Souvent précédés de hashtags lorsqu’ils sont brandis sur les réseaux sociaux, de nombreux néologismes ont fait leur irruption dans le langage professionnel ces dernières années. Tendance passagère ou évolution durable de la langue? «La durée de vie des néologismes reste très difficile à prédire, constate Aurélie Picton, professeure de terminologie et de linguistique à l’Université de Genève. On observe néanmoins une tendance des locuteurs à emprunter des mots qui semblent plus adaptés ou plus complets.»

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Par exemple, le quiet firing, littéralement «licenciement silencieux», fait écho au «quiet quitting» mais, cette fois-ci, ce sont les employeurs qui poussent sournoisement un ou plusieurs employés vers la sortie. Le phénomène se manifeste le plus souvent par un manque de prise au sérieux des aspirations et des propositions de l’employé. «Une autre variante non empruntée qui vient à l’esprit serait la «mise au placard», mais peut-être semble-t-elle un peu vieillotte ou mal adaptée aux réalités du monde du travail contemporain.»

Combler un vide lexical

Certains néologismes apparaissent également pour combler un vide lexical, c’est-à-dire l’absence d’un terme équivalent en français. Parmi eux, le rage applying, qui consiste à envoyer des candidatures en masse, sous le coup de l’énervement ou de l’agacement, pour quitter son emploi actuel le plus vite possible. L’overemployment désigne le cumul par l’employé de plusieurs postes à l’insu de ses employeurs, qui connaît un véritable avènement avec la généralisation du télétravail et la hausse du coût de la vie dans certains pays. Le flexit décrit quant à lui la démission de salariés contrariés par le manque de flexibilité de leur employeur, notamment en matière de télétravail.

Par ailleurs, la paire reskilling et upskilling, qui se réfèrent à une mise à niveau des compétences de l’employé, vise la réorientation professionnelle. L’objectif: maîtriser les nouvelles technologies et acquérir des compétences supplémentaires pour rester compétitif dans son métier.

Parfois, les termes empruntés s’imprègnent des codes phonétiques du français. C’est notamment le cas de ressentéisme. La pratique, issue du verbe anglais to resent («en vouloir à»), consiste à faire part de sa frustration vis-à-vis de son emploi et de ses conditions de travail, sans pour autant démissionner, souvent par manque de choix. La tendance se rapproche du quiet quitting, phénomène qui touche ceux qui n’ont pas osé sauter le pas de la Grande Démission survenue pendant la crise sanitaire, mais qui ne s’épanouissent quand même pas dans leur emploi.

Diffusés par les réseaux sociaux

Les emprunts de mots anglais sont aussi favorisés par la dimension transcendante des réseaux sociaux. «Nombre de ces néologismes peuvent avoir été diffusés par LinkedIn ou TikTok, des plateformes où l’on privilégie souvent l’anglais pour atteindre le plus grand nombre, poursuit la professeure Aurélie Picton. Les terminologues sont régulièrement confrontés à ce phénomène d’emprunt de mots et sont sollicités pour des propositions d’adaptation. Mais il arrive que, dans l’usage quotidien de la langue, ces propositions de variantes francophones ne prennent tout simplement pas et que l’emprunt à l’anglais perdure.»

Mais parfois le français l’emporte. C’est le cas des tracances ou travacances,  contraction de «travail» et de «vacances». Particulièrement adoptée en été, la pratique consiste à quitter son lieu de travail pour les plages de sable ou les abords d’une piscine en y emmenant non seulement son maillot de bain, mais aussi son laptop. L’occasion de prolonger son séjour au-delà de ses congés payés. Attention cependant au risque de blurring, de l’anglais to blur qui signifie «flouter» ou «brouiller», qui apparaît lorsque l’employé se trouve dans une zone grise entre temps libre et temps de travail, et n’est donc jamais complètement en congé.

 

Carré blanc
Julien Crevoisier