«Au début, les gens nous demandaient notre âge. Ils étaient visiblement intrigués. Aujourd’hui, sept ans après la création de notre entreprise, la question est plus rare», confie Nelson Dumas. Et lorsqu’elle fuse malgré tout au milieu d’une discussion, lui et Jean-Bernard, son grand-père, en sourient plus qu’ils ne s’en offusquent, magnanimes envers celles et ceux que leurs cinquante-trois ans d’écart interpellent.

également interessant
 
 
 
 
 
 

On rembobine. Au début des années 2000, Jean-Bernard Dumas, fondateur vingt et un ans plus tôt de l’entreprise de construction du même nom, à Sion, passe les rênes à son fils Philippe. A pas même 60 ans, en pleine forme, cet entrepreneur se revendiquant autodidacte à 100% continue à faire profiter la PME de près de 150 employés de son expérience et de son carnet d’adresses. A investir dans des promotions, aussi. Avec le temps, son patrimoine et les dividendes qu’il génère s’accumulent, trésor de guerre que le patriarche réinjecte systématiquement dans l’immobilier. Jusqu’au jour où Nelson, son petit-fils de 19 ans, le convainc de diversifier ses engagements. L’aîné, alors âgé de 73 ans, est séduit par le discours de son jeune descendant et, en 2016, le duo fonde Immo Dumas. Une sorte de family office que les deux hommes dirigent et gèrent conjointement depuis.

Une génération inquiète face au climat

Le discours? «J’ai dit à mon grand-père que notre génération était très inquiète face à l’état de la planète et du monde. Qu’il fallait désormais penser les affaires autrement, envisager de s’engager différemment pour contribuer à faire changer les choses. Avec mes yeux de jeune adulte, j’estimais, et j’estime toujours d’ailleurs, que, pour s’attaquer aux grands défis de notre temps, climatiques et sociaux notamment, il devenait urgent de réduire les inégalités plutôt que continuer à les creuser. Pas seulement d’un point de vue financier, mais également en matière d’éducation. Très ouvert d’esprit, Jean-Bernard a tout de suite adhéré. Sans doute aussi parce qu’il est le neuvième d’une fratrie de dix, ce qui lui a appris très tôt à partager», se réjouit Nelson, pour qui notre société occidentale a le devoir de favoriser l’émergence du plus grand nombre de cerveaux et de forces possible si elle entend pouvoir relever les défis qui nous attendent.

«Les solutions aux problèmes que nous aurons à résoudre ces prochaines années existent. C’est leur mise en œuvre qui pèche. La faute à un partage des richesses déséquilibré et à un accès à l’éducation trop réduit pour des milliards d’êtres humains. Il y a tellement de personnes qui pourraient apporter leur pierre à l’édifice qu’on laisse sur le bas-côté!»

Mais, du discours aux actes, restait un pas à franchir pour le grand-père et son petit-fils. «Le vrai déclic s’est produit après avoir enregistré une importante plus-value boursière suite à l’annonce par une grande banque suisse du licenciement de 6000 personnes. Ce gain réalisé sur le dos de familles qui venaient de tout perdre nous a interpellés et, pour tout dire, laissés très mal à l’aise. Ce jour-là, nous avons compris que nous partagions les mêmes valeurs.»

Les jeunes pousses de la région

L’événement servira à la création de la charte de leur société, dont les investissements reposent sur trois piliers ou secteurs, sur lesquels Dumas senior et junior souhaitent avoir de l’impact: la durabilité, l’accès à la santé et à l’éducation. Mais pas que. «Notre politique vise également à soutenir les start-up de notre région. De jeunes pousses qui possèdent souvent dans leur pipeline des trésors d’innovation et qu’on abandonne au milieu du gué, si je puis dire», regrette Nelson, que ses séjours aux Etats-Unis ont rendu critique à l’égard de la non-politique de soutien à l’innovation que mène notre pays, selon lui.

«Aux States, on donne les moyens à celles et à ceux qui ont des projets prometteurs de les développer de A à Z alors que, ici, on a la fâcheuse tendance à les abandonner à la lettre G ou H. Conséquence: 90% des start-up suisses disparaissent avant d’avoir réellement éclos. Un gâchis et une perte d’innovation inestimables.»

Sur la base de ces critères responsables, Immo Dumas s’est finalement lancée dans le grand bain du capital-risque en 2017, investissant dans le domaine de la santé et de l’écologie au travers de start-up romandes parmi les plus en vue en Europe: Abionic, Distalmotion et Haya Therapeutics pour la santé, Daphne Technology et Composite Recycling (lire encadrés), pour l’écologie. Au total, 5 millions de francs. «Pour l’instant», commentent à l’unisson les deux administrateurs. Une participation qui n’effraie pas Jean-Bernard Dumas, rompu aux investissements immobiliers, qui, selon lui, se révèlent bien plus risqués que les gens ne l’imaginent. «Je lui voue un respect énorme. Sa situation lui permettait de s’écarter des affaires et de profiter tranquillement de sa retraite. Au lieu de ça, il a fait le premier investissement de sa vie dans les cleantechs à l’âge de 73 ans et poursuit l’aventure six ans plus tard», salue Nelson, admiratif.

Un mérite pas si grand que cela, pour son grand-père: «Quand le virus des affaires nous tient et que la santé est là, se retirer complètement n’est pas possible. Ce concept est idéal. Il me permet de lever le pied tout en restant impliqué mais sans trop de contraintes.» Au quotidien, la collaboration se passe à merveille, assure le duo, qui perçoit sa coopération intergénérationnelle comme une chance et non comme une crainte.

«C’est moi qui cherche les dossiers, qui suis en contact avec les start-up, mais les décisions se prennent à deux, voire à trois, avec notre directeur financier. On se réunit tous les lundis. Le rapport de confiance remplace la hiérarchie. Personnellement, je profite à fond de l’expérience de Jean-Bernard, de sa sérénité, de ses contacts et de sa méthode «à l’ancienne», basée sur le rapport humain. Lorsqu’il a compris le modèle et la valeur ajoutée d’un projet, on le met dans notre portefeuille.»

«Tout compte fait, tout cela n’est pas si étonnant, enchaîne son grand-père. Comme moi, Philippe n’était pas du métier. Mais en s’y prenant à l’avance, son intégration s’est faite en douceur. Idem pour Nelson, qui m’a accompagné dans mes tâches dès son adolescence. Les deux ont beaucoup écouté, posé de questions. Entre nous, les relations sont très fluides. On se dit tout concernant la marche des affaires, mais sans jamais élever la voix ou opposer nos qualités ou nos défauts.» Fier de cette réussite familiale transgénérationnelle, Jean-Bernard conclut: «Il y a une part de chance, bien sûr, mais, à mon avis, plus que l’argent ou le management, c’est la qualité des rapports humains qui assure la pérennité d’un groupe.»


Les start-up dans lesquelles Immo Dumas a investi

Composite Recycling

  • La chasse aux plastiques En étroite collaboration avec l’EPFL, Composite Recycling (photo) a mis au point un procédé recyclant les matériaux composites des coques de navires et des pales d’éoliennes.
  • Au cœur de l’infection Basée à Epalinges, Haya Therapeutics met au point un procédé capable de traiter les problèmes d’insuffisance cardiaque, principale cause de décès dans le monde.
  • La révolution Abionic La scale-up vaudoise a créé une plateforme de diagnostic détectant le sepsis (septicémie) en 5 minutes à partir d’une seule goutte de sang ou de salive.
  • Dépollueur d’océans A Saint-Sulpice, Daphné Technology a développé un système qui supprime les oxydes de soufre et d’azote des gaz d’échappement des moteurs de bateau et les transforme en engrais.
  • Le patient au centre Le robot chirurgical Dexter, créé par la start-up lausannoise DistalMotion, permet un accès direct au patient à tout moment en ramenant le chirurgien dans le champ stérile.
Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz