Jeudi dernier, le Conseil fédéral a annoncé des mesures de déconfinement progressif ainsi que, notamment, un élargissement des droits à l’allocation pour perte de gain Covid-19 aux indépendants qui ne sont pas directement concernés par la fermeture des entreprises ou par l'interdiction de manifestations. Parmi les conditions d’octroi, un revenu de l’activité lucrative soumis à l’AVS supérieur à 10 000 francs, mais ne dépassant pas 90 000 francs. Le montant maximal de l’allocation sera donc de 196 francs par jour, soit 5880 francs par mois, comme pour les autres ayants droit à l’allocation pour perte de gain Covid-19.

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Mais d’autres inconnues dans le monde économique subsistent encore. Parmi elles, le soutien aux start-up. Ces dernières semaines, plusieurs voix se sont élevées, estimant que les jeunes pousses sont les grandes oubliées de l’aide étatiques. Différentes propositions émergent, comme la création d’un «fonds pandémie» destiné à alimenter des prêts partiellement cautionnés par la Confédération, une idée notamment soutenue par Judith Bellaiche, conseillère nationale et co-présidente du groupe parlementaire «start-up et entrepreneuriat». Entretien avec Jordi Montserrat, cofondateur, en 2004, de l’accélérateur et plateforme d’innovation Venturelab.

Vous avez quotidiennement contact avec des fondateurs de start-up. Dans quel état d’esprit sont-ils en ce moment?

Les start-up avec lesquelles je discute sont dans un état d’esprit d’adaptation. Elles n’ont de toute façon guère le choix, mais une grosse partie d’entre elles s’inquiète clairement pour leur avenir. Nous avons mené un coup de sonde auprès de quelque 700 start-up et plus de 300 d’entre elles nous ont répondu que leur existence même était menacée ces prochains mois. L’environnement incertain créé par le coronavirus a déjà sévèrement affecté les investissements. Ainsi, au premier trimestre 2020, les levées de fonds se sont élevées à 254 millions de francs, contre 658,7 millions de francs à la même période en 2019. Certes, les chiffres 2019 ont été influencés par deux mega-rondes (Arvelle Therapeutics et Wefox, ndlr), mais même en les déduisant, on compte une baisse d’environ 30% des investissements.

De quoi auraient besoin les start-up aujourd’hui?

Il faut comprendre que les start-up ne fonctionnent pas comme une PME standard. Certaines ont levé des fonds récemment et n’ont pas de soucis de cash immédiat mais le gros problème, c’est que tout a été stoppé, et ceci dans le monde entier. Dès lors, leur entrée sur un marché ou le développement des produits prend du retard – l’EPFL est fermé, par exemple – et pendant ce temps, elles ont des charges à payer. Certaines start-up peuvent demander le chômage partiel pour leurs employés mais beaucoup sont dans une situation de démarrage, sans revenus ou profits.

Or, les baisses d’investissements dans les start-up induits par cette crise seront mesurables à long terme. Si je me base sur les statistiques de ces cinq dernières années de Venture Kick, qui soutient la création de jeunes pousses, c’est un potentiel de quelque 2000 à 3000 emplois à forte valeur ajoutée qui peut disparaître. C’est un potentiel invisible anéanti si la Suisse ne les soutient pas. Imaginez une société comme Flyability qui se serait retrouvée en pleine phase de démarrage durant cette crise. Eh bien, ce serait une centaine d’emplois qui n’auraient jamais pu être créée!

Quelles sont les pistes possibles de soutien aux start-up?

Plusieurs propositions émanent de l’écosystème des start-up. Certains s’inspirent de ce qui se passe à l’international: des pays comme la France (2 milliards d’euros), l’Allemagne (4 milliards d’euros) ou Taïwan ont opté pour la création d’un fonds pandémique dédiés aux start-up. D’autres pensent à la mise en place d’un système de «matching» entre investisseurs et start-up, garanti à un certain pourcentage par la Confédération. De notre côté, nous avons proposé que les prêts corona ne soient pas seulement basés sur le chiffre d’affaires mais tiennent aussi compte des caractéristiques propres aux start-up, telles que les prix à l’innovation ou l’argent perçu pour des projets de R&D. Selon nos calculs, et suite au coup de sonde mené auprès des 700 start-up, il leur faudrait un cautionnement d’environ 280 millions de francs. Le conseiller fédéral Guy Parmelin a chargé le Seco de plancher sur cette problématique et nous devrions avoir des réponses fin avril.

Certains cantons ont déjà mis en place des systèmes de soutien.

Oui, dans les cantons où les start-up ont une masse critique, j’observe une plus grande sensibilité politique vis-à-vis des start-up. Zurich a assoupli les règles qui leur permettent d’accéder aux cautionnements bancaires. Le canton de Vaud a annoncé une allocation de 20 millions de francs pour le soutien des start-up et scale-up touchées par le Covid-19 sous forme de prêts sans intérêt. C’est la FIT (Fondation pour l’innovation technologique) qui est chargée de gérer le déploiement et nous en saurons plus d’ici fin avril aussi.

Vos roadshows aux Etat-Unis aux Etats-Unis et en Chine ont bien sûr été repoussés. Comment voyez-vous le reste de l’année?

Nos voyages avec les start-up ont en effet été réagendés pour cet automne et on croise les doigts pour que ces déplacements puissent à nouveau avoir lieu. Mais à quoi ressembleront les voyages en octobre? Devrons-nous nous munir d’un passeport d’immunité au Covid-19? Est-ce qu’il y aura des «quatorzaines» obligatoires avant de rentrer dans un pays? Difficile de le savoir à l’heure actuelle. De notre côté, nous avons basculé sur la formation en ligne et mettons un point d’honneur à ce que Venture Kick continue à investir 5 millions de francs dans les start-up suisses.

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Elisabeth Kim