Bonnet de Père Noël sur la tête et chanson de Mariah Carey: dans une vidéo, le directeur général de 123 Next Generation, société de conseil et de formation à Genève, est allé loin pour recruter son responsable communication sur Jobup. «Nous avons demandé aux candidats de nous envoyer eux aussi une vidéo, explique Maxime Lagane, par ailleurs fondateur de l’entreprise. Nous avons reçu 220 candidatures en trente jours, même si tout le monde n’a pas joué le jeu.»

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Et le directeur qui emploie trois personnes à temps plein d’ajouter: «Pour nous, créer une vidéo témoignait déjà d’une motivation importante. D’autant plus pour un emploi en communication. Elle représentait pour nous un outil supplémentaire pour évaluer les soft skills, les compétences relationnelles des candidats.» Le postulant retenu est sorti du lot en mettant en valeur son parcours sur un ton un peu décalé s’inscrivant dans ce que l’entreprise avait fait. «Il a pris un risque, il est sorti de sa zone de confort et, pour nous, c’est ainsi que les gens se révèlent.»

Séduire et se démarquer dans un marché tendu

Dans un marché de l’emploi tendu, le salaire ne suffit plus pour attirer et retenir les talents.

«Nous passons à un marché du travail de la séduction et nous devons modifier nos habitudes en matière de recrutement. La communication et le marketing deviennent un enjeu pour les RH qui, traditionnellement, en avaient moins besoin – les candidats venaient à elles.»

Les employeurs doivent se démarquer: les jeunes ont des attentes et sont exigeants, constate le directeur de 123 Next Generation. «Ils sont en position de force. Avec le numérique et le marketing, les tendances changent très vite. Ce qui fonctionne aujourd’hui sera peut-être obsolète dans trois ans. Il faut constamment muscler ses compétences et entrer dans une logique d’apprentissage permanent.»

Procédés de démarchage originaux

Autre exemple de recrutement original: l’horloger jurassien Pibor Iso, basé à Glovelier, a choisi d’inverser les rôles en «postulant» grâce à un curriculum vitæ et à une lettre de motivation auprès de ses futurs employés sur le réseau social professionnel LinkedIn. La société se présente en passant en revue ses 70 ans d’expérience et en exposant ses domaines de prédilection: l’horlogerie, la bijouterie et la microtechnique.

Dans le Jura toujours, la société Willemin-Macodel, fournisseur de solutions d’usinage et de robotisation qui compte 364 collaborateurs, a quant à elle collé sur des bus de la région une affiche publicitaire sur laquelle on peut lire: «T’es un peu schlagué.e du galta? Ça ne fait rien, on te recrute tel que tu es. Enfin presque…», l’expression en patois local signifiant «être un peu fou».

Responsable marketing de l’entreprise, Marielle Houriet explique que cette campagne est née du besoin de recruter beaucoup de gens rapidement. Ce n’est pas tant que la société doit remplacer des postes restés vacants, mais comme elle a énormément grandi dernièrement et qu’elle continue de croître, plusieurs nouveaux postes se sont créés.

«Nos directeurs m’ont demandé de trouver des actions marketing susceptibles de taper dans l’œil, quitte à faire quelque chose qui ne passe pas inaperçu et qui n’a jamais été fait dans le canton, afin d’interpeller les éventuels candidats.» Et la stratégie a fonctionné. «Nous avons reçu plus de candidatures que d’habitude et nous avons pu répondre aux exigences de l’entreprise.»

Rester attractif 

Willemin-Macodel souhaite continuer à développer sa marque employeur (employer branding). «Cela est désormais nécessaire, notamment avec les départs à la retraite d’une main-d’œuvre très qualifiée, qui a beaucoup d’expérience et qui devra être remplacée dans les années à venir.» Pour Stéphane Gigon, directeur de Humanys Solutions, qui compte 20 collaborateurs experts RH à Lausanne, cette campagne est très positive: «On ne peut plaire à tout le monde, mais ces publicités ont rendu la société visible et peuvent titiller la curiosité d’un jeune Jurassien.» L’expert observe que les entreprises doivent innover et être créatives non seulement pour recruter, «mais aussi pour rester attractives auprès du personnel en poste».

Les entreprises doivent être visibles et faire régulièrement du démarchage sur les réseaux sociaux pour montrer qu’elles existent, sinon elles demeurent invisibles, soutient-il. Depuis plusieurs mois, Humanys Solutions travaille sur un programme de valorisation de la marque entreprise, une stratégie visant à enrichir l’image de la société. «Les entreprises sont désormais obligées d’être attirantes parce que nous sommes dans une économie «yolo» (acronyme pour «you only live once»), souligne-t-il. Les employés ont l’avantage; la courbe démographique ne compensera pas le départ à la retraite des baby-boomers, qui seront plus de 500 000 à se retirer du marché de l’emploi d’ici à 2030.» Pour lui, cette pénurie actuelle, «qui ne va que s’aggraver», doit ainsi être prise en compte dès aujourd’hui par les PME. 

Miser sur d'autres atouts

Pour attirer les jeunes talents, certains misent désormais sur leurs locaux, orientés sur le bien-être des salariés. C’est le pari de la surface industrielle Beezi, à Tolochenaz (VD), un espace de coworking, imaginé par l’entreprise genevoise Stoneweg, qui vient d’être inauguré. La PME Durrer Technik, spécialisée dans les systèmes d’aération, sera le premier «locataire-ambassadeur» du bâtiment. «Les zones vertes aménagées, le fitness et les zones de détente nous ont séduits, explique le directeur Alexandre Vilar, qui emploie une vingtaine de collaborateurs. L’espace prend aussi concrètement en compte la durabilité: divers capteurs donnent la vision globale de l’empreinte écologique de l’activité du bâtiment à chaque moment de la journée, sur un écran et une application. En outre, le centre propose une recharge pour véhicules électriques, un point vélo et un centre de tri et de gestion des déchets centralisé.»

Le directeur apprécie que l’espace vise à réunir des artisans et des industriels autour de services mis en commun. «Le rapport coût d’exploitation/bénéfices des activités et valeurs humaines est incomparable par rapport à l’offre de surfaces actuellement disponible en Suisse romande, et même au niveau national.» Avec ces plus-values, il espère attirer les meilleurs talents de la jeune génération.

Ces stratégies sont évidemment plus faciles à intégrer dans le tertiaire que dans les autres secteurs ou pour le travail saisonnier: «Il y a plus de flexibilité là où les gens peuvent travailler depuis la maison, si le travail peut être réalisé sans baisse de quantité et de qualité.» En outre, les nouvelles générations de salariés envisagent mal de travailler selon des horaires fixes en présentiel du lundi au vendredi. «Nous n’avons jamais connu un tel scénario depuis plus de vingt ans. Nous traversons une période très riche, complètement inédite, qui stimule la créativité et l’innovation.»

Quelles sont les priorités des demandeurs d’emploi?

Attentes
Humanys Solutions fait régulièrement des enquêtes pour mieux comprendre les grandes tendances en ce qui concerne les aspirations des demandeurs d’emploi. «Les statistiques démontrent clairement que le projet professionnel, le home office et les conditions salariales sont en tête des priorités des employés potentiels.»

Horaires
Le spécialiste RH cite l’exemple d’une société active dans le commerce de spiritueux à Genève – dont il ne peut dire le nom – qui a créé des horaires particuliers: en été et au mois de décembre, elle permet à ses employés, plus de 7000 dans le monde, de terminer leur journée plus tôt, à 12h ou à 14h. «De sorte qu’ils peuvent faire leurs achats le vendredi après-midi plutôt qu’à la fin de semaine lorsque les commerces sont achalandés. C’est très confortable. D’autres font travailler le personnel quatre jours et le paient pour cinq.»

Carré blanc
Andrée-Marie Dussault