Plus de 500 000 francs touchés durant la saison 2018-2019. La rémunération du chef d’orchestre de l’Orchestre de la Suisse romande (OSR), révélée par la chaîne locale Léman Bleu, a scandalisé de nombreux Genevois. Notamment parce que l’OSR bénéficie de financements publics très importants, largement majoritaires dans le budget annuel de 27 millions de francs de l’institution; le mécénat et les billets vendus couvrent moins du tiers des dépenses.

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Le conseiller municipal vert Matthias Erhardt, dans les colonnes de la Tribune de Genève, trouve «choquant que, en dépit d’une importante participation financière, le contrôle des élus et de la population sur le fonctionnement de l’OSR soit quasi nul». Des voix contraires s’élèvent toutefois. «Ces institutions sont certes très subventionnées, mais les pouvoirs publics doivent prendre en compte les fonds privés entrant en jeu, remarque Florence Kraft-Babel, conseillère municipale PLR à Genève. L’autre réalité dont il faut tenir compte avant de plafonner arbitrairement les salaires est celle du monde de l’art. Si une organisation culturelle veut profiter du talent et de la notoriété d’un artiste, elle doit lui offrir une rémunération à la hauteur de ce qu’il rapporte.»

Miroir d'un paradoxe

Pour le sociologue Olivier Moeschler, chercheur associé à l’Université de Lausanne (Unil), le débat actuel est le miroir d’un paradoxe: «Cela renvoie au statut des arts et de la culture dans notre société. Ce domaine est vu comme quelque chose de gratuit, de superflu, de non nécessaire. Et, dans le même temps, il s’agit d’un domaine très valorisé, y compris par les collectivités publiques, qui en font une pièce maîtresse de leur stratégie d’intégration sociale ou de marketing urbain, pour attirer entreprises et organisations internationales.» Pour lui, un plafonnement des salaires ferait courir le risque à l’offre culturelle d’une ville de n’avoir plus qu’une pertinence locale, voire d’être de qualité moindre.

La question des rémunérations des hauts cadres dans la culture correspond à un débat plus large, selon Caroline Marti, cheffe du groupe socialiste au Grand Conseil genevois. «Le Parti socialiste est favorable à une limitation des écarts de salaires, dans le public comme dans le privé, tel que cela avait été demandé lors de l’initiative «1:12» en 2013. Cela passe par des plafonnements, mais aussi par une revalorisation des bas salaires.» Même si elles ne font pas, à proprement parler, partie de l’administration, les institutions subventionnées doivent appliquer des règles de contrôle des rémunérations.

«Il faut conserver une certaine souplesse. Une organisation dont 5% du budget est issu de fonds publics doit avoir plus d’autonomie qu’une organisation comme l’OSR, financée majoritairement par des fonds publics, ou des régies publiques, comme les Transports publics genevois (TPG) et les Hôpitaux universitaires (HUG).»

Sur le plan fédéral, tendance à la baisse

Plusieurs projets de lois dans le canton de Genève ont d’ailleurs été déposés et soutenus par le Parti socialiste pour limiter les hauts salaires ou indemnités. Le MCG et son député Sandro Pistis défendent ce plafonnement des rémunérations dans les régies publiques genevoises. «Les sommes payées à la direction sont astronomiques, alors qu’elles ne devraient pas dépasser celle versée à un conseiller d’Etat, qui gagne environ 300 000 francs par an, indemnités comprises.»

En mars dernier, le canton de Genève a décidé de faire preuve de plus de transparence et de publier, pour la première fois, les salaires 2020 des 15 directeurs de régies publiques, dont l’Aéroport de Genève ou les Services industriels, par exemple. Au niveau fédéral aussi, les rémunérations des postes des directeurs des ex-régies publiques et autres institutions liées à la Confédération ont été rendues publiques (lire ci-dessous).

La tendance des salaires des cadres sur le plan fédéral est plutôt à la baisse, observe Marco Taddei, responsable romand de l’Union patronale suisse (UPS). «Plusieurs rémunérations dans les ex-régies fédérales sont repassées sous la barre du million de francs. C’est notamment le cas des CFF et de La Poste, dont le salaire de l’ancienne directrice, Susanne Ruoff, avait été beaucoup critiqué en 2018. La pression médiatique et sa traduction politique ont eu un effet, sans avoir besoin de légiférer.»

Le seuil symbolique de 1 million correspond à la rémunération des conseillers fédéraux. «Dans l’esprit des gens, ce sont eux qui ont la plus grande responsabilité. Il y a peut-être une part d’irrationnel avec ce seuil, car les exigences de résultats et la pression dans les entreprises publiques sont souvent les mêmes que dans le privé, où les salaires dépassent largement ces montants.»

Attirer les talents

Plus récemment, en 2021, la SSR a décidé de changer sa politique salariale après qu’un syndicat du personnel et des politiciens se sont indignés des primes accordées à la direction en période de pandémie et de restrictions budgétaires. Autre exemple local, le directeur des HUG a décidé de renoncer à son augmentation salariale de 18%, après la diffusion de l’information dans la presse locale.

Pour David Giauque, spécialiste en sociologie des organisations et en ressources humaines à l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap) à Lausanne, les administrations et organisations subventionnées n’ont toutefois pas d’autre choix que de faire un pas en direction du privé pour attirer les talents. «Les salaires des directeurs du CHUV ou des HUG, qui emploient plus de 10 000 collaborateurs et ont des missions très complexes, ne me semblent pas démesurés, par exemple.»

Le professeur de l’Unil invite aussi à ne pas faire de généralités. «En réalité, dans certaines branches, les postes de direction sont souvent plutôt mal rémunérés. A cahier des charges et niveau de compétences requis égaux, les salaires de directeurs financiers, par exemple, seront plus élevés que ceux de directeurs exerçant dans d’autres fonctions transversales (ressources humaines, domaines sociaux, culture, etc.). L’importance politique accordée à certains domaines par rapport à d’autres, le regard que la société porte sur eux, mais aussi les questions de pénuries sont autant de facteurs pouvant influencer les salaires.» Etant donné toutes ces contingences, conclut David Giauque, «il n’y a pas de formule magique» pour décider des politiques salariales dans les organisations.


Lausanne: le choix de l’alignement salarial

  • Musées A Lausanne, une discussion a eu lieu au moment de la réunion de plusieurs grands musées de la ville au sein du projet Plateforme 10. Le recrutement de directrices ou de directeurs stars, pouvant coûter très cher, a été en quelque sorte écarté. «La politique a décidé d’aligner, dans une loi datant de 2019, les rémunérations des directeurs de Photo Elysée, du MCBA et du Mudac, ainsi que du directeur général de la plateforme, sur celles des collaborateurs de l’administration cantonale», explique le chef du Service du personnel de l’Etat de Vaud, Philippe Chaubert. Il s’agit pourtant d’une fondation, avec une part de fonds privés venant de différents donateurs, dont Audemars Piguet.
  • Catégories «Les classes de salaires ont été calculées par notre service en fonction de la responsabilité (en budget, en personnel) et de l’autonomie.» La direction des musées s’étend des classes 14 (113 608 à 164 732 francs) à 17 (152 120 à 220 573 francs); et celle de Plateforme 10 s’établit à la catégorie 15 (124 843 à 181 023 francs). «Bien que tous les postes aient été repourvus récemment, nous n’avons pas rencontré de problème de recrutement. Il y a des avantages aussi à être affilié à l’Etat de Vaud, avec une progression possible et connue dans la classe de salaires, l’accès à la caisse de pension et à un environnement de travail porteur de sens.»

 

 

BG
Blandine Guignier