Elle se décrit comme quelqu’un de plutôt réservé, mais Amanda Byrde est capable de déplacer des montagnes. Pour l’heure, il s’agit de terminer les aménagements de Beaulieu Circulaire, le premier espace en Suisse dédié à l’innovation dans le domaine de l’économie circulaire. «Et il y a encore du travail», nous dit la coprésidente de l’Association Impact Hub Switzerland, qui compte désormais une centaine de salariés entre Genève et Zurich, en passant par Lausanne, Berne, Bâle et le Tessin.
Autrefois, pendant le Comptoir suisse, on trouvait ici exposés les chèvres, les vaches et les taureaux que, chaque année, des dizaines de milliers de visiteurs venaient admirer. Les halles nord du Palais de Beaulieu ont ensuite été occupées par les danseurs du Ballet Béjart qui y avaient leurs salles de répétition. A la fin de l’année passée, la ville de Lausanne a finalement décidé de louer ces 3000 mètres carrés à Impact Hub ainsi qu’à Mentor Energy et à l’Eveil, deux organisations de réinsertion professionnelle qui partagent les locaux.
L'économie circulaire, plusieurs définitions
Mais comment chauffer ces bâtiments aux immenses volumes, de véritables passoires énergétiques? se demande-t-on en pénétrant dans les lieux. C’est l’un des défis qu’Amanda Byrde et ses collègues se réjouissent de relever sous forme de prototypes, en collaboration avec un énergéticien de la place, et qui cadre très précisément avec leur vocation.
Au sein de la coalition Circular Economy Transition, l’équipe d’Impact Hub a été chaque année depuis 2018 à l’origine d’une centaine de solutions visant une économie plus durable et respectueuse de l’environnement. Un mouvement soutenu par la fondation MAVA de la famille Hoffmann, actionnaire principale de Roche, par le think tank Sanu durabilitas ainsi que par UBS et Swisscom, notamment. Encore en chantier, ce nouvel espace a été pensé comme un lieu de rencontre et de coworking, mais aussi comme un incubateur pour les start-up actives dans l’économie circulaire: énergie, textile, alimentation, construction, technologies de l’information, services… tous les secteurs sont concernés.
Amanda Byrde en convient: il y a plusieurs définitions de l’économie circulaire et le bourgeonnement actuel témoigne de l’intérêt qu’elle suscite. «Je me réjouis de voir qu’elle est en passe de devenir mainstream», souligne-t-elle, en recommandant l’excellent guide de 32 pages rédigé par Circular Economy Transition. Et de rappeler quelques principes de cette nouvelle conception de l’économie, comme l’importance du choix des matériaux, la facilité de démontage et de réparation, une conception modulaire des produits, l’efficience énergétique… «Lorsqu’on est dans le recyclage, c’est le signe que c’est presque trop tard pour l’économie circulaire.» Pour combiner écologie et économie, ajoute-t-elle, il faut changer d’état d’esprit, mais aussi de modèles d’affaires.
Engagement de sa famille au Honduras
L’entrepreneuse est née à Genève, elle y a passé son enfance et son adolescence. Au fil des années, elle s’est régulièrement rendue au Honduras, le pays d’origine de sa mère, où celle-ci a longtemps mené des missions humanitaires, notamment pour l’ONU. «C’est un pays aux antipodes de la Suisse, caractérisé par des inégalités fortes et une instabilité politique. Ce qui m’a d’emblée donné une conscience sociale et l’envie de m’engager pour avoir un impact positif.»
Bonne élève, elle opte à la fin de sa scolarité pour HEC à l’Université de Genève. Après un séjour Erasmus en Espagne et une année d’études à Boston, elle rejoint la société de gestion de fortune de son père comme analyste financière. De ce travail en famille, elle garde un excellent souvenir et dit avoir beaucoup appris. De son côté, celui-ci ne tarit pas d’éloges: «En Asie, raconte Yves Byrde, mais aussi en Russie et en Amérique latine, Amanda a été confrontée quotidiennement à des gérants de fonds bien plus âgés qu’elle et pour la plupart masculins. Ce qui n’était pas évident pour une jeune femme de moins de 30 ans.» Et de souligner sa bonne compréhension du monde, son sens de la communication et de l’organisation. Une expérience complétée par un séjour de près d’un an à Shanghai, seule au front, comme responsable d’un fonds de fonds asiatique.
Il y a une dizaine d’années, les parents d’Amanda Byrde se sont installés au Honduras. Engagée en politique, sa mère a activement pris part aux dernières élections et à la défaite du président en place, Juan Orlando Hernandez, extradé ce printemps puis incarcéré aux Etats-Unis pour avoir participé à un gigantesque trafic de cocaïne et transformé le pays en narco-Etat. Membre du gouvernement de la présidente Xiomara Castro, Yadira Gomez Byrde est désormais ministre du Tourisme. Avec pour mission de développer ce secteur dans un pays connu pour une violence endémique et un niveau d’insécurité record. Un sacré défi, même si le pays recèle d’immenses trésors, comme le site maya de Copan et des îles paradisiaques sur la mer des Caraïbes.
Diplômé de l’Ecole hôtelière de Glion, le frère cadet d’Amanda Byrde gère d’ailleurs un établissement sur l’une d’entre elles. Et l’on évoque volontiers autour de la table familiale de possibles partenariats avec les instituts de formation de l’Arc lémanique. «Une fois que nous aurons mis Beaulieu Circulaire sur les rails, poursuit la jeune entrepreneuse, je me vois bien passer quelque temps au Honduras. Il y a d’ailleurs déjà un Impact Hub dans la capitale, Tegucigalpa, et je me réjouis de travailler avec eux.»
Premier Impact Hub à Londres en 2005
Depuis la création du premier Impact Hub à Londres en 2005, le concept a essaimé sur tous les continents et on en compte actuellement une centaine dans le monde. En Suisse, c’est Zurich qui a ouvert les feux, il y a dix ans. Genève a suivi en 2014. C’est à cette occasion qu’Amanda Byrde rencontre ses futurs associés, Alexandra «Santu» Boethius et Felix Stähli, tous deux plutôt axés sur les relations internationales et qui cherchent alors des compétences complémentaires aux leurs. Amanda Byrde apportera un solide bagage en finance et en administration, une grande capacité à lever des fonds et un culot que ses manières douces ne laissent pas augurer. «Amanda est une énorme bosseuse qui ne lâche jamais rien, affirme Felix Stähli. Dans les moments de stress, elle garde son sang-froid et réussit à jouer les médiatrices si nécessaire. Elle est impressionnante.»
S’ils portent le même nom, tous les Impact Hubs ne fonctionnent pas de la même façon et ne couvrent pas les mêmes domaines. Assez naturellement, celui de Genève a dès ses débuts visé à mettre l’ONU et plus largement les organisations internationales en relation avec des acteurs locaux. Par exemple en lançant le programme Accelerate 2030 destiné aux pays émergents. L’équipe genevoise a aussi été mandatée par le canton pour aider les PME du cru à faire le pas de l’économie circulaire. A Berne, Impact Hub reste très actif dans le soutien à l’entrepreneuriat féminin.
Transition écologique, un immense potentiel
A Zurich, l’un des projets phares est la plateforme Kickstart Innovation lancée par Digital Switzerland en 2016 et qui favorise la mise en contact des grandes organisations (entreprises et administrations…) et start-up. Depuis 2020, Kickstart s’est associé à Impact Hub Lausanne et Impact Hub Geneva pour accroître sa présence en Suisse romande. Parmi les belles réussites, le partenariat entre le géant Coop et Planted, le pionnier des substituts de la viande à base des protéines végétales et l’une des start-up les plus cotées du moment. Ou la collaboration entre le cimentier Holcim et la jeune pousse Neustark pour le développement d’un béton neutre en carbone.
>> Lire aussi: Planted Foods surfe sur le boom des protéines végétales
On peine parfois, dans le foisonnement des initiatives de soutien à l’innovation, à toujours bien comprendre qui fait quoi. Vis-à-vis des sponsors, Impact Hub et son spin-off Kickstart Innovation se sont ainsi retrouvés à plus d’une reprise en situation de concurrence avec d’autres acteurs, comme MassChallenge. «Cette émulation ne me déplaît pas, dit Amanda Byrde. Mais il faut bien expliquer le positionnement des uns et des autres. Et collaborer quand cela a du sens. En ce qui concerne Impact Hub Switzerland, depuis 2018, nous nous concentrons clairement sur tout ce qui touche à l’économie circulaire. Et nous le faisons de manière coordonnée à l’échelle nationale pour parler d’une seule voix à nos partenaires et au public.»
Par exemple en annonçant la quatrième édition du Circular Economy Incubator, qui devrait accueillir l’an prochain une nouvelle volée de 30 start-up. Ou avec le lancement, le 10 octobre dernier, de la coalition «Longue vie à nos objets» avec 13 autres organisations. «Notre approche ne vise pas seulement à atteindre les objectifs du développement durable, mais aussi à mobiliser l’immense potentiel économique de la transition écologique. Voilà qui doit parler aux entreprises.»
>> Lire aussi: Lucie Rein, championne de l'économie circulairehttps://www.pme.ch/business/2022/03/14/lucie-rein-championne-de-leconomie-circulaire
- 1985 Naissance à Genève d’une mère originaire du Honduras et d’un père suisse. Après des études en économie, elle rejoint la société de gestion de fortune de ce dernier.
- 2013 Elle rencontre ses futurs associés, Alexandra «Santu» Boethius et Felix Stähli, avec qui elle fonde quelques mois plus tard le premier Impact Hub en Suisse romande, à Genève.
- 2022 Inauguration, fin septembre, de Beaulieu Circulaire, à Lausanne, avec le soutien du Conseil d’Etat vaudois.