Myriam Donzallaz est directrice associée de l’atelier d’architecture Lutz à Givisiez (FR). Le développement durable a toujours constitué une priorité pour ce bureau fondé il y a quarante ans par Conrad Lutz, un pionnier de la construction écologique. Baptisé «green offices», le bâtiment qui abrite l’atelier vient de se doter de panneaux photovoltaïques. Il est également équipé de stations de recharge destinées à alimenter les deux Renault Zoé mises à la disposition des collaborateurs. Ces stations ont été installées après coup.

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«Construit en 2007, ce bâtiment consomme très peu. Le gros point noir, ce sont les déplacements des collaborateurs, même si on possède des voitures électriques et que certains viennent à vélo, affirme l’architecte. Au début, on n’avait même pas de panneaux photovoltaïques. On a commencé par acheter des bornes mobiles et on rechargeait sur les chantiers. Mais on s’est rendu compte que c’était un peu contraignant au quotidien de devoir chaque fois sortir la borne du coffre et, 99% du temps, on chargeait chez nous et non sur les chantiers. Depuis, on a changé de voitures. Nos nouvelles Zoé ont une autonomie de 400 kilomètres et on a équipé le parking de deux places de parc dédiées avec des bornes.»

Des véhicules qui bénéficient du solaire? «Ça demande quand même beaucoup d’énergie. Mais comme on effectue plutôt des petits trajets, soit 80% de nos mandats sur Fribourg et sa périphérie, il est assez rare que nos voitures soient extrêmement déchargées. On effectue donc de petites charges. Les panneaux photovoltaïques, on ne les a que depuis cet été. Il faudrait dresser un bilan après une année.»

La mobilité électrique, Myriam Donzallaz y croit dur comme fer, en attendant peut-être l’arrivée un jour de la voiture à hydrogène: «Le Groupe E a entamé une vaste campagne pour installer des bornes en quantité. Je ne pense pas qu’il agirait ainsi si le passage à l’hydrogène se faisait déjà dans les cinq à dix ans.» Une conscience écologique qui ne s’arrête pas aux portes du bureau. Après avoir acquis il y a deux ans et demi une Mercedes Classe B zéro émission, l’architecte a fait installer une station de recharge dans le parking souterrain de l’immeuble Minergie P-Eco qu’elle occupe dans la région de Bulle. «Chez moi, il y a 12 appartements, on a donc une grande puissance à disposition. Mais si je veux charger ma voiture en totale autoconsommation, il faut le faire en pleine journée, quand je suis à la maison.» Et lorsque le soleil se couche? «Si je rentre tard et que je dois repartir le lendemain, je la charge quand même. Dans ce cas, je dois acheter du courant…»

Anticiper les besoins des locataires

A l’heure de la transition énergétique, un autre argument, financier celui-là, devrait achever de convaincre définitivement locataires et propriétaires: «Ces cinq dernières années, le coût des panneaux photovoltaïques a vraiment chuté. Si on a un beau pan orienté plein sud, on ne va pas se contenter de ne prévoir que 50% de sa surface en panneaux solaires. Et au niveau de l’intégration, on arrive à proposer de belles choses, comme les tuiles solaires en couleur ou le panneau photovoltaïque en façade. Notre bureau a eu l’opportunité de réaliser un bâtiment de ce type en 2018 à Zurich. Et si vous avez une voiture électrique, finalement c’est une bonne solution pour stocker de l’énergie.»

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L’acquisition d’une voiture électrique intéresse un nombre élevé de citoyens. Mais dans ce pays de locataires, l’installation de bornes de recharge n’est pas évidente.
© DR

Gérard Greuter est responsable du service construction durable chez Retraites Populaires. La société gère dans le canton de Vaud 560 bâtiments appartenant à l’institution de droit public ou à l’une des institutions gérées, dont la Caisse de pensions de l’Etat de Vaud. Un parc immobilier qui représente quelque 13 500 logements. «L’opportunité de répondre aux besoins des locataires en termes de bornes de recharge est évidemment anticipée, indique le responsable. Lors de la construction d’un immeuble neuf avec parking souterrain, on rend généralement l’équipement possible pour 20% environ de places de stationnement. A partir de 50 places, la réalisation de ce type d’équipement est systématique. La démarche va être un peu plus compliquée pour un petit développement immobilier. Mais ça bouge beaucoup en ce moment. On est bien évidemment face à une nouvelle demande du marché et on apprend tous les jours.»

Concrètement, comment s’opère cette anticipation? «Les futures bornes vont exiger une certaine intensité de courant. Vous devez dès lors anticiper l’introduction de l’électricité pour l’ensemble de l’immeuble. Si 20% des places sont équipées de bornes, il s’agira alors de devoir accroître l’ampérage, ce qui aura également un effet sur la taxe de raccordement et sur le coût de l’ouvrage. Le diamètre des câbles devra lui aussi être pris en compte. On fera en sorte de prévoir des gaines, de les incorporer dans les murs du parking souterrain pour qu’on puisse venir passer des câbles par la suite et raccrocher les bornes», ajoute Gérard Greuter. Cette dernière étape, la pose de la borne proprement dite, est réalisée par une entreprise privée, aux frais du locataire.

L’exemple du Mont-sur-Lausanne

Autre cas de figure évoqué, un immeuble existant avec parking souterrain: «Vous allez être confronté alors à la problématique de ne pas avoir d’infrastructure initiale et vous n’aurez peut-être pas le raccordement suffisant. Dans le cas où la configuration est favorable, les locataires nous présentent une demande, on donne notre autorisation et on se met d’accord sur un forfait financier. Aujourd’hui, on n’a pas une approche systématique pour l’existant. C’est relativement ponctuel, mais on y répond de la meilleure manière possible. Si le locataire se raccorde à l’électricité commune, il faut se mettre d’accord sur un forfait ou sur un système de comptage.»

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Green Motion a installé deux places de recharge au Mont-sur-Lausanne.
© DR

Une troisième solution est proposée par Retraites Populaires dans certaines nouvelles réalisations, à savoir la mise à disposition de places de stationnement extérieures pour les véhicules électriques. Exemple dans le quartier des Balcons du Mont, au Mont-sur Lausanne, où le fournisseur de l’équipement, Green Motion, a placé deux bornes publiques à l’intention des résidents.

Amédée Monaco vient tout juste de créer MyePark. Le credo de sa petite entreprise? Mettre à disposition des locataires des bornes de recharge à usage exclusif sans investissement de la part des propriétaires. De formation commerciale, le Vaudois a travaillé aux Services industriels de Genève. Il a notamment développé de nouveaux business models dans le but de favoriser l’énergie solaire au sein des entreprises. Une fibre verte qui n’est pas étrangère à son projet actuel, même si la genèse se veut plutôt terre à terre.

«L’année dernière, je souhaitais acquérir un véhicule électrique. Plusieurs modèles m’intéressaient, mais avant d’aller plus loin dans les démarches, je me suis demandé comment j’allais le recharger. J’étais locataire, j’avais une place attitrée dans un parking souterrain au centre de Lausanne. Pour bénéficier d’une borne de recharge, il fallait que j’entreprenne toutes les démarches moi-même. Sachant que je n’allais pas rester encore très longtemps dans cet appartement et en voyant la hauteur des montants en jeu, j’ai rapidement été découragé», raconte Amédée Monaco.

En discussion avec la ville d’Aigle

C’est depuis Corsier-sur-Vevey qu’il pilote aujourd’hui son projet naissant: «Mon idée est d’installer des bornes de recharge murales dans des parkings souterrains de bâtiments existants, ces derniers constituant 99% du marché. L’innovation de ce business model, c’est qu’il n’y a pas d’investissement à réaliser, ni pour le locataire ni pour le propriétaire. Le locataire qui a déjà sa place de parc attitrée paie la location de la borne de recharge et un forfait d’énergie. Pour le client final, en l’occurrence le locataire, l’avantage est qu’il n’a pas besoin de débourser plusieurs milliers de francs en guise d’investissement.» L’offre d’Amédée Monaco s’adresse également à l’automobiliste qui loue une place de parc la journée dans le cadre de son travail: «Le but est vraiment de faciliter l’accès à la mobilité électrique à toutes les personnes qui louent leur place dans un parking souterrain. On est d’ailleurs en discussion finale avec la ville d’Aigle pour équiper deux grands parkings.»

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Parmi les modèles électriques plébiscités, la Tesla Model 3.
© Tesla

Demeure l’aspect technique: «Idéalement, mieux vaut éviter qu’il y ait des kilomètres entre la borne de recharge et le tableau électrique. S’il s’agit de percer 15 murs et de tirer 200 mètres de lignes, on ne s’en sortira pas. En principe, il y a toujours des réserves de puissance qui peuvent être utilisées pour les bornes de recharge. Mais il arrive que ce soit relativement limité. La solution que je propose est centralisée. Un compteur est inscrit au nom de MyePark et plusieurs bornes peuvent venir se connecter sur cette ligne, ce qui permet notamment de mutualiser la puissance entre plusieurs utilisateurs. Des systèmes de gestion de charge peuvent être mis en place, afin d’éviter de dépasser la puissance limite que le parking peut supporter.»

Conclusion du jeune chef d’entreprise: «D’un côté, les locataires commencent à mettre un peu la pression. De l’autre, certaines régies voient ça comme une complexité en plus, qui leur rapporte plus de tracas que de profit. D’autres, plus avant-gardistes, se montrent intéressées. C’est à elles qu’est destinée mon offre.»

 

 

PT
Par Pierre Thaulaz