interne pour favoriser leur rétention.

Les horaires irréguliers sont aussi souvent montrés du doigt.
Nous pouvons proposer des horaires plus continus dans certains services. De nombreux établissements le font déjà. Cela dit, nous avons observé que beaucoup d’employés ont organisé leur vie en fonction des horaires classiques dans le secteur. Ils veulent en quelque sorte pouvoir disposer d’un choix à la carte. Beaucoup ne veulent surtout pas de routine. Et dans notre domaine, ils sont servis. Dans quel autre métier peut-on organiser le mariage de Phil Collins, servir le petit-déjeuner à Xi Jinping ou saluer le président français Macron? Il y a beaucoup d’opportunités et tellement de choses extraordinaires qui se passent dans un hôtel.

Depuis la fin de la pandémie, quelles sont les évolutions marquantes dans le secteur de l’hôtellerie?
Personne ne s’attendait à une reprise aussi forte. Avec les restrictions de voyage, les Suisses ont pu redécouvrir leur pays. Cependant, chacun continue à avoir besoin d’évasion et souhaite réaliser les voyages qu’il n’a pas pu faire durant la pandémie. On a gagné une partie de clientèle nationale, mais on ne peut plus compter sur celle-ci de la même manière. La pandémie a déclenché beaucoup de changements d’un point de vue sociétal. Nous avons réalisé à quel point nous sommes vulnérables, à quel point nous sommes des animaux sociaux. En ce qui nous concerne, en tant qu’hôteliers, nous avons réalisé à quel point nous sommes des marchands de bonheur. Notre mission consiste à donner du plaisir et à apporter des expériences aux gens. Voilà une belle mission et un vrai sens pour nos employés!

En 2022, les touristes européens ont fait leur retour et la demande nationale n’a pas diminué. Qu’en est-il du reste de la clientèle, notamment les Chinois, qui continuent de se faire attendre en 2023, mais aussi les Russes et les Ukrainiens?
Ces trois nationalités ne sont évidemment pas de retour comme auparavant. Pour la Russie et l’Ukraine, nous en sommes encore très loin. En ce qui concerne la Chine, nous devons garder les liens avec nos intermédiaires sur place, car ce pays restera toujours un marché porteur dans le secteur du luxe. Et les Chinois vont revenir. D’un autre côté, les Etats-Unis et le Moyen-Orient ont très bien repris, ce qui permet de compenser, pour l’instant, la baisse occasionnée par la Chine, la Russie et l’Ukraine.

On parle beaucoup de la reprise des fleurons de l’hôtellerie suisse par des groupes chinois ou qataris et du risque que cela représente en termes de perte de patrimoine. Quel est votre point de vue à ce sujet?
Prenons l’exemple du Royal Savoy, qui ne fait pas partie de Swiss Deluxe Hotels. Il a dû fermer durant des années. Quelle chance d’avoir pu rouvrir un établissement pareil! Dans l’industrie de la grande hôtellerie, tout est très cher. On a deux possibilités. Soit ces hôtels se perdent, ils sont par exemple transformés en appartements et l’histoire se termine. Soit il existe encore quelques organismes privés ayant les moyens et l’envie de continuer à investir pour conserver ce patrimoine. Evidemment, on aimerait que ces hôtels restent en mains suisses. Cependant, il est toujours préférable qu’ils retrouvent leurs lettres de noblesse, même si c’est grâce à des fonds étrangers, plutôt qu’ils cessent leurs activités.

C’est ce qui s’est passé avec le Mirador, qui fait partie de votre association. Depuis 2016, il est en mains chinoises.
En effet. En cas de reprise par des propriétaires étrangers, notre rôle consiste, dès le départ, à créer une relation étroite. Nous devons les accompagner dans leur expérience en Suisse. Si j’arrivais en Chine et que je devais construire un hôtel, il me manquerait beaucoup de choses. C’est à nous de leur tendre la main pour les guider afin qu’il y ait le moins d’erreurs possible en raison du choc des cultures.

Les hôtels de luxe peuvent-ils devenir un investissement rentable ou ne sont-ils destinés à être que des danseuses pour de riches propriétaires, notamment étrangers?
En règle générale, lorsque l’on décide d’investir dans la grande hôtellerie, il faut avoir les reins solides. Et ne pas oublier que la valorisation et l’enrichissement de l’investisseur ne se feront qu’à la revente, car le profit immédiat n’est pas possible dans ce type d’hôtellerie. Sur plusieurs dizaines d’années, les immeubles prennent en principe énormément de valeur. Par contre, au quotidien, dans un hôtel de luxe, c’est autre chose. Les marges sont beaucoup plus étroites.

Comment se portent économiquement les hôtels de Swiss Deluxe Hotels?
Ils se portent plutôt bien. La Suisse continue de bénéficier de son aura en termes de qualité, d’excellence et d’authenticité. Ce fameux mot «Swissness» est très fort. Il a toujours rassuré la clientèle individuelle à haute contribution dans le monde entier. La Suisse reste un refuge, également dans l’hôtellerie, dont elle est l’un des berceaux. Nous avons bien su tirer notre épingle du jeu, même si les enjeux en matière de main-d’œuvre demeurent très compliqués.

En chiffres

39 hôtels
Fondée en 1934, l’association Swiss Deluxe Hotels regroupe 39 hôtels. Elle totalise 8200 lits, soit 40% de la capacité d’hébergement cinq étoiles en Suisse, et dénombre 8000 employés.

1,56 milliard 
Le chiffre d’affaires global des hôtels de l’association a augmenté de 13%, passant à environ 1,56 milliard de francs. Il se retrouve légèrement au-dessous de son niveau d’avant la pandémie.

1,2 million de nuitées
En 2022, les nuitées des Swiss Deluxe Hotels ont atteint un niveau d’occupation similaire à celui de 2019. Elles ont augmenté de 18,3% sur un an pour atteindre plus de 1,2 million.

35% de clients suisses
La clientèle helvétique oscille aux alentours de 35% de parts de marché. En 2022, la croissance des clients en provenance des Etats-Unis s’est élevée à 63% et celle des clients des pays du Golfe à 38%.

Quel segment fonctionne le mieux, les hôtels urbains ou ceux situés en montagne?
Les hôtels en montagne n’ont jamais aussi bien marché. La période d’exploitation est plus courte, mais on fait du non-stop de l’ouverture à la fermeture. Les prix moyens de certains établissements n’ont jamais été aussi hauts. On s’adresse à une clientèle de loisirs et c’est elle qui reste la plus forte. Les hôtels de ville connaissent plus de fluctuations. Le segment «groupes» n’est pas revenu au même niveau qu’avant la pandémie.

Ressentez-vous le fait que les gens voyagent moins pour les affaires?
Oui, cela se voit. La perte est d’environ 30%, ce qui n’est pas négligeable, notamment dans les périodes creuses.

Quelles sont les pistes pour y remédier?
La première piste est de travailler sur la rétention des clients, donc un service ultra-personnalisé. Les travailleurs nomades sont également un vivier intéressant. Il va falloir capter leurs attentes et y répondre. Il s’agit de gens qui s’installent quelques mois dans une ville, puis dans une autre. Les hôtels doivent avoir une offre spécifique pour eux, notamment en matière de coworking. Ces personnes ont souvent envie de se retrouver dans un même espace avec d’autres personnes qui fonctionnent de la même manière. Le bien-être est aussi un développement à fort potentiel.

Quels cantons ou régions linguistiques se portent le mieux?
Dans notre domaine d’activité, les hôtels sont avant tout des destinations. Il est donc difficile de répondre à cette question. Par exemple, les gens qui viennent au Beau-Rivage Palace viennent d’abord pour l’hôtel et seulement ensuite pour la région, qui est certes magnifique!

Sentez-vous que le facteur durabilité devient plus important dans le choix de destination de vos clients? Comment cela se manifeste-t-il?
Comme la main-d’œuvre, la durabilité est un sujet central. Aujourd’hui, on retrouve les mêmes magasins partout, tout s’est globalisé. Or les clients recherchent l’inverse. Ils souhaitent revenir à plus d’authenticité, ils donnent plus d’importance au local. C’est une demande qui s’accentue. Ils veulent savoir d’où viennent les produits, ne veulent plus de plastique à usage unique. C’est la même chose en ce qui concerne la responsabilité sociale. Ces préoccupations concernent aussi nos employés et doivent s’inscrire dans nos valeurs.

Comment agissez-vous concrètement sur ce sujet?
Par exemple en travaillant en priorité avec des entreprises de la région, en n’utilisant plus de pailles ou de capsules de savon ou de shampoing, ainsi que dans le traitement des déchets. C’est un sujet très vaste. Il est important d’être bien encadré et de mettre des processus en place pour ne pas s’éparpiller. Suisse Tourisme a notamment lancé le label Swisstainable qui fournit une charte à suivre dans chaque département. En interne, il est important d’avoir un groupe de gens vraiment motivés à s’investir et qui peuvent fonctionner en mode transversal pour changer la culture de l’entreprise.

Quels obstacles rencontrez-vous dans ce domaine?
Il y a parfois des obstacles économiques ou esthétiques, ainsi que de mesure des résultats. Il faut trouver le bon équilibre entre le fond et la forme. C’est pourquoi il nous arrive de nous tourner vers des sociétés qui proposent des solutions créatives tout en restant élégantes. Quoi qu’il en soit, investir dans la durabilité revient à investir dans le futur.

Comment va évoluer, selon vous, l’hôtellerie de luxe dans les années à venir?
Le souci lié à la main-d’œuvre restera un sujet central, car l’humain fera toujours la différence. La durabilité fera partie de toutes nos réflexions. Le bien-être va aussi gagner en importance. Les gens ne veulent plus vieillir et souhaitent prendre de plus en plus soin d’eux. Le but est que le client revienne transformé de son séjour. Un vrai retour à l’authenticité. Et, bien sûr, le digital et la technologie seront de plus en plus incontournables. Ils doivent rester un outil au service de l’humain. Prenons un exemple: lorsque l’on fait un check-in, y a-t-il une valeur ajoutée à donner des clés et demander un passeport? C’est tout le contraire pour un concierge qui vous fournit les meilleurs plans et adresses de la région. Il faudra donc utiliser toute la technologie possible dans les back-offices, afin que les soft skills des employés puissent être valorisés lorsqu’ils arrivent sur scène pour faire leur show. Car, au final, un hôtel, c’est comme un théâtre.

Bio express

1995
Premier poste à Paris à l’hôtel Lutetia dans le domaine commercial et marketing.

1998
Départ à New York où elle travaille pour le groupe Rosewood Hotels & Resorts.

2010
Direction générale du Connaught à Londres, avant de retrouver la Suisse et le Beau-Rivage Palace.

William Türler
William Türler