Ce printemps, le semi-confinement a accéléré la mise en place du télétravail et la flexibilisation des horaires. Aujourd’hui, les chefs d’équipe doivent se réinventer, car même si une partie des salariés ont repris le chemin de l’entreprise, le travail à distance va s’installer durablement et ce dans un nombre croissant de professions. Un souhait partagé par une grande majorité des Suisses, comme le relève un sondage réalisé en mai dernier auprès de 6400 employés par gfs.bern.

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Un nouveau modèle doit donc être mis en place pour maintenir l’engagement des employés, repérer les difficultés de certains et ne pas aligner les heures derrière son écran. L’Association suisse des cadres vient du reste d’éditer un guide en ligne sur les implications du télétravail. Des formations en management à distance voient le jour en Suisse romande. C’est le cas avec *«Manager engagé», 56 heures de cours donnés par Brainbox en novembre prochain à Lausanne pour acquérir de nouvelles compétences de manager-coach. Car gérer une équipe à distance sur le long terme ne s’improvise pas. Voici quelques pistes évoquées par les formatrices de Brainbox.

1/ Transformer les séances

«L’erreur, c’est de vouloir reproduire une réunion traditionnelle sur un écran, note Liliane Maibach. Or, pour maintenir l’attention, il faut varier les supports et les vitesses et dé-fragmenter les séances. La notion de temps dans une visioconférence n’est pas la même. Pour cette raison, il vaut mieux multiplier les petits rendez-vous très ciblés.»

Dans tous les cas, le premier point est de se demander qui est vraiment indispensable à la séance. Celle-ci peut ensuite se dérouler en présentiel pour une partie des collaborateurs et par écrans interposés pour les autres. L’important est de donner la possibilité d’interagir en posant ses questions en amont ou par chat pendant la réunion. Le partage de documents ou de quiz pendant la visioconférence incite, par exemple, à échanger. Mais tout ceci demande une bonne préparation de la part du manager.

2/ Créer des moments informels

Avec la distance, les liens informels entre collègues tendent à disparaître. Pour les raviver, Betty Unternährer rappelle l’intérêt d’organiser de tels moments, à l’initiative de chacun et pas nécessairement du manager. «Cela peut-être une pause-café de 5 minutes sur Skype avec quelques collègues, avant une réunion, pour aligner ses idées ou juste échanger, souligne-t-elle. Certaines entreprises proposent aussi des cours de yoga via Zoom. Qu’importe, l’idée est de recréer du lien social.»

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Betty Unternäher, Coach, Career Change Expert, The Brainbox

© DR

Savoir quel manager on est

Le management à distance demande avant tout de se connaître soi-même en tant que dirigeant. «Or, très souvent, un bon élément se retrouve parachuté à la tête d’une équipe, avec une fonction hiérarchique différente, alors qu’il avait l’habitude d’interagir d’égal à égal, relève Olivia Giussoni. Il va devoir gérer le stress des collègues ou des conflits, alors qu’il n’a aucune formation pour cela.» En période de distanciation, se former au leadership et adopter la posture du manager-coach, non dirigiste, est encore plus utile.

Souvent, par manque de temps ou en raison d’une situation inhabituelle, le cadre aura tendance à suivre un penchant naturel: «Il imposera son point de vue, souligne Betty Unternährer. Alors que, très souvent, demander à un collaborateur «Que proposes-tu?» permet de trouver une solution plus rapidement ou de déceler un blocage.»

3/ Ecouter, même à distance

S’il est parfois difficile de voir qu’un employé va mal alors qu’on travaille à quatre mètres de lui, cela est encore plus compliqué lorsqu’il est chez lui. Pour développer cette perception fine, Betty Unternährer ne jure que par l’intelligence émotionnelle: «L’idée est de comprendre ses propres émotions et de les identifier tout en réalisant que les autres ont leurs propres émotions. Partant de là, il faut inciter votre interlocuteur à partager son ressenti et avoir une véritable écoute. Trop souvent, dès qu’un employé s’ouvre sur un souci personnel, le manager l’interrompt en signalant qu’il a compris et va apporter une solution. Une bonne technique pour écouter en profondeur est de laisser la place au silence. Cela donne la parole à l’autre.»

Lors du travail à distance, une attention encore plus vive doit être portée aux signaux de désengagement. Le dirigeant doit vraiment être observateur de ces micro-alarmes et organiser des pointages spontanés, même à distance.

4/ Garder l’esprit d’équipe

Maintenir la motivation des salariés, même lorsqu’ils sont à distance, est essentiel. La composition de l’équipe en elle-même a son importance, car le collaborateur doit être acteur de cet état d’esprit engagé. D’où la nécessité de faire collaborer des tempéraments différents. «En fonction du profil de chacun, on peut créer un groupe qui fonctionnera bien grâce à ses hard skills et ses soft skills», ajoute Liliane Maibach.

Ainsi, au moment de démarrer un projet transversal ou de préparer une visioconférence, la réflexion doit aussi se porter sur la capacité de chaque individu à générer de la motivation autour de lui, même à distance. A noter que, de plus en plus, les entreprises sont amenées à recruter par visio-entretien. Le profil émotionnel du candidat doit donc être évalué, autant que ses compétences pratiques.

5/ Fixer un cadre

Le micromanagement, avec un contrôle étroit du salarié, était déjà un modèle dépassé avant la pandémie. Cette approche est devenue impossible avec le télétravail. On a besoin de plus de confiance dans les équipes, avec des managers qui deviennent des facilitateurs.

Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a plus de direction à suivre. «Il faut fixer un cadre, relève Olivia Giussoni. On est dans du management aux objectifs, avec un besoin de feed-back accrus, dans les deux sens. Le manager doit montrer une attitude bienveillante et ré-expliquer le sens de l’action de chacun dans l’entreprise. Ce n’est pas toujours facile, notamment avec une partie de la jeune génération qui veut d’emblée un bon salaire, un équilibre vie privée-vie professionnelle et du télétravail. C’est alors au dirigeant de leur rappeler leur valeur et celle du reste de l’équipe, surtout si la distance est là.»

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Olivia Giussoni, Responsable médias & communication, The Brainbox

© DR

On est dans du management aux objectifs avec, dans les deux sens, un besoin de feed-back accru.

Ce nouveau cadre nécessite aussi de veiller à ce que le collaborateur rythme sainement son travail lorsqu’il est à la maison, n’accumule pas les heures supplémentaires ou, à l’inverse, ne se retrouve déconnecté et ne se sente inutile. A noter que Microsoft va proposer un virtual commute, à savoir un trajet virtuel, une fonctionnalité aidant à séparer la vie privée et la vie professionnelle lorsqu’on est en télétravail.

6/ Aménager son temps

A force de vouloir accompagner tout le monde à distance, le manager se retrouve cloué à son écran, à organiser le travail des autres et à répondre à leurs besoins. Il n’est pas rare qu’il ne puisse plus avancer dans ses propres projets. «La première approche est de faire un tri des urgences et d’encourager chacun à gagner en autonomie», observe Liliane Maibach.

Pour cela, il existe une multitude d’outils de planification collaborative en ligne qui déchargent le responsable. On y prévoira alors des moments fixes hebdomadaires réservés à la discussion, même à distance. Ces pratiques ne sont pas nouvelles pour certains, mais elles jouent un rôle fondamental dans le management à distance, dont le but est d’amener les collaborateurs vers l’autonomie, sans pour autant les isoler les uns des autres. Certains avancent même que, dans ce modèle, le manager lâche prise et que c’est l’équipe qui triomphe.

*«Manager engagé», du 4 au 21 novembre, 1890 francs, 56 heures en présentiel 


L’offre de formations s’étoffe

En Suisse romande, plusieurs formations en management ont été renforcées et intègrent la question de la conduite d’équipe à distance. Opter pour une évaluation basée sur les résultats et non sur un nombre d’heures considérées comme travaillées, harmoniser les méthodes de travail ou encore communiquer de manière efficace et humaine se révèlent être des clés du pilotage à distance.

Dynargie propose un module express sur le management à distance. Il est cependant préférable de l’englober dans une formation plus large sur le leadership. «C’est comme les poupées russes, avant d’être un bon leader à distance, il faut apprendre à être un leader, explique Olivier Richard, le responsable des formations Dynargie en Suisse romande. Les bases sont les mêmes, mais pas les contraintes. On ne va pas déléguer un projet, dire non ou donner du feed-back de la même manière en présentiel ou en télétravail.»

La formation donne des techniques pour communiquer à un collaborateur des éléments difficiles, par écrans interposés, ou pour mener une visioconférence qui génère de l’engagement. La maîtrise approfondie d’outils comme Zoom, Teams ou Webex fait partie de cet atelier. Les cours se passent de manière hybride, en présentiel et en webinaire, la plupart du temps intra-entreprise. Mais dès cet automne, un groupe interentreprise sera constitué, accueillant des dirigeants de plusieurs sociétés.

L'Ifage approfondit désormais ce point dans le cadre du brevet fédéral de spécialiste en conduite d’équipe. «Avec la pandémie et les nouvelles manières de travailler, nous avons renforcé nos formations pour les managers. En effet, le style de leadership a un impact direct sur la façon de gérer une équipe à distance. Le télétravail demande des capacités fédératrices; pour un dirigeant enclin à du micromanagement, le glas a sonné», estime Catherine Monnin, responsable des formations en management à l’Ifage.

Virgile Formation a reçu des demandes d’entreprises souhaitant des ateliers sur le management à distance. Elle a mis en place une offre sur mesure pour celles-ci. ll est possible qu’une proposition de ce type figure également dans son catalogue cet automne. La formule n’est pas encore été établie à ce stade.

Du côté de Romandie Formation et des formations continues des HE-ARC, HEG-FR et HEIG-VD, il n’y a pas de démarche dans ce sens, même si la thématique intéresse dans les cantons de Vaud et Neuchâtel. Enfin, l’Institut de formation permanente (IFP) envisage de développer ce sujet dans son module gestionnaire RH.

TB
Tiphaine Bühler