Cela fait maintenant quatre ans qu’Aequivalent, reconnue depuis peu comme une scale-up du canton de Vaud, publie une étude sur la véracité et l’exactitude des informations fournies par les candidats lors d’un recrutement. Une activité méconnue en Suisse, qui se pratique très couramment dans les pays anglo-saxons sous l’appellation de «background check». Et les résultats surprennent toujours. Ainsi, sur les 3757 dossiers analysés en 2022 par la société basée à Y-Parc, à Yverdon, environ un tiers seulement des dossiers se révèlent entièrement conformes. La grande majorité des candidatures comprennent des inexactitudes, des omissions, voire des déclarations qui ne correspondent pas à la réalité (5,48% de l’échantillon).

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S’il ne s’agit que très rarement de cas graves, comme l’affaire qui secoue l’Usam et son futur dirigeant, Henrique Schneider, accusé de plagiat et de mensonge sur son CV, ces chiffres soulignent l’importance, pour les employeurs, de s’assurer qu’ils recrutent en toute connaissance de cause. Une vérification des antécédents professionnels d’autant plus essentielle pour les postes sensibles ou dits «à risque». Une mission à laquelle s’attelle Aequivalent depuis 2015, date de sa fondation. Entretien avec Michael Platen, son fondateur et CEO.

Quelles sont pour vous les principales conclusions de votre étude, qui sera publiée le 6 juin prochain?

L’étude confirme globalement les tendances que nous constatons depuis quatre ans. En 2022, 29,3% des dossiers que nous avons analysés étaient entièrement conformes, contre 34% en 2021. 5,48% des dossiers contenaient des éléments non conformes. Les cas de non-conformité concernent surtout la probité financière (faillite, poursuites, qui représentent 38% des cas de non-conformité), l’adresse incorrecte (26% en 2022, contre 19% en 2021) et la dissimulation d’activités accessoires et les conflits d’intérêts (26%). A noter que ce dernier point reste la plus grande problématique, mais elle ne se reflète pas forcément dans les chiffres, car tous nos clients ne nous demandent pas de vérifier systématiquement cet élément, contrairement à la probité financière. Les diplômes falsifiés restent un problème très minoritaire, mais il y en a chaque année (cinq cas en 2022).

«Notre étude montre, après vérification, que 50% des candidats avaient des poursuites à une ancienne adresse.»

 

Pourquoi le manque de transparence concernant la probité financière ressort-il de manière aussi importante?

L’une des particularités de la Suisse, ce sont les offices des poursuites qui sont propres à chaque canton, voire à chaque district. Si une personne déménage de Genève à Lausanne et postule pour un poste à Lausanne, l’extrait de l’Office des poursuites demandé par l’employeur ne concernera que le nouveau domicile. Or notre étude montre, après vérification, que 50% des candidats avaient des poursuites à une ancienne adresse, chose qui n’est mentionnée nulle part, que ce soit en Suisse ou à l’étranger.

Sur le CV, 73% des expériences contiennent des inexactitudes. De quoi s’agit-il? De mensonges ou de petites omissions, histoire d’enjoliver son parcours professionnel?

C’est ce que nous appelons les points d’attention, soit des informations sur le CV qui ne semblent pas correctes, et que nous avons pris en compte pour la première fois dans l’étude. Cela s’applique à des dates fausses sur la durée d’un poste (17,1%), des expériences professionnelles qui ne sont pas mentionnées (5,2%), des déclarations qui portent à confusion sur le type de contrat (14,2%) ou le titre du poste (5,7%) et au taux d’activité (12,1%). Le candidat peut avoir de très bonnes raisons mais cela nécessite une vérification; 21,3% des candidats ne nous ont pas autorisés à mener nos vérifications auprès d’un ou plusieurs de leurs anciens employeurs, étant entendu que la démarche est totalement transparente et que nous devons avoir leur accord pour aller plus loin. Je précise aussi que les données sont effacées de notre serveur après 90 jours. Autre nouveauté de l’étude: la comparaison du CV au profil LinkedIn, où il ressort que seulement 29% des profils LinkedIn correspondent entièrement au CV! Ces imprécisions ne sont pas forcément graves, mais un employeur se doit de bien connaître la personne avec qui il souhaite travailler.

Quelles sont les constantes qui se confirment d’année en année depuis que vous menez cette étude?

Nous observons que les femmes sont souvent plus «conformes» que les hommes, même si la différence est minime, que les jeunes sont moins attentifs à l’exactitude de leurs déclarations que les plus âgés – peut-être parce que, avec la numérisation, on a pris l’habitude de remplir rapidement des champs en prenant moins la mesure de ce que l’on écrit – et que les Alémaniques ont en général un meilleur score que les Romands (4% de dossiers non conformes, contre 6%). A l’international, nous observons que les germanophones sont toujours les mieux classés en matière de transparence alors que les Anglo-Saxons figurent parmi les plus mauvais élèves.

Dans un contexte de pénurie de talents, certaines entreprises choisissent de faire l’impasse sur le CV, avec des entretiens où priment les soft skills. Qu’en pensez-vous? Cette période n’est-elle du reste pas peu propice aux affaires d’Aequivalent?

Je trouve que toutes les initiatives innovantes autour du recrutement sont une excellente chose. Tout dépend du poste et du niveau de risque qu’il induit. Certains ne nécessitent en effet pas que l’on se focalise sur les antécédents mais plus sur les compétences nécessaires dans l’immédiat. Reste que, pour moi, le CV sera toujours nécessaire; qu’il soit sur LinkedIn ou Xing ne change pas grand-chose. Car les compétences s’acquièrent avec les postes qui ont été occupés et les informations sur le passé permettent de mieux prédire l’avenir. Tout va très vite aujourd’hui, en particulier dans ce contexte de pénurie de personnel, mais c’est bénéfique pour nous, car les employeurs peuvent se concentrer sur la personne qu’ils ont en face et laisser notre plateforme effectuer les tâches administratives et les vérifications.

Début mai, Aequivalent lançait la deuxième génération de sa plateforme. En résumé, quelles sont les grandes nouveautés?

La première plateforme avait été lancée en 2015, avec la fondation de la société, et, depuis, nous avons connu une forte croissance. Avec les exigences de plus en plus complexes des clients, que ce soit au niveau technique ou des fonctionnalités demandées, nous avons commencé il y a trois ans à réfléchir à une nouvelle plateforme. Celle-ci est conçue pour que nous puissions continuer à croître rapidement et offrir des fonctionnalités taillées sur mesure, que ce soit pour une petite PME qui analyse un dossier par semestre ou pour un grand groupe qui gère de multiples embauches toute l’année. Les entreprises nous achètent une licence, dont le prix varie de 480 à 6000 francs par an, et disposent par ce biais d’une plateforme pour gérer ce processus de manière entièrement digitalisée. Et 25% de nos activités concernent la réactualisation d’un dossier, en particulier pour les postes à risque (compliance, IT, sécurité...), où les RH s’assurent que la personne en poste reconfirme l’exactitude de ses données.

«Pour l’heure, nous n’avons aucun client issu de la politique mais je suis persuadé que cette tendance va arriver.»

 

Vous avez travaillé dans le milieu de la finance et vos clients étaient, à l’origine de la création votre société, surtout des banques. Qui sont-ils aujourd’hui?

Les banques nous ont en effet fait grandir, à une époque où les réglementations de la Finma sur le personnel bancaire nécessitaient de s’assurer de l’intégrité, de la formation et de la qualification de ses employés. Aujourd’hui, on peut dire que nous sommes la plateforme de référence pour les banques en Suisse. Sont arrivés ensuite l’IT, un domaine où les risques sont importants avec l’accès aux données et aux infrastructures techniques, ainsi que les ONG, pour qui les risques de réputation sont cruciaux, les marques de luxe, qui ont besoin de s’assurer une image et une réputation irréprochables. La pharma, le médical, la défense ou l’aviation, soit tous les secteurs où les niveaux de sécurité doivent être contrôlés, commencent peu à peu à étoffer notre clientèle. Au total, nous comptons 200 clients, des entreprises suisses qui ont souvent des filiales en Europe. Nous avons aussi un bureau à Berne, pour être plus proches des clients alémaniques. Le potentiel de croissance est encore très important pour nous en Suisse et nous n’envisageons pas de nous attaquer à l’étranger dans l’immédiat.

Récemment, on a beaucoup parlé de Valérie Dittli, la ministre vaudoise des Finances, qui, durant six ans, a vécu à Lausanne tout en conservant son domicile principal, et fiscal, dans le canton de Zoug. Le milieu politique aurait-il tout intérêt à faire du check background de ses élus?

Pour l’heure, nous n’avons aucun client issu de la politique mais je suis persuadé que cette tendance va arriver, comme on peut le constater déjà dans d’autres pays où les dossiers de candidature pour le service public sont systématiquement vérifiés. D’autant que, en Suisse, la loi fédérale sur la sécurité de l’information au sein de la Confédération a fait l’objet de récentes modifications qui sont entrées en vigueur le 1er mai 2022. De même, il existe un service similaire au nôtre à Berne, s’adressant exclusivement aux institutions fédérales et qui s’appelle le Contrôle de sécurité des personnes. L’ordonnance encadrant ces contrôles effectués par la Confédération sur certains postes sensibles est elle-même en constante évolution, avec une nouvelle mouture qui devrait entrer en vigueur au 1er septembre 2023.

 

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Elisabeth Kim