Vous dirigez une entreprise qui a besoin de financement pour se développer? Vous avez quelques fonds de côté et désirez investir comme un capital-risqueur en misant sur une jeune entreprise dont la technologie vous paraît prometteuse, mais en ne mettant qu’une somme modeste? Bonne nouvelle: des solutions ont fait leur apparition et permettent une véritable démocratisation du marché des capitaux, tant pour les entreprises que pour les épargnants lambda. De quoi dynamiser le tissu économique et l’innovation suisses! Ces solutions s’appellent Initial Coin Offering (ICO), Security Token Offering (STO) et tokenisation d’actifs. Ces trois démarches ont une base commune: elles s’appuient sur la blockchain, qui rend possibles les transferts d’actifs numériques sans passer par des intermédiaires. 

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Disons-le d’emblée: le monde idéal n’existant pas, ces solutions sont aussi assorties d’inconnues et de risques. L’univers des ICO a d’ailleurs vécu des déboires après la période d’euphorie de fin 2017-début 2018, ce qui a assaini le marché et oblige désormais les entreprises à présenter des offres plus solides. Mais de quoi parle-t-on exactement? Zoom sur la question en quinze points.

1|Le b. a.-ba de l’ICO et de la STO

Avant toute chose, quelques explications s’imposent. Une entreprise qui procède à une ICO vise à lever des fonds auprès d’un grand nombre de personnes en émettant des jetons numériques, qu’elle vend à des investisseurs contre des cryptomonnaies. Autrement dit, c’est un financement participatif via la blockchain.

Pour simplifier, concentrons-nous sur les deux types de tokens les plus utiles pour les entreprises suisses (en laissant de côté les jetons de paiement et les hybrides). Le premier est le jeton d’utilité (utility token): il donnera accès à un usage ou à un service futurs, c’est un peu l’équivalent d’une prévente. L’entreprise, grâce à l’argent récolté, pourra développer son produit/service et les investisseurs ayant acquis ses tokens lors de l’ICO pourront bénéficier de ses prestations en primeur, en priorité et/ou à un tarif réduit.

Le deuxième type est le jeton d’investissement (ou security token), qui représente une valeur patrimoniale (action ou bon de participation, par exemple). Il est donc «adossé» à des actifs beaucoup plus concrets et est soumis à des réglementations plus strictes, raisons pour lesquelles la plupart des spécialistes misent sur une montée en flèche de ce type d’ICO, communément appelées STO, puisqu’elles utilisent des «security tokens».
«2019 sera à coup sûr l’année des STO», est ainsi convaincu Antonio Gambardella, directeur de la Fongit, un incubateur genevois qui abrite une cinquantaine de jeunes sociétés technologiques, dont plusieurs ont réalisé dernièrement ou sont sur le point de réaliser des levées de fonds. «Les STO vont dominer l’univers du financement des projets blockchain», affirmait pour sa part Florian Ducommun, avocat et associé du cabinet HDC, lors d’un récent petit-déjeuner des PME & start-up, organisé par le canton de Vaud ainsi que ses partenaires économiques et animé par PME Magazine.

Aujourd’hui, il n’y a plus une ICO sérieuse qui se lance sans avoir reçu l’aval de la Finma en Suisse.

David Violi, responsable Regulatory & Compliance Suisse romande chez BDO

Encore une précision: les deux types de jetons (utility et security) peuvent, en principe, également être échangés dès l’ICO contre des cryptomonnaies ou encore être revendus ultérieurement sur une plateforme d’échange (l’investisseur espérant alors que le cours de ses jetons se sera apprécié). «C’est ce listing sur une plateforme secondaire qui donne au titre sa liquidité. L’investisseur pourra alors le revendre à un tiers et, comme c’est sur la blockchain, de manière totalement traçable», complète Vincent Pignon, conseiller spécialisé blockchain auprès de l’Etat de Genève, ainsi que fondateur et CEO de la société WeCan. Fund.

2|«Tokeniser» des produits existants

De manière plus générale, la blockchain permet de «tokeniser» des produits existants tels que les actions ou les obligations. «Cette approche a le mérite d’être clairement compréhensible et d’intéresser les investisseurs institutionnels», plaide Jacques Iffland, avocat associé de Lenz & Staehelin, président de la nouvelle Capital Markets and Technology Association (CMTA) qui veut promouvoir l’usage des nouvelles technologies sur le marché des capitaux.

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Vincent Pignon, fondateur WeCan.Fund
© Le Temps/ N.Duc

«Et c’est juridiquement possible en Suisse, comme l’a montré l’exemple de la société genevoise Mt Pelerin», poursuit Jacques Iffland. En effet, il y a quelques semaines, les actions de cette start-up qui veut devenir une banque entièrement agréée ont été émises numériquement sur la blockchain sous forme de jetons. Les détenteurs de ces tokens sont désormais actionnaires de l’établissement conformément à la loi suisse et bénéficient du droit de vote et des droits au dividende, comme un actionnaire «traditionnel».
Autre exemple: la société WeCan.Fund a récemment réalisé une partie de sa levée de fonds grâce à des jetons numériques. «Le Registre du commerce a reconnu que ces tokens constituaient un apport en nature permettant d’acheter des parts de capital», précise Vincent Pignon.

3|Comment se positionne la Suisse?

La Suisse s’est montrée pionnière en la matière à plusieurs reprises. Elle a été l’un des premiers pays à permettre l’émission de jetons (2017). L’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) a été le premier régulateur au monde à s’être prononcé sur les différents types de jetons (2018), dans son «guide pratique des ICO», qui explique notamment l’implication de ces jetons au niveau législatif et indique aux entreprises les informations minimales qu’elles doivent fournir si elles veulent effectuer une ICO ou une STO. «Le fait de publier des principes simples et clairs est important, car cela confère une certaine sécurité juridique», souligne David Violi, responsable Regulatory & Compliance Suisse romande chez BDO. Enfin, la bourse suisse (SIX) sera la première à lister les jetons d’investissement et à «tokeniser» les actions traditionnelles permettant ainsi leurs échanges (en 2019), pour ne citer que ces exemples.

4|En quoi ces solutions sont-elles intéressantes pour une entreprise?

Elles permettent aux entreprises de lever des fonds de manière plus souple que par le biais d’une introduction en bourse ou d’un recours au capital-risque (peu adaptés aux petites sociétés). «Le fait de ‘tokeniser’ une partie de son capital permet à une entreprise d’avoir accès au marché des capitaux de manière facilitée, en Suisse et, à certaines conditions, à l’étranger, affirment tous les spécialistes, à l’image de l’avocat Florian Ducommun. Cela permet également à de petits investisseurs d’investir dans une entreprise prometteuse, car le processus d’investissement est standardisé. Enfin, cela offre une visibilité intéressante pour l’entreprise. En somme, les STO permettent de démocratiser l’investissement de capital-risque dans les entreprises, ce qui est extrêmement positif pour dynamiser l’écosystème des entreprises innovantes.»

Egalement convaincue que la tokenisation est «de nature à faciliter le financement des start-up et des PME», la CMTA a publié le guide pratique «Blueprint for the tokenization of shares of Swiss corporations» pour expliquer aux entreprises comment tokeniser leurs titres. Autre avantage: il devient possible de coder dans le protocole sous-jacent du token toutes les informations relatives à la transaction, facilitant le reporting, l’audit et la compliance. A terme, il pourrait par exemple devenir possible de programmer et d’automatiser le paiement des intérêts.

5|Qu’est-ce qui a changé après la chute récente des cryptomonnaies et les turbulences sur le front des ICO?

Fin 2017, au plus fort de l’euphorie, une start-up pouvait lever l’équivalent de millions de francs en quelques jours sur la base d’une idée et d’un «white paper» (livre blanc) léger. S’il y a eu de très bons projets, cette effervescence s’est aussi accompagnée de projets bricolés à la va-vite, voire d’arnaques. Couplé à une chute des cryptomonnaies, ce phénomène s’est traduit par un scepticisme face aux ICO et par des levées de fonds moins importantes. «Nous souffrons de l’image des ICO et de la baisse des cryptomonnaies», reconnaissent aujourd’hui ceux qui sont sur le point d’en lancer une.

Pourtant, ce dégonflement de bulle a eu des effets salutaires et les observateurs ne devraient pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Les projets présentés sont désormais plus sérieux et reposent sur des bases souvent plus concrètes, avec des sociétés présentant un modèle d’affaires plus avancé. Sans compter que des clarifications juridiques sont venues mettre de l’ordre et augmenter le niveau d’exigence, à l’image notamment du guide pratique de la Finma. Et le fait qu’une banque comme Swissquote (première en Suisse) offre à ses clients la possibilité de participer à des ICO ou que la bourse suisse SIX permettra bientôt des échanges montre que ces instruments entament une phase d’institutionnalisation (et accessoirement que les intermédiaires ont encore un rôle à jouer).

Les STO vont dominer l'univers du financement des projets blockchain.

Florian Ducommun, avocat et associé du cabinet HDC

Les pouvoirs publics jouent également un rôle important. Ainsi, «le canton de Genève a mis en ligne un formulaire permettant aux entreprises de vérifier qu’elles ont pensé à tout et a créé un comité d’évaluation des ICO, regroupant divers experts de la place. Ce comité filtre les demandes et peut également être interpellé», détaille Vincent Pignon. A noter que Genève a réalisé un guide des ICO, régulièrement actualisé (la 3e version sera bientôt en ligne), qui, en plus des indications réglementaires, traite de l’aspect fiscal (TVA, impôt sur le bénéfice…).

6|Quel est l’aspect légal des ICO et des STO?

Tout d’abord, il faut savoir qu’il n’y a «pas de réglementation spécifique aux ICO, rappelle David Violi, de BDO. La réglementation dépendra du type d’ICO et repose sur le droit général régissant les marchés financiers.» Ainsi, une ICO recourant à des jetons d’utilité n’est pas soumise à la loi sur les valeurs mobilières, alors qu’une STO (qui repose sur des jetons d’investissement) l’est, raison pour laquelle les STO sont réputées plus sûres.

En résumé, «le jeton n’est qu’un véhicule. Au niveau légal, c’est ce qui est dans le véhicule qui importe», expose Me Jacques Iffland.

Cela dit, l’exercice reste compliqué, raison pour laquelle une société désirant recourir à ce type d’instrument doit bétonner le volet juridique. «Aujourd’hui, il n’y a d’ailleurs plus une ICO sérieuse qui se lance sans avoir été soumise au préalable à la Finma en Suisse et avoir reçu son aval», constate David Violi. Précision importante toutefois à l’usage des investisseurs: «La Finma se prononce exclusivement sur le respect des règles financières, pas sur la qualité du projet.»

Dernier conseil au niveau de la réglementation: se renseigner sur les aspects réglementaires des autres pays, car il y a une grande disparité en la matière. Ainsi, les Etats-Unis considèrent tous les tokens comme des jetons d’investissement et les pays asiatiques ont des législations très hétérogènes, allant de l’interdiction totale des ICO à la promotion active de tels projets, peut-on ainsi lire dans un rapport de PWC consacré à la question.

A noter enfin qu’il n’existe pas, en Suisse, de régime de propriété des jetons numériques, comme le relevait un participant au récent forum consacré à l’investissement dans les crypto-assets organisé début février à Genève par le groupe de réflexion AxessThinkTank. Ce qui peut se montrer assurément problématique selon la situation!

7|Quelles sont les principales étapes d’une ICO?

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Michael Ploog (à d.) entouré de l'équipe dirigeante de Swissquote.
© swissquote

De manière très simplifiée et résumée, une fois que l’entreprise a un projet et une équipe solides, elle devra notamment rédiger un «white paper» répondant aux différentes exigences de la Finma (notamment: feuille de route, objectifs, description de l’équipe, durée de l’ICO, manière dont les fonds seront collectés, etc.), trouver les bons partenaires (avocats et spécialistes blockchain, notamment), s’assurer de la conformité légale du projet en Suisse et dans les différents pays où elle souhaite aussi avoir des investisseurs, créer un token, lister le jeton numérique sur des plateformes de change qui l’acceptent, communiquer activement pour annoncer la levée de fonds (via les médias, les réseaux sociaux et les rencontres avec les investisseurs potentiels), etc.

Même si le processus est moins long et moins coûteux qu’une introduction en bourse traditionnelle, il dure au minimum six à huit mois et ne coûte pas loin de 1 million de francs (pour une vision détaillée des étapes et des coûts, lire «Comment réussir son ICO», PME Magazine juin 2018).

8|Puis-je lever mes fonds en n’importe quelle (crypto)monnaie?

De manière générale, les entreprises choisissent les principales cryptomonnaies (bitcoin, ether), mais aussi les monnaies traditionnelles (également appelées fiat). Ainsi, pour l’ICO que LakeDiamond est en train de mener, la société «collecte ses fonds presque exclusivement en fiat, relate Pascal Gallo, son CEO. C’est aussi plus simple pour nous, car nous avons une activité industrielle et payons nos salaires et nos machines en francs suisses et en euros. Cela permet aussi d’éviter les fortes fluctuations des cryptomonnaies.»

En revanche, les entreprises introduisent parfois un seuil minimal lorsqu’un investisseur paie en monnaie traditionnelle. «La contribution minimale était de 5000 francs lorsque les gens payaient en fiat, alors qu’il n’y avait pas de plancher pour les versements en crypto», raconte Cyrus Fazel, le fondateur de SwissBorg, à propos de l’ICO effectuée à fin 2017.

9|Comment convertir les fonds levés ou reçus en francs suisses?

L’entreprise qui a reçu des cryptomonnaies peut les convertir sur les plateformes spécialisées qui proposent ce type de change. «Nous conseillons aux entreprises de les convertir immédiatement, cela minimise le risque de fortes fluctuations que peuvent connaître les cryptomonnaies», indique Vincent Pignon, en pensant particulièrement à celles qui ne sont pas très familiarisées avec les nouvelles technologies. «Et cela leur évite de réfléchir à ce qu’elles font avec les cryptomonnaies.»

Certains ont d’autres stratégies, gardant une partie en cryptomonnaies, en particulier pour régler leurs dépenses par ce biais. Quant à l’investisseur, il reçoit des tokens qui sont échangeables contre des cryptomonnaies ou des monnaies traditionnelles. A lui de voir s’il veut les convertir immédiatement en francs ou les garder en cryptomonnaies, en gardant à l’esprit que les cours de ces dernières sont soumis à de très fortes fluctuations.

10|Les ICO et les STO sont-elles pour toutes les entreprises?

Ces solutions commencent à sortir du cercle fermé des spécialistes de la blockchain. Pour preuve, LakeDiamond. Si la start-up lausannoise, qui en train de faire une ICO, est certes une entreprise à forte intensité technologique, son modèle n’a rien à voir avec le monde des cryptos. «Il est peut-être un peu tôt pour voir des PME traditionnelles effectuer des ICO ou des STO, mais cela va arriver, beaucoup d’entre elles sont en train d’y réfléchir», fait remarquer Vincent Pignon.

Chaque semaine, nous sommes contactés par deux ou trois sociétés intéressées par une ICO.

Michael Ploog, directeur financier de Swissquote

«D’autant que d’ici peu, la bourse suisse et d’autres opérateurs helvétiques permettront l’échange de security tokens, ce qui conférera davantage de sécurité.» L’intérêt est là de la part des sociétés. Comme le relève Michael Ploog, directeur financier de Swissquote: «Nous sommes contactés en moyenne par deux ou trois sociétés par semaine qui s’intéressent au sujet.»

Une précision toutefois: avant l’éclatement de la bulle des ICO, ces instruments étaient très prisés par les tout jeunes projets. «Ils étaient bien adaptés aux start-up qui se lançaient et qui vendaient une vision. C’était utilisé pour démarrer des activités qui n’arrivaient pas toujours à tenir leurs promesses. Maintenant, avec le passage de l’ICO à la STO, il faut être capable de montrer un modèle d’affaires qui fonctionne pour attirer des investisseurs. Les STO s’adressent donc plutôt à des entreprises déjà établies, car elles permettent de lever des fonds non plus d’amorçage, mais de croissance, avec des montants en jeu plus importants – il s’agit de financements de 30 à 50 millions de francs, voire plus. «La société doit donc être suffisamment solide et avancée pour entreprendre une telle démarche», constate Antonio Gambardella.

11|Pour quel type d’entreprise la tokenisation est-elle adaptée?

«Pour une PME traditionnelle, la tokenisation d’actifs est plus facile à réaliser qu’une ICO», est convaincu Jacques Iffland. Mais avant qu’une vraie simplification du marché des capitaux ne puisse avoir lieu, le président de la CMTA estime que deux étapes doivent être franchies. «Il faut avoir des solutions fiables pour conserver les tokens.» Le problème est en passe d’être résolu. Swissquote offre la possibilité de les conserver sur un compte bancaire (plutôt que dans un «wallet», autrement dit un portefeuille numérique, solution compliquée qui ne s’adresse pas à tout le monde) et d’autres acteurs sont en train de développer des solutions de custody (service de dépôt) numérique, à l’image de Vontobel, en partenariat avec la genevoise Taurus. Et la deuxième étape? «La possibilité d’échanger ces jetons numériques.» Là aussi, des solutions sont en train de voir le jour en Suisse (il en existe déjà à l’étranger), avec notamment le projet de SIX, mais aussi avec celui de start-up, à l’image de Taurus qui développe des solutions de dépôt numérique et de place de marché.

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Vincent Trouche prépare l'émission d'un premier token dans l'immobilier. 
© D.Smaz

La tokenisation semble particulièrement bien se prêter à des marchés peu liquides, à l’image de l’immobilier. C’est notamment l’activité de la start-up genevoise Tokenestate. «Nous proposons une plateforme technologique sur laquelle un fonds immobilier ou une société détenant des immeubles n’ayant pas la taille suffisante pour être cotés en bourse peuvent émettre des jetons numériques représentant leurs actions ou parts. En digitalisant leurs parts, nous rendons plus aisés non seulement leur émission mais également leurs échanges subséquents. En effet, les investisseurs pourront acheter ces tokens sur notre plateforme, et cela sans montant minimum, le tout à des frais nettement inférieurs à ce qui se fait aujourd’hui», décrit Vincent Trouche, son CEO. Ce jeton est aisément échangeable et sécurisé grâce à la blockchain. C’est cette désintermédiation qui permet de proposer des services à meilleur prix.

12|Comment calcule-t-on le prix d’un token?

Il n’y a pas de méthode unique, c’est une question de valorisation, comme lors de l’émission d’actions de sociétés non cotées, avec la difficulté supplémentaire qu’il s’agit généralement de toutes jeunes entreprises, encore plus difficiles à évaluer. «Un de mes collègues collabore avec l’EPFL dans le cadre de recherches ayant pour but de modéliser à terme la valeur d’un token et son évolution», informe Michael Ploog, le directeur financier de Swissquote.

13|Que se passe-t-il avec les fonds versés lorsqu’une ICO échoue?

Une entreprise sérieuse indique dans son «white paper» ce qu’elle fait si elle n’atteint pas son objectif. D’ordinaire, la société précise le seuil minimal au-dessous duquel les fonds ne lui permettent pas de mener à bien son projet et rembourse les investisseurs si ce «softcap» n’est pas atteint. Elle mentionne souvent aussi son plafond et arrête généralement l’ICO avant si ce «hardcap» est atteint. Cela dit, il n’y a aucune obligation légale. «Pour un investisseur, il est donc conseillé de vérifier qu’une banque dépositaire ou une entité agréée séquestre les fonds et les débloque si les conditions sont réunies», souligne Vincent Pignon.

14|En quoi une ICO/STO peut-elle intéresser un investisseur?

Elles permettent à l’épargnant lambda de participer au marché des capitaux comme s’il était un investisseur professionnel. Autrement dit, de miser sur une société, une technologie ou un service qu’il juge prometteur alors qu’auparavant de tels achats étaient réservés aux business angels, aux capital-risqueurs ou encore aux investisseurs institutionnels, en raison du ticket d’entrée extrêmement élevé.

Et plusieurs raisons peuvent le motiver: l’envie de contribuer à ce qu’il pense être une bonne idée, la volonté de participer à des technologies qu’il juge révolutionnaires, le désir d’aider une jeune entreprise, la perspective d’utiliser avant les autres un service (dans le cas des utility tokens) ou encore la possibilité de rendements futurs. A noter que les acteurs traditionnels de la finance et les institutionnels s’intéressent toujours plus à cette nouvelle classe d’actifs.

15|Quels sont les risques pour un investisseur?

Investir dans une ICO ou une STO comporte assurément plus de risques que de miser sur une «blue chip». Les sociétés sont jeunes, les technologies souvent en devenir et les législations moins étoffées que pour d’autres classes d’actifs (la STO est toutefois soumise à davantage de règles que l’ICO). Au risque entrepreneurial lié à toute jeune société s’ajoute celui des cryptomonnaies, très volatiles, et de nouvelles technologies que peu de monde maîtrise encore. D’ailleurs, si l’on regarde l’évolution des tokens d’ICO réalisées ces dernières années, on constate que leur cours a très souvent diminué (notamment en raison de la chute du cours des cryptomonnaies).

Pour ceux qui veulent investir en direct, sans l’intermédiaire d’une banque par exemple, s’ajoute le risque de stocker ses tokens dans un «wallet», portefeuille électronique, qui peut être perdu ou volé. Enfin, ces opérations se déroulent parfois dans des pays où la législation n’est pas celle de la Suisse.


Lexique: les mots indispensables

  • Blockchain: Registre numérique, décentralisé, partagé et infalsifiable qui stocke et transfère des informations de manière transparente, sécurisée et autonome, sans autorité centrale, ni intermédiaire (lire le dossier «PME Magazine» juillet 2018).
  • Cryptomonnaie: Monnaie virtuelle (telle que le bitcoin, l’ether…) créée à partir de la technologie blockchain.
  • Smart contract: Protocole informatique qui exécute automatiquement certaines actions définies à l’avance sans nécessiter d’intervention humaine (selon le principe «si… alors…»).
  • Token: Actif numérique créé sur la blockchain et échangeable sur celle-ci. Infalsifiable, ce jeton peut être échangé avec un autre acteur sans nécessiter l’intervention ou l’autorisation d’un tiers. Un token est un smart contract (car il est assorti de conditions, notamment d’utilisation).
  • Tokenisation: Fait de représenter des actifs «réels» (actions, obligations, parts d’immobilier, pierres précieuses, voitures…) sous forme de jetons numériques.

«J’ai dû sortir de mon laboratoire et apprendre à communiquer»

Le CEO de LakeDiamond a lancé une ICO. Montant visé: 60 millions de francs.

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Pascal Gallo «cultive» des diamants synthétiques dans des réacteurs.
© LakeDiamond

LakeDiamond a une activité peu commune: elle fait pousser des diamants dans des réacteurs mis au point à la suite de nombreuses années de recherche et développement, notamment à l’EPFL. «Le diamant est le matériau le plus dur, mais aussi le plus élastique, le plus transparent et celui qui offre la meilleure conduction de chaleur», s’enflamme Pascal Gallo, fondateur et CEO de la société vaudoise. Et à chacune de ces propriétés correspondent des débouchés: pièces micromécaniques pour l’horlogerie, lasers pour transporter de l’énergie, transistors et capteurs pour la biologie, etc.

Pour se développer, la société, forte d’une vingtaine de collaborateurs, a décidé de se tourner vers une ICO, «une manière de faire participer à un coût modeste les gens intéressés par l’aventure en permettant de financer de nouveaux réacteurs». Montant total visé: 60 millions. Prix du token: 55 centimes (de franc). Mise minimale: 33 francs.

Accompagnée d’avocats pour préparer l’opération, LakeDiamond a créé des tokens qui confèrent à l’acquéreur des minutes de production. Les industriels pourront ainsi avoir accès à son outil de production à moindre coût et de manière prioritaire. Les autres acquéreurs de tokens seront, eux, attirés par la perspective de capter une part du chiffre d’affaires de l’entreprise par un échange futur contre du temps de production rémunéré.

La société a d’abord lancé une vente privée de tokens, autrement dit une campagne auprès de quelques gros investisseurs potentiels et d’influenceurs. Une manière de se faire connaître, de constituer une communauté, de tester le marché et de récolter de premiers fonds pour pouvoir commencer ou poursuivre son développement. Deuxième étape: les clients de la banque Swissquote ont eu la possibilité d’acquérir des tokens avec un simple compte en banque. Après cette phase de pré-ICO, qui vient de se terminer, LakeDiamond va poursuivre la vente privée (toujours avec les mêmes tokens) auprès de financiers traditionnels qui s’intéressent de plus en plus à ces nouvelles opportunités.

Les conseils de Pascal Gallo à l’entrepreneur désirant effectuer une ICO? «Approchez la Finma pour être sûr d’être totalement en règle et soignez le côté légal, pour ne pas mettre à mal votre société. Ayez des partenariats avant de vous lancer et une réserve de cash suffisante pour faire face aux dépenses nécessaires. Enfin, attendez-vous à devoir donner énormément d’informations. Pour que les gens achètent vos tokens, il faut qu’ils vous connaissent. J’ai ainsi dû sortir de mon laboratoire et apprendre à communiquer.»


«Une ICO, c’est comme une campagne présidentielle, mais dans le monde entier»

La fintech lausannoise SwissBorg a levé l’équivalent de 50 millions de francs.

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Cyrus Fazel a mené l’une des premières ICO en Suisse.
© Swissborg

Vingt-trois mille huit cent septante-neuf personnes provenant de… 149 pays! Ces chiffres incroyables, rendus possibles grâce à la blockchain, représentent les participants à l’ICO que la start-up lausannoise SwissBorg a réalisée fin 2017. Le plus petit investisseur a mis en cryptomonnaies l’équivalent de 4,50 francs tandis que la moyenne s’est élevée à quelque 2000 francs. La fintech de 15 personnes a ainsi levé l’équivalent de 50 millions de francs en vue de créer une plateforme de gestion de patrimoine sur la blockchain et de «démocratiser le wealth management».

Quinze mois plus tard, elle est d’ailleurs sur le point de lancer son «application qui permettra à n’importe quelle personne de construire des portefeuilles de crypto-assets, relate Cyrus Fazel, son cofondateur et CEO. Elle permettra également aux gens de prédire l’évolution du bitcoin et de participer à des concours, afin d’apprendre par exemple à faire du trading et de comprendre les risques de cet univers.»

Pour en revenir à l’ICO, si Cyrus Fazel et son équipe ont réussi à lever les fonds dont ils avaient besoin, et même un peu plus rapidement qu’escompté, l’opération a pris du temps (plus de huit mois de préparation), a coûté cher (près de 2 millions, parce qu’ils étaient pionniers et ont donc dû tout créer) et n’a pas été un long fleuve tranquille. «J’ai perdu 9 kilos, nous avons eu beaucoup de soucis. Il faut dire que nous étions parmi les premiers à faire une ICO en Suisse et il a été difficile de trouver les bons prestataires de services; or ce point est crucial. Pour intéresser suffisamment d’investisseurs, nous avons produit de très nombreux contenus (webinar, meet-up, publicités Facebook…), avons dû énormément communiquer, nouer des alliances avec des influenceurs de nombreux pays, nous déplacer dans de multiples endroits pour aller à la rencontre des gens. Une ICO, c’est vraiment comme mener une campagne présidentielle, mais dans le monde entier!»

Le plus important dans une ICO? «Créer une communauté. Pour cela, il faut que votre entreprise propose de résoudre un problème. Les gens qui voudront que leur problème soit réglé seront très impliqués et vont attirer d’autres personnes pour vous aider, cela crée un phénomène boule de neige.»


Ce que l’investisseur doit savoir

  • Comprenez ce que vous achetez! Un token peut représenter des sous-jacents très différents, qui peuvent aussi bien être la promesse d’un service futur qu’une action. Ainsi, si vous achetez un jeton numérique à la suite d’une ICO, vous ne posséderez pas une part de l’entreprise.
  • Lisez attentivement les informations données sur le projet, son modèle d’affaires, la composition de l’équipe, les principales étapes à venir, etc. Si le «white paper» est absent ou imprécis, n’investissez pas.
  • Examinez quels spécialistes accompagnent le projet. Le sujet est tellement complexe que le recours à des avocats (notamment) est indispensable pour éviter des problèmes futurs.
  • Vérifiez que les exigences légales (telles que KYC et AML, soit la connaissance du client et la lutte contre le blanchiment) sont adressées de manière sérieuse. Sinon, abstenez-vous, le projet n’est pas sérieux.
  • Penchez-vous sur les montants désirés via l’ICO et le nombre total de jetons émis en échange de ces fonds. Sans limitation, il y a un risque qu’ils perdent énormément de valeur si leur nombre augmente par un effet de dilution (même dans les sphères virtuelles, les bonnes vieilles lois de l’offre et de la demande fonctionnent!).
  • Vérifiez que la société dit bien ce qui se passe si le montant souhaité n’est pas atteint.
  • Assurez-vous que le token est échangeable sur une plateforme reconnue.
  • Soyez vigilant: des pirates informatiques essaient de s’approprier des clés privées (du portefeuille digital) des investisseurs, notamment lors de levées de fonds.

 

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Aline Yazgi