La Suisse est un nain en matière de production de batteries. En 2018, elle n’a exporté que pour 182 millions de francs de batteries et accumulateurs fabriqués entre autres par Swatch, Leclanché, Wyon ou Innolith. En revanche, le pays fait figure de géant dans la recherche sur ces technologies, un secteur qui se traduit déjà par le développement de produits par des start-up et de grandes entreprises d’une valeur de plusieurs milliards.

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Les plus grands bénéficiaires sont les constructeurs automobiles et les fournisseurs d’électricité européens, américains et asiatiques. Le marché est mondial et les innovations sont réalisées entre Genève et Appenzell. Les brevets et licences de nouvelles technologies de batteries seront donc déterminants pour la Suisse, où la production est faible.

L’écueil du financement

C’est le scientifique américain John Goodenough qui est à l’origine de l’essor spectaculaire de ces batteries. Avec le Japonais Akira Yoshino et le Britannique Stanley Whittingham, il a décroché en octobre le Prix Nobel pour avoir mis au point la technologie lithium-ion. En Suisse, aujourd’hui, des escouades de chercheurs s’échinent à les améliorer à l’institut fédéral de recherche pour les sciences de matériaux (Empa), à l’Institut Paul Scherrer, au sein des EPF et dans de multiples entreprises privées.

Le plus grand écueil dans la recherche sur des batteries d’un type nouveau est le financement jusqu’au stade de la commercialisation. Les acteurs se plaignent de la timidité, pour ne pas dire des réticences des banques. Et le capital-risque est chiche. Il faut donc des chefs d’entreprise comme Nick Hayek, à la tête de Swatch, pour investir des millions dans des projets qui peuvent parfois échouer.

L’autre facteur limitatif tient à la physique: la densité énergétique des batteries par unité de poids et de volume s’est certes améliorée, mais on est presque arrivé à la limite du faisable pour les batteries lithium-ion destinées aux smartphones et aux véhicules électriques. On travaille certes encore sur la performance, d’autant que, bientôt, ce sera au tour des avions de voler à l’électricité. Mais ce jour-là, il faudra une nouvelle révolution, à l’instar de celles lancées par Alessandro Volta (1745-1827), l’inventeur de la pile électrique, et par John Goodenough, né en 1922, inventeur de la batterie lithium-ion, pour que les batteries deviennent encore plus performantes, plus durables et qu’elles supportent davantage de cycles de recharge.

En laboratoire, on y est déjà parvenu. Les batteries à dépolarisation par l’air et les cuves d’électrolyte à sels fondus ne sont plus des rêves d’avenir. Mais pas encore mûres pour être mises sur le marché. Il y manque encore le courage et l’argent, pas le savoir-faire.

SWATCH GROUP Le bricoleur

Le producteur de montres Swatch Group fait partie des entreprises les plus courageuses dans la recherche sur les batteries. La famille Hayek a fondé, il y a onze ans déjà, Belenos, qui planche sur une technologie destinée à améliorer la performance des batteries de 30% et doubler leur durée de vie tout en divisant par deux le temps de recharge. La formule, qui se fonde sur le pentoxyde de vanadium, était surtout destinée aux véhicules électriques.

Mais ces efforts n’ont pas encore été couronnés de succès et le groupe Swatch se montre peu bavard à ce sujet. Aussi le conseil d’administration a-t-il décidé de reprendre les choses à zéro et de miser sur le lithium. Belenos jouit d’une certaine notoriété grâce à l’acteur George Clooney, ambassadeur des montres Omega et membre du conseil d’administration de Belenos.

En matière de batteries, l’autre pilier de Swatch est le producteur de piles boutons Renata, spécialisé dans les batteries de petite taille utilisées dans les montres. Son directeur de recherche, Pascal Häring, assume désormais plus de responsabilités chez Belenos, le but étant toujours de mettre au point des batteries plus performantes. A ce jour, 34 millions de francs ont été investis dans Belenos et plus de 30 collaborateurs tentent d’y fomenter la révolution espérée.

LECLANCHÉ Le traditionaliste

Longtemps, le fabricant de batteries Leclanché, à Yverdon, a été spécialisé dans les batteries pour bateaux, sites industriels, réseaux électriques, bus et trains (il vient notamment de décrocher un contrat de près de 100 millions de francs pour le groupe canadien Bombardier). L’entreprise prend désormais pied dans le secteur des poids lourds et collabore avec le géant mondial Toyota. L’entreprise travaille sur la technologie éprouvée lithium-ion.

Ses développeurs misent sur le fait que, ces cinq à dix prochaines années, on verra peu de changements dans les technologies pour batteries. «Nous nous concentrons sur ce qui peut être concrètement produit, moins sur la mise au point de technologies révolutionnaires au stade précoce», commente le responsable de la recherche, Pierre Blanc.

Car pour Leclanché, les priorités actuelles sont la production, la commercialisation et les revenus qui en découlent. L’entreprise est en effet dans l’ultime phase de son redressement. Ces dernières années, elle a accumulé les pertes: quelque 35 millions en 2017, 52 millions en 2018. Leclanché consacre 10% de son chiffre d’affaires, soit environ 6 millions, au développement de produits commercialisables.

WYON Le spécialiste

L’entreprise familiale appenzelloise a été fondée il y a vingt ans et emploie 120 collaborateurs. Nul ne se doute que Wyon développe des batteries destinées aux sciences de la vie. Dans certains marchés de niche, elle est même leader. Notamment pour les aides auditives, les applications diagnostiques et les implants. Elle compte parmi ses clients des géants américains de la tech, de même que des start-up en Europe, aux Etats-Unis et en Israël, pour qui Wyon réalise de multiples mandats de développement.

Ses best-sellers: les micro et mini-batteries insérées dans des coques de plastique. «Avec le métal, on est limité à des formes cylindriques ou prismatiques, explique Peter Wyser, chargé du développement des marchés. Avec des boîtiers de plastique, nous pouvons par exemple nous adapter aux données anatomiques.» Wyon dessine ainsi des batteries minuscules mais à haute capacité pour la médecine. La technologie utilisée est certes le lithium-ion, mais réalisée dans une micro-dimension. Le nombre de cycles de recharge est notablement plus élevé que pour les batteries traditionnelles d’appareils tels que les montres, smartphones et autres laptops. En fait, chaque batterie est réglée sur la durée de vie de l’application: 2000 cycles de recharge et plus, pour une durée de vie d’au moins cinq ans.

INNOLITH Le pionnier

Alan Greenshields, le patron du fabricant de batteries bâlois Innolith, croule sous les sollicitations des plus grands patrons de la planète. Ils s’intéressent à sa nouvelle super-batterie, équipée d’un électrolyte inorganique, dont les matières organiques ont été éliminées. «Notre innovation consiste à fabriquer pour la première fois des systèmes longèves à l’aide d’électrolytes inorganiques bien connus. Et cela, pour 50 000 cycles de charge et plus, comme nous l’avons testé.» Le résultat d’années de recherche.

Innolith est déjà en négociations avec de grandes entreprises d’Europe, des Etats-Unis et de Chine actives dans l’automobile et la fourniture d’électricité. La technologie lithium-ion est ici aussi la base, mais l’électrolyte entre les pôles plus et moins est un liquide ininflammable, une substance sans danger par rapport à d’autres batteries. Les batteries compactes des smartphones peuvent avoir la force explosive d’une grenade, les grandes batteries d’une puissance de 1 mégawattheure celle de 0,8 tonne de TNT.

La super-batterie est déjà utilisée par les grands distributeurs de courant américains. Elle séduit désormais aussi les producteurs de véhicules électriques et de smartphones. Les dernières sollicitations à Innolith proviennent de constructeurs d’avions.

ECOVOLTA Le praticien

Avec ses 60 collaborateurs, le fabricant schwytzois de batteries produit plus qu’il ne s’adonne à la recherche. Ecovolta est le département batteries de l’entreprise écologique Ecocoach. Son offre s’étend des packs de batteries aux moteurs électriques de bateaux ou de scooters électriques, en passant par les solutions domotiques.

Ecovolta se concentre surtout sur la production de solutions individuelles. Sur son site de 7500 mètres carrés, il produit des packs de batteries lithium-ion de diverses classes de performance, pour un volume annuel de 200 mégawattheures. Au moins 80% de la production consiste en batteries de traction standards (à raison de 200 pièces par mois). Parmi elles, des batteries de traction pour accumulateurs d’immeubles et de courant fort. «Cela permet des performances élevées sans refroidissement actif mais avec une grande sécurité», informe le chef de la distribution, Mattias Gienal. Autrement dit, des batteries à haute performance qui tiennent le coup.

Par exemple des solutions énergétiques mobiles, sur roues, avec 8 kilowattheures d’énergie, qui fonctionnent comme des générateurs diesel. Parmi les clients figurent le constructeur de véhicules communaux Aebi Schmidt, le constructeur de poids lourds E-Force One et le producteur de machines de chantier Leiser.


Bel avenir pour les batteries à matériau solide

Le chercheur Marcel Gauch, délégué à la durabilité au sein de l’Empa, explique pourquoi la Suisse est dans le peloton de tête dans ce domaine.

Quelle est la place de la recherche sur les batteries par la Suisse?
Nous figurons dans le peloton de tête, mais nous devons veiller à ne pas être décrochés. Désormais, les Chinois sont plus avancés que ce que nous pensions. La Suisse est leader dans la recherche de liquides alternatifs et de substances solides, avec des ions de sodium et des sels fondus.

Que cherche-t-on exactement?
Des combinaisons d’éléments chimiques, d’autres ions que ceux du lithium, d’autres éléments qui ne sont pas rares et pour lesquels il n’y a pas besoin de déclencher des guerres.

Les matières premières pour les batteries sont-elles maigres?
D’un point de vue géologique, non. Mais d’un point de vue politique, oui. L’exportation est organisée de manière à créer une pénurie. La Chine entend contrôler le marché des terres rares destinées aux moteurs électriques.

Quelle sera la prochaine révolution?
Les réacteurs à métaux ou sels fondus: ce sont des accumulateurs en forme de piscines. En taille plus modeste, j’attribue un bel avenir aux batteries à matière solide plutôt que liquide.

De la musique d’avenir?
Pas tout à fait. Il existe une sous-culture passionnante dans le secteur militaire. Des soldats chargés de sources de courant portables, d’appareils de communication et de vision nocturne. Ils ont le nec plus ultra de ce qui se fait aujourd’hui, notamment les batteries à air, métal et oxydation.

Les nouvelles batteries sont-elles un problème pour l’environnement?
C’est en bonne partie exagéré. Certaines études scandinaves sont alarmistes. Mais, pour nous, leurs conclusions ne sont pas acceptables. Les études américaines voient les choses comme nous.

Bernhard Fischer
Bernhard Fischer (Handelszeitung)