Chaque année, 2,6 milliards de francs sont investis dans l’innovation alimentaire en Suisse selon le hub Swiss Food & Nutrition Valley. De l’agriculture aux transports en passant par la nutrition et la vente, l’ensemble des entreprises du secteur s’activent aujourd’hui à intégrer les nouvelles technologies afin d’améliorer leur productivité et s’accorder aux valeurs de durabilité actuelles.

L’industrie alimentaire et agricole représente un secteur majeur de l’économie suisse (voir encadré ci-dessous). «Il y a un vrai savoir-faire, technologique d’une part, au travers par exemple de synergies avec l’EPFL ou l’Unil, et commercial, d’autre part, souligne Jean-Philippe Kunz, ancien directeur commercial chez Nestlé et cofondateur de Gnubiotics, une start-up spécialisée dans l’utilisation alimentaire de nouvelles molécules. Des milliers de gens formés et expérimentés, qui ont travaillé pour des groupes comme Nestlé, Philip Morris ou Novartis, sont présents en Suisse romande. Ils ont la capacité d’identifier les insights du marché pour bâtir des stratégies de lancement efficaces et les amener jusqu’aux consommateurs. Les grandes entreprises disposent d’un formidable accès aux marchés, mais les PME sont plus agiles et créatives.»

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Aujourd’hui, la Suisse vise rien de moins qu’à se positionner en leader mondial de l’innovation alimentaire. Tour d’horizon.

1| Réinventer la chaîne alimentaire

Dans le secteur alimentaire, les chaînes d’approvisionnement peuvent être très complexes avant que le produit final n’arrive jusqu’au consommateur. Dans une pizza congelée, chaque ingrédient peut venir de producteurs et fournisseurs différents, et même souvent de pays différents. Chacun de ces producteurs et fournisseurs peut à nouveau avoir recours à d’autres sous-traitants. Une étude publiée en janvier 2019 par l’entreprise logistique belge Zetes montre que seulement 30% des 450 entreprises européennes interrogées déclarent avoir une visibilité totale sur leurs chaînes d’approvisionnement.

Dans le même temps, les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux origines des produits, surtout concernant l’alimentation. Ainsi, dans le Rapport agricole 2019 de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), la majorité des Suisses déclarent préférer les produits animaliers et laitiers qui sont fabriqués localement.

Sur les traces des aliments

Néanmoins, le chemin vers une plus grande transparence est long, comme le constate Burkhard Stiller, professeur spécialisé dans les systèmes de communication à l’Université de Zurich: «Le défi consiste à trouver des standards pour des processus qui sont très fragmentés. Il faut faire face à des régulations juridiques divergentes, à des barrières de langues ou à des incompatibilités numériques – les données enregistrées chez un fournisseur A ne sont pas toujours comparables avec celles d’un fournisseur B.»

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Francisco Klauser, Université de Neuchâtel
© DR

On assiste à deux tendances dans le secteur agricole: automatisation des outils et interconnectivité.

Les spécialistes des chaînes d’approvisionnement placent ainsi beaucoup d’espoir dans la technologie blockchain. Ce système d’enregistrement d’informations décentralisé et très sécurisé – chaque membre de la blockchain dispose à tout moment d’un accès à toutes les informations qui y sont enregistrées et à tous les changements effectués au sein du système – est ainsi testé par Nestlé depuis deux ans pour l’approvisionnement en matières brutes, comme le lait ou l’huile de palme.

De son côté, le groupe Migros utilise un système basé sur la blockchain pour les fruits et légumes. Le procédé permet d’obtenir des informations exactes à chaque étape de la chaîne logistique, par exemple le temps passé chez chaque fournisseur, mais aussi des données en lien avec le stade de maturité des produits, confirme Tristan Cerf, porte-parole du groupe.

Le gâchis du gaspillage

C’est un vrai atout de la blockchain, étant donné que les pertes de fruits et légumes peuvent atteindre 35% pendant la phase de transport, estime l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Pourtant, le professeur Burkhard Stiller reste prudent: «Ces systèmes dépendent de la fiabilité des données qui y sont enregistrées. Par exemple, un capteur mesurant les qualités chimiques d’un aliment peut être manipulé. Il faudrait donc que ces capteurs soient calibrés par une organisation indépendante pour s’assurer que les données entre les différents fournisseurs sont bien comparables.»

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La balance développée par la start-up de Naomi MacKenzie (à g.)et d’Anastasia Hofmann mesure le gaspillage alimentaire chez les restaurateurs, qui peuvent dès lors mieux planifier leur logistique.
© S.Liphardt/PME Magazine

Un autre problème de la chaîne alimentaire concerne les déchets. Selon l’Office fédéral de l’environnement, en Suisse, tous les ans, 1,7 million de tonnes d’aliments sont jetées alors qu’ils seraient encore comestibles – cela représente 190 kilos par personne! La start-up lausannoise Kitro veut s’attaquer à ce problème dans les restaurants, les cantines et les hôtels. Elle a développé une balance qui analyse chaque aliment jeté dans un établissement. A l’aide de l’intelligence artificielle, il est possible de savoir si un ingrédient est encore consommable au moment où il est jeté, s’il y a des jours où il y a plus de déchets que d’habitude ou si le déchet provient d’une surproduction ou d’un retour d’assiette.

«Toutes ces informations sont affichées en format interactif sur une plateforme personnalisée, ce qui permet ensuite à nos clients d’adapter leurs processus», explique Nina Müller, cheffe de projet chez Kitro. Ainsi, l’hôtel Riders à Laax (GR) a pu réduire son gaspillage par couvert de 57%. La jeune entreprise compte pour l’instant 13 groupes parmi ses clients, en Suisse et à l’étranger.

Parmi les autres jeunes pousses luttant contre le gaspillage alimentaire, Agrosustain. Fondée par la biologiste Olga Dubey – nommée l’an dernier dans la liste de Forbes des 30 entrepreneurs de moins de 30 ans –, la start-up de Nyon travaille sur une molécule d’origine végétale luttant contre les champignons qui attaquent les cultures maraîchères et les vignes, responsables des moisissures. Un fléau pour l’agriculture: les champignons pathogènes provoquent chaque année dans le monde des pertes agricoles estimées à plus de 200 milliards de francs.

2| Les nouvelles technologies en renfort

Vente en ligne, numérisation, les producteurs de denrées alimentaires utilisent les nouvelles technologies pour séduire les acheteurs urbains. «Les entreprises agricoles doivent imaginer de nouveaux modèles durables, en termes environnementaux, économiques et sociaux, soutient Julie Schüpbach, responsable marketing et projets à l’Agropôle de Molondin (VD). Les consommateurs ont eu une prise de conscience et ont désormais envie de manger local, mais il est difficile de s’approvisionner en circuits courts au quotidien. Un des défis actuels consiste donc à faciliter l’accès aux produits locaux dans les centres urbains.»

Rendre attractifs les produits locaux existants grâce à la numérisation représente un des buts de la société Farmy. L’entreprise zurichoise créée en 2014 utilise la vente en ligne pour proposer des denrées directement issues de son réseau de 1000 producteurs, puis livrées à domicile en véhicules électriques. En coupant les intermédiaires, la PME de 200 employés valorise les marges des agriculteurs. «Nous évitons également le gaspillage alimentaire puisque nous n’avons pas de stocks de produits frais», souligne Chiara Eckenschwiller, Marketing Manager pour la Suisse romande.

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Julie Schüpbach, Agropole de Molondin
© DR

Un des défis actuels consiste à faciliter l’accès aux produits locaux dans les centres urbains.

Renforcée par la crise du coronavirus, l’entreprise a enregistré une hausse record des commandes de 160% au premier semestre par rapport à l’année précédente, avec une augmentation des ventes de 255% au mois d’avril par rapport à la même période l’année précédente, grâce notamment à un gonflement du panier d’achat moyen, qui est passé de 120 francs à près de 180 francs. Au premier semestre, Farmy a ainsi plus que doublé son chiffre d’affaires, passant de 4,5 millions de francs en 2019 à 11,5 millions en 2020.

L’élan provoqué par la crise s’est aujourd’hui calmé, mais l’entreprise enregistre toujours une croissance des ventes de 194% en juin. «Le public a découvert une nouvelle façon de consommer, détaille Chiara Eckenschwiller. Cette alternative lui permet d’économiser du temps, tout en s’engageant dans une consommation plus responsable.»

A Bavois, l’épicerie 2.0

«La production alimentaire est aujourd’hui construite en silos, explique Julie Schüpbach de l’Agropôle. Le producteur vend ses produits aux fabriques qui fournissent la grande distribution, qui revend, quant à elle, au consommateur. Le producteur perd le lien direct avec le consommateur et il y a beaucoup de carcans. Depuis la crise du coronavirus, la tendance à la consommation directe à la ferme s’est accélérée, mais cela concerne majoritairement l’achat de produits bruts comme les légumes, alors qu’il ne faut pas oublier l’artisanat de transformation, comme, par exemple, la boucherie ou la boulangerie.»

Nous voulons valoriser les productions locales en faisant revivre une épicerie de village.

Stéphanie Favre, cofondatrice La Petite Epicerie

Ouverte 24h/24, La Petite Epicerie, à Bavois (VD), impose un nouveau modèle de vente. Une application mobile permet d’ouvrir la porte du local, les clients se servent ensuite de leur smartphone pour scanner les produits, s’informer sur le producteur, puis payer en ligne ou sur place en toute autonomie.

«Nous voulons valoriser les productions locales en faisant revivre une épicerie de village, explique Stéphanie Favre, une des quatre cofondatrices. Les producteurs achalandent eux-mêmes leurs présentoirs qu’ils peuvent observer à distance et remplir en conséquence.» Le modèle convainc et dynamise les villages parfois désertés de leurs commerces. Forte de son succès, La Petite Epicerie a ouvert une franchise à Juriens (VD) en mars 2020 alors que d’autres communes manifestent déjà leur intérêt.

3| L’ère des «superaliments» et des «fausses viandes»

Suivant les nouvelles tendances alimentaires, Nestlé a lancé fin août 2020 la commercialisation d’un nouveau substitut végétal au thon à base de protéines de pois. Les PME suisses innovent aussi dans les produits proposés aux consommateurs. Pour y parvenir, elles surveillent les tendances en matière de nutrition. Marlyne Sahakian, sociologue à l’Université de Genève, a identifié dans l’étude «Swiss Diets» six prescriptions alimentaires désormais dominantes dans le pays.

«Il s’agit d’une alimentation naturelle et biologique, locale et saisonnière, un régime végétarien et végétalien, ou avec une consommation de viande réduite et plus qualitative, d’un régime équilibré et, enfin, du fait de manger comme source de plaisir. Comme vous le voyez, certaines prescriptions sont contradictoires (manger de la viande versus être végétarien) quand d’autres se chevauchent (alimentation locale et biologique).»

Au niveau mondial, le marché des substituts de viande – d’origine végétale ou à partir de cellules fabriquées en laboratoire – atteindra 140 milliards de dollars d’ici dix ans, selon une estimation de la banque Barclays. Cela correspond à 10% des ventes mondiales de viande, contre 1% actuellement. La Suisse figure d’ailleurs parmi les quatre pays où l’on investit le plus dans les viandes alternatives, relève l’organisation Good Food Intitute.

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Fabriqué à base de protéines et de fibres de pois jaunes, d’huile de colza et d’eau, le faux poulet de la start-up zurichoise Planted Chicken est distribué par les magasins Coop.
© M.Rickli

Pour Nestlé, les substituts végétariens à la viande constituent un vecteur de croissance. Lors de la vente de sa filiale Herta (charcuterie), le géant de l’agroalimentaire a ainsi conservé son assortiment de produits végérariens, comme les steaks véganes commercialisés sous la marque Gate Gourmet. De son côté, Bell Food Group a investi 2 millions d’euros dans la start-up néerlandaise Mosa Meat en 2018. En juillet, la filiale de Coop annonce un investissement supplémentaire de 5 millions d’euros dans cette jeune pousse considérée comme leader mondial de la viande bovine «cultivée» en laboratoire. En 2013, Mosa Meat faisait sensation en présentant le premier hamburger de synthèse.

Le distributeur suisse propose également depuis le début de cette année du «faux» poulet, fabriqué à partir d’eau, de protéines et des fibres de pois jaunes, concocté par la start-up zurichoise Planted Chicken.

Le marché des substituts de viande pèsera 140 milliards de dollars d’ici dix ans selon une étude de la banque Barclays.

Séduire les flexitariens (personnes ayant drastiquement réduit leur consommation de produits carnés) est aussi l’une des ambitions d’Alver, à Saint-Aubin (FR). Depuis sa création en 2017, la PME a mis au point des aliments «Swiss made» composés de microalgues protéinées. «Nous utilisons de la golden chlorella, explique la cofondatrice Majbritt Byskov-Bridges. C’est un produit révolutionnaire car il n’a ni le goût ni l’odeur de l’algue. Nos pâtes sont composées de 22% de protéines équivalentes à la viande, mais gardent le goût traditionnel des pâtes italiennes. En outre, la chlorella renforce le système immunitaire, grâce à un taux élevé de zinc, et élimine les métaux lourds et les pesticides.»

Des recherches de Stanford à Epalinges

Dans l’ombre des géants alimentaires suisses, dont Nestlé et ses dix centres R&D dans le pays, figure également l’entreprise technologique Gnubiotics. Située à Epalinges (VD), elle développe un portefeuille de produits basé sur des nouvelles molécules appelées «glycanes». «Nous avons acquis l’utilisation exclusive d’une famille de glycanes identifiée par l’Université Stanford, précise son cofondateur Jean-Philippe Kunz. Nous avons ensuite déposé des brevets supplémentaires pour protéger la manière dont nous recréons cet assemblage de structures très complexes, naturellement présent dans le lait des mammifères. Nous avons également mené à bien plusieurs études cliniques pour démontrer ses bénéfices potentiels sur la santé.»

Cette famille de glycanes a trois fonctions intéressantes: «Elle permet de produire de l’énergie nécessaire au développement de bonnes bactéries dans le tube digestif. Elle sert aussi de leurre contre les microbes susceptibles d’infecter les cellules. Enfin, elle se colle sur la paroi intestinale, la renforce et améliore ainsi le système immunitaire.» Financée par une levée de fonds totale de près de 9 millions de francs, la jeune pousse vaudoise travaille sur quatre types d’applications possibles: nutrition animale, humaine ou médicale et les cosmétiques.

La PME de huit employés est particulièrement avancée en matière de nutrition animale, ce qui lui permettra de générer des revenus fin 2020. Elle fait fabriquer en Allemagne un premier ingrédient (AMObiome) qu’elle commercialise à toutes les grandes marques de pet food. «Nous avons commencé par le volet animal car son développement et, par conséquent, ses revenus sont plus rapides.»

4| Quand les robots investissent les champs

Le volume du marché mondial des robots agricoles s’apprête à passer de 5 milliards de francs aujourd’hui à plus de 20 milliards d’ici à 2025, selon le cabinet d’analyse Markets and Markets. Les exploitations les plus modernes – notamment aux Etats-Unis – ont d’ores et déjà recours à des tracteurs autonomes, des drones analysant la croissance des plantes, ou encore des capteurs intelligents placés dans le sol.

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Le robot autonome d’Ecorobotix, alimenté par l’énergie solaire, pulvérise les mauvaises herbes avec une telle précision que l’usage des désherbants peut être réduit jusqu’à 95%. Un bijou technologique qui sera commercialisé en 2022.
© Spieker Fotografie

Ces progrès s’inscrivent dans un double défi: augmenter le rendement des terres pour nourrir une population globale croissante (presque 10 milliards d’individus sur la Terre vers 2060 selon les projections), tout en limitant les effets négatifs sur le sol et l’environnement. «Actuellement, on assiste à deux grandes tendances dans le secteur agricole: d’un côté, l’automatisation des outils, de l’autre, l’interconnectivité, c’est-à-dire l’échange d’informations entre ces différents appareils», explique Francisco Klauser, professeur à l’Institut de géographie de l’Université de Neuchâtel.

En Suisse, la Confédération soutient cette démarche. Ainsi, en 2018, le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann a signé la Charte sur la numérisation dans l’agriculture avec de nombreuses entreprises et organisations du secteur. La même année, le projet Swiss Future Farm a vu le jour à Tänikon (TG) avec le soutien de l’Agroscope, le centre de compétences de la Confédération pour la recherche agricole. Sur plus de 80 hectares de terres, les chercheurs testent de nouvelles technologies dans des conditions réelles, telles que la fertilisation à l’aide de drones ou l’emploi d’outils agricoles traditionnels équipés de caméras intelligentes.

Désherbage intelligent

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Le drone de Sensefly pour cartographier les champs.
© Sensefly

Plusieurs entreprises suisses sont actives dans ce secteur et travaillent avec de grandes sociétés agricoles dans le monde entier. Le spécialiste de drones vaudois Sensefly a, par exemple, développé des engins volants qui, combinés à des caméras thermiques et multispectrales, permettent à ses clients – dont une grande partie se trouvent aux Etats-Unis et en Amérique du Sud – de créer des cartes précises de leurs cultures. Grâce à ces cartes, il est possible de connaître exactement la période de croissance de chaque plante et de constater d’éventuelles maladies. En fonction de ces données, les doses de pesticides peuvent être définies de manière plus précise.

La scale-up Ecorobotix s’affirme également comme un acteur majeur. Lancée en 2011 à Yverdon-les-Bains, elle a conçu un robot désherbant autonome. Des tests récents en France en collaboration avec la sucrière Tereos ont montré que 80% des plantes adventices (mauvaises herbes) d’un champ avaient été détectées et pulvérisées. L’objectif: réduire, à terme, jusqu’à vingt fois l’utilisation d’herbicides. L’industrialisation du robot est prévue pour 2022, précise la porte-parole Isabelle Aeschlimann.

Selon Francisco Klauser, il est cependant important de prendre en compte les spécificités de chaque technologie: «L’emploi d’appareils digitaux peut entraîner des problèmes liés à des défauts techniques ou à la dépendance de logiciels spécifiques. A cela s’ajoute un investissement initial important qui est plus facile à réaliser pour les grandes sociétés agricoles que pour les PME. Aussi, un drone peut facilement survoler un champ très étendu en Amérique, mais aura plus de difficultés dans des contrées plus vallonnées comme le Valais.»


Les chiffres de l’agroalimentaire

  • Industrie
    Le secteur alimentaire et agricole compte près de 50 000 établissements et 51 000 exploitations agricoles, soit plus de 230 000 emplois selon l’Office fédéral de la statique (OFS).
  • Exportations
    En 2018, la Suisse a exporté pour 8,9 milliards de denrées alimentaires et boissons (OFS).
  • Investissement
    Chaque année, 2,6 milliards de francs sont investis dans l’innovation alimentaire selon le Swiss Food & Nutrition Valley.
  • Gaspillage
    En Suisse, on estime à 2,6 millions de tonnes les déchets alimentaires, dont deux tiers seraient évitables selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Environ 43% des 1,7 million de tonnes de déchets alimentaires évitables sont à mettre sur le compte de l’industrie agroalimentaire. Les hôtels et restaurants pourraient réduire de 68% le gaspillage.
  • Viande
    L’élevage animal représente 36% du total des émissions de gaz à effet de serre de la production alimentaire, selon le GIEC. Dans le monde, environ 35 kilos de viande par personne sont consommés chaque année. Un chiffre qui s’élève à 50 kilos en Suisse.

Les OGM, ces mal-aimés

Avec l’émergence de nouvelles techniques, les plantes génétiquement modifiées connaîtront-elles un second souffle?

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Pour Etienne Bucher, chercheur à l’Agroscope de Changins, le recours à certains OGM favorise une production agricole plus durable.
© S.Liphardt/PME Magazine

La politique des OGM en Suisse se trouve à un tournant: le moratoire interdisant la culture d’organismes génétiquement modifiés, hormis à des fins de recherche, prendra fin en 2021. Prolongée plusieurs fois, cette interdiction pourrait cette fois-ci se retrouver bouleversée par un nouvel outil: CRISPR-Cas9. La technologie développée au début des années 2010 permet de modifier le génome d’un organisme de manière précise et ciblée, sans que la plante finale contienne de l’ADN d’autres espèces. Au point d’imiter presque la nature, comme l’explique Etienne Bucher, responsable du groupe de recherche Amélioration des grandes cultures et ressources génétiques à l’Agroscope de Changins: «Il est impossible de distinguer une mutation spontanée, qui a eu lieu naturellement, d’une mutation créée par CRISPR-Cas9.»

Le Conseil fédéral a décidé, en novembre 2018, que l’outil CRISPR-Cas9 devait être considéré comme une technique de modification génétique et que le droit actuel en la matière s’y applique. Cependant, il n’exclut pas des adaptations du droit pour prendre en compte les évolutions futures en matière de technologie génétique. Selon Etienne Bucher, le potentiel est important: grâce à CRISPR-Cas9, il serait possible, par exemple, de réduire l’utilisation de toutes sortes de pesticides en augmentant la résistance des plantes aux pathogènes, pour augmenter la biodiversité ou rendre ces dernières plus tolérantes vis-à-vis du réchauffement climatique. «Si l’UE et la Suisse restent sur leur position actuelle, cela constitue un frein majeur à la technologie et pourrait retarder considérablement les efforts vers une production alimentaire plus durable.»

Mais que considère-t-on exactement comme OGM? Il s’agit d’un organisme dans lequel un gène d’un autre organisme a été introduit (on parle de «cisgène» si le gène vient de la même espèce et de «transgène» s’il vient d’une autre espèce). Le plus souvent, le but est d’augmenter la résistance d’une plante – par exemple, du soja ou du maïs – aux herbicides. Ces nouvelles plantes et céréales permettraient de lutter contre la malnutrition et la faim, comme l’a notamment affirmé le chercheur en biologie britannique Richard Roberts, Prix Nobel de médecine en 1993.

Dans les années 1990 par exemple, une équipe de chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) a créé un type de riz plus riche en vitamine A (appelé «riz doré»), grâce à la modification de sa structure génétique. L’objectif: lutter contre les carences dans certains pays asiatiques. Mais les OGM ont un problème d’image: depuis des années, des associations comme Greenpeace militent contre ces organismes en raison de leurs éventuels effets nocifs sur la santé. En Europe et en Suisse, des études régulières établissent que l’opinion publique se montre largement méfiante vis-à-vis des OGM (ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays comme les Etats-Unis). En effet, le «riz doré» n’est, pour l’instant, pas commercialisé à grande échelle.


Alimentation: les bébés se mettent au vert

Fabrication d’aliments, préparation de repas, vente au détail: des dizaines de PME sont actives dans la nutrition pour jeunes enfants.

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La société familiale Holle Baby Food observe un fort engouement pour les produits bios.
© DR

Pour se démarquer des géants mondiaux de l’agroalimentaire, les PME romandes actives dans la «baby food» misent sur le créneau de la durabilité. Une dynamique qui s’explique, d’une part, par une tendance générale en Suisse à adopter une alimentation locale et biologique et, d’autre part, la volonté d’offrir des aliments les plus sains possible aux très jeunes enfants, dont l’organisme est en plein développement. Le scandale du lait pour nourrissons contaminé touchant le numéro un mondial de ce secteur, Lactalis, en 2017, mais également des inquiétudes autour des polluants de type perturbateurs endocriniens présents dans certains contenants ou matières premières, ont accru la vigilance des parents.

Forte de son succès, la boutique en ligne Babygreen.ch a dû déménager dans de plus grands locaux à Chavornay (VD). Cette PME commerciale promet de ne vendre que «des produits non toxiques pour le bien-être de nos bébés et celui de notre planète». Autre exemple, la société Kidelis, de 202 collaborateurs, prépare des repas dans une cuisine centrale au Grand-Lancy (GE) pour les livrer ensuite aux crèches de Suisse romande. Elle a obtenu une norme attestant sa gestion environnementale (ISO 14001: 2015) et livre quelque 4400 repas quotidiens.

Du côté des fabricants de produits conditionnés, le cabinet Euromonitor estime que les produits Premium, comme les laits en poudre aux ingrédients naturels, hypoallergéniques ou sans lactose, tirent la croissance mondiale. «L’agriculture biologique représente un domaine de croissance clé en matière d’aliments pour bébés. Elle permet également aux fabricants de se construire une image de marque centrée sur les produits naturels.»

Holle Baby Food, basée à Riehen (BS), suit justement cette stratégie marketing. Elle est, par exemple, une des seules sociétés à proposer du lait en poudre issu d’élevages biodynamiques détenant le label Demeter et à proposer un assortiment totalement biologique. «La demande en produits biologiques augmente, en particulier en Suisse et en Allemagne, deux pays où nous réalisons plus de la moitié de nos ventes», détaille Angelo Ferrara, directeur de la PME qui a enregistré un chiffre d’affaires d’environ 48 millions de francs en 2019 (+7% en comparaison annuelle).

L’entreprise familiale fabrique ses produits en Italie, Allemagne et Autriche. «Les petits pots et autres produits d’alimentation infantile que nous vendons reposent également sur les recettes les plus naturelles possibles. Nous sommes par exemple parmi les seuls à proposer des préparations mono-légumes ou mono-céréales. Nous veillons aussi à utiliser des emballages plus durables avec des gourdes sans aluminium ou des pots en verre.»


«La Suisse peut, et doit, devenir la Silicon Valley de la nutrition!»

Lancée au début de l’année, la Swiss Food & Nutrition Valley, dirigée par l’ancien conseiller national Fathi Derder, vise à faire de la Suisse un centre de référence de la recherche et de l’innovation dans le domaine de l’agroalimentaire.

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Fathi Derder défendait déjà les intérêts des start-up lorsqu’il était conseiller national (PLR).
© B.Cottet

Annoncée au Forum économique mondial de Davos en janvier 2020, la Swiss Food & Nutrition Valley entend devenir le nouveau pôle international des technologies agroalimentaires. Entretien avec Fathi Derder, ancien journaliste et directeur de ce nouveau réseau.

Quelle est l’origine de ce projet?
Le projet est né d’un constat: l’agroalimentaire représente un des domaines économiques les plus dynamiques du pays, et un des plus grands défis sanitaires et écologiques mondiaux. Les quatre membres fondateurs que sont Nestlé, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) et le canton de Vaud ont décidé de s’associer pour développer cet écosystème et attirer des talents étrangers.

Plus globalement, le défi mondial actuel consiste à nourrir les près de 8 milliards d’habitants sans détruire les ressources de la planète. Le secteur agroalimentaire émet près de 30% des gaz à effet de serre mondiaux, alors qu’une importante partie de la planète est sous-alimentée ou mal nourrie. Aujourd’hui, la technologie et de nouveaux modes de consommation peuvent nous amener à une consommation plus durable, plus saine et toujours savoureuse. Les défis alimentaires actuels offrent au modèle agricole suisse une opportunité unique de se réinventer.

Pourquoi avoir choisi la Suisse romande?
Le canton de Vaud bénéficie d’une tradition gastronomique et agricole de qualité, d’une densité importante d’entreprises et d’institutions scientifiques de niveau mondial, ainsi que de start-up dans les domaines de la foodtech et agritech. Mais bien qu’il soit basé en Suisse romande, ce projet représente un défi pour toute la Suisse. Nous sommes en train actuellement d’intégrer des acteurs clés, comme le réseau Cluster Food & Nutrition basé à Fribourg, le Swiss Food Research de Zurich, ou des entreprises comme Firmenich, Givaudan et à terme tous les acteurs clés du secteur, comme l’ETHZ ou Bühler (groupe suisse actif dans l’industrie mécanique pour le secteur agroalimentaire et céréalier).

La concurrence européenne est forte notamment avec le pôle de Wageningen aux Pays-Bas, mais selon moi, l’idéal serait que l’Europe dans son ensemble devienne leader mondial de la foodtech, avec la Suisse en son cœur.

Les start-up et PME concurrencent les grands du secteur comme Nestlé. Peuvent-elles réellement cohabiter?
Tous les acteurs sont forcément en concurrence puisqu’ils travaillent dans le même secteur. Néanmoins, si une start-up se développe pour devenir leader de son domaine et répondre aux défis de la foodtech en Suisse, tant mieux. Et si elle est intégrée à de grands groupes suisses, tant mieux, c’est une chance.

La Suisse a-t-elle réellement la capacité de devenir un hub international?
Absolument! L’économie suisse s’étend déjà de façon internationale et de nombreux acteurs sont déjà leaders dans leur domaine. Notre association est parrainée par le conseiller fédéral Guy Parmelin et soutenue par le Département fédéral des affaires étrangères et de Présence Suisse. Nous avions prévu d’entamer une tournée mondiale de congrès, qui a malheureusement été annulée en raison de la crise sanitaire. En attendant, nous organisons des webinaires pour développer notre image à l’étranger.

Concrètement, que pouvez-vous apporter aux PME suisses?
Il faut aujourd’hui convaincre l’agriculteur qu’il travaille dans le même secteur qu’un physicien spécialiste du recyclage, qu’un informaticien expert de la traçabilité ou encore qu’un fabricant de drones. Nous voulons augmenter les collaborations entre les acteurs du secteur par la création d’un réseau commun, mais aussi favoriser l’accès aux marchés internationaux aux PME. Nous avons également un rôle d’information auprès des autorités politiques afin de les sensibiliser aux enjeux du secteur.

Tous les acteurs doivent entamer une reconversion de leur pratique, mais cela nécessite une vision d’ensemble, une politique commune et un soutien, par exemple aux agriculteurs, pour adopter les nouvelles technologies comme les drones ou l’intelligence artificielle. Cela implique une prise de conscience collective de nos atouts et des moyens de les renforcer et ce, à tous les niveaux, du producteur au consommateur. La Suisse peut, et doit, devenir la Silicon Valley du domaine alimentaire!

DK
Dossier réalisé par Robert Gloy, Blandine Guignier et Audrey Magat. Collaboration: Elisabeth Kim