La Suisse est en train de développer massivement l'Etat social, plus massivement que jamais depuis cinquante ans. Une tempête de nouvelles charges sociales balaie le pays. Au centre de cet ouragan se trouve une figure emblématique: Pierre-Yves Maillard, patron des syndicats et conseiller aux Etats socialiste vaudois.

Le politicien de 56 ans exige plus de salaires minimums et moins d'Europe. Il a obtenu de haute lutte des rentes AVS plus élevées, le 3 mars dernier, et veut que les entreprises assument seules cette charge de plusieurs milliards de francs. A présent, il se bat pour le plafonnement des primes d'assurance maladie. Cela devrait également coûter plusieurs milliards par an aux contribuables si le peuple l'accepte dans les urnes le 9 juin.

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Certains le qualifient de «nouveau Christoph Blocher», le tribun du peuple dans le camp politique opposé. Pierre-Yves Maillard trouve la comparaison «un peu exagérée». Mais d'autres partagent cette appréciation. Ce qui caractérise les deux hommes, ce sont cinq qualités, selon un politicien vaudois du PLR: ils sont tous deux de bons rhétoriciens, intellectuellement forts, ils ont des idées claires, qui ont un fondement idéologique et qu'ils peuvent expliquer de manière populiste.

Les primes, un prélèvement obligatoire

Un exemple de sa rhétorique est le plafonnement des primes. L'initiative populaire est «fantastique», dit-il, car elle permet d'attirer l'attention sur la nature de la prime d'assurance maladie en tant que prélèvement obligatoire. Selon lui, elle est la conséquence d'un marché de la santé libéral qui augmente continuellement et de manière incontrôlée. «Imaginez ce qui se passerait si la TVA augmentait chaque année. C'est la raison pour laquelle elle est inscrite dans la Constitution et que nous pouvons voter à ce sujet.» Or les gens peuvent s'opposer aux augmentations d'impôts, mais pas aux augmentations de primes.

«Le marché libéral de la santé se sert de la classe moyenne», critique-t-il. Dans de nombreux cantons, elle bénéficie de trop peu de réductions de primes. Par conséquent, son revenu disponible diminue. «Nous disons maintenant stop: il doit y avoir une limite à ce prélèvement obligatoire.»

Le problème, ce sont les coûts consécutifs massifs pour la Confédération. Ils sont transférés des ménages à l'État. Le Conseil fédéral les a estimés entre 6 et 12 milliards de francs par an à partir de 2030. Mais le politicien ne semble pas s'en soucier. Faut-il pour cela augmenter la TVA de 2 à 3%? «Ce sont des prévisions exagérées. Ce qui compte, c'est la mise en œuvre, et c'est le parlement qui en décidera», répond-il. Il choisira une variante moins chère. «Mais quelle serait l'alternative?», demande-t-il de manière rhétorique. Sans l'initiative, «les primes continueraient à augmenter indéfiniment».

Une politique qui vise la classe moyenne

Dans le canton de Vaud, on est plus sceptique quant aux estimations de Pierre-Yves Maillard, explique un politicien du PLR. Un tel plafonnement des primes y existe déjà, introduit au niveau cantonal. Nos collègues de Handelszeitung ont fait le calcul. En 2015, Pierre-Yves Maillard, dans son rôle de conseiller d'Etat en charge des affaires sociales et de la santé, estimait les coûts supplémentaires du plafonnement des primes «entre 40 et 50 millions de francs». Deux ans plus tard, avant la votation populaire, il parlait de 50 à 60 millions. En 2018, le plafonnement des primes a été introduit en deux étapes. En 2019, les coûts supplémentaires s'élevaient déjà à 143 millions par rapport à la période précédant l'introduction. Et quatre ans plus tard, en 2024, les coûts supplémentaires sont estimés par le gouvernement vaudois à 178 millions, soit trois fois plus que ce que le Vaudois avait initialement promis.

Il nie cependant s'être trompé dans ses calculs. «Ces chiffres montrent qu'une extension de ce modèle de subventionnement à l'ensemble de la Suisse entraînerait des coûts modérés.» Selon lui, la majeure partie de la croissance des coûts du plafonnement des primes est due à une forte augmentation de celles-ci. Pierre-Yves Maillard, l'imperturbable. Une comparaison d'Ecoplan (année 2020) montre que depuis l'introduction du plafond, les dépenses de l'État par habitant sont très élevées dans le canton de Vaud.

Pierre-Yves Maillard ne se laisse pas  pour autant démonter. «Les Vaudois apprécient cette réforme. Et elle a été financée sans augmentation d'impôts», affirme l'ancien directeur des affaires sociales et de la santé du canton. Il est entré en fonction en 2005 et l'a quittée en 2019. Durant cette période, il a créé de nombreuses nouvelles aides publiques et sociales, subventionné des écoles à horaire continu, augmenté les allocations familiales et réduit la valeur locative fiscale des propriétaires de logements. 26 types de subventions figurent dans le budget social. Coût: 1,8 milliard de francs.

La politique de Pierre-Yves Maillard vise la classe moyenne. «Il veut la rendre dépendante des prestations de l'Etat, dit une politicienne bourgeoise vaudoise. Il souhaite désormais exporter ces méthodes socialistes en Suisse alémanique.»

Il y est parvenu avec la rente-pont, l'aide sociale pour les chômeurs en fin de droit de plus de soixante ans, également l’une de ses inventions. Elle a d'abord existé dans le canton de Vaud. En 2020, le parlement national l'a introduite dans toute la Suisse pour compenser la non-application de l'initiative contre l'immigration de masse. Toutes ces aides sociales ont un prix, pour lequel la classe moyenne reçoit une facture salée. Dans le canton de Vaud, les impôts sont très élevés pour un ménage normal. Un couple lausannois à double revenu avec deux enfants - revenu médian de 6800 francs chacun - verse 17 000 francs dans les caisses de l'État. C'est 38% de plus que dans la ville de Zurich, où le montant est de 11 500 francs.

Le canton de Pierre-Yves Maillard est considéré comme un enfer fiscal pour les particuliers. Les dépenses sociales et de santé élevées en sont une des raisons. Elles dominent 40% du budget de l'État vaudois. A titre de comparaison, elles ne représentent que 18% à Zurich.

Malgré les charges sociales, l'économie est en plein essor

Cela ne dérange pas Pierre-Yves Maillard. «Nous faisons de la politique sociale. Elle est dans l'intérêt de la collectivité.» Lorsqu'il était conseiller d'Etat, tous les projets sociaux contre lesquels la droite avait lancé un référendum ont été gagnés dans les urnes. L'économie vaudoise connaît une croissance «plus forte que la moyenne suisse». Les impôts sont certes élevés, et pourtant la situation continue d'évoluer, affirme le politicien socialiste. «Regardez le nombre de jeunes qui s'installent dans le canton de Vaud. Nous avons l'une des plus fortes proportions en Suisse.»

Il se moque des comparaisons avec les faibles charges fiscales de Zurich ou de Zoug: «Les gens paient certes de faibles impôts. Mais plus les impôts sont bas, plus les loyers et les prix de l'immobilier sont élevés. C'est ce que montrent les chiffres.» Selon lui, on ne fait ainsi que financer les bénéfices des investisseurs immobiliers.

Protection des salaires et politique européenne

Même en matière de politique économique, le canton de Vaud est le laboratoire politique de Pierre-Yves Maillard. Ce qu'il demande au niveau national en tant que patron des syndicats sous le terme de «renforcement de la protection des salaires» y existe déjà: plus de salaires minimaux dans plus de branches qu'auparavant. Pour simplifier, on les appelle «conventions collectives de travail déclarées contraignantes». Les détails sont techniques.

Dans le canton de Vaud, de tels salaires minimaux obligatoires existent par exemple dans l'horticulture, une branche où des salaires de misère étaient notoirement versés. Des salaires minimaux existent également dans le commerce de détail, le second œuvre, les garages et la construction métallique. Même les bureaux d'architectes et d'ingénieurs disposent de salaires minimums dans le canton de Vaud, une chose que les associations patronales de Suisse alémanique ne peuvent imaginer.

Cette méthode vaudoise de salaires minimaux obligatoires, il veut également l'exporter outre-Sarine. Toutefois, il se heurte à un mur: ni l'Union suisse des arts et métiers ni l'Union patronale suisse ne veulent de telles expériences vaudoises. Mais Pierre-Yves Maillard a une mission idéologique: renforcer les droits des travailleurs de toute la Suisse. Il emballe donc sa demande de manière populiste dans le terme «renforcer la protection des salaires». Et en fait une condition pour l'approbation par l'Union syndicale des nouveaux accords bilatéraux avec l'UE. Ceux-ci sont actuellement négociés à Bruxelles.

Un allié provisoire de Christoph Blocher?

Et c'est ainsi que Pierre-Yves Maillard devient l'allié controversé de l'UDC dans le dossier européen. «Nous avons désormais deux adversaires: Pierre-Yves Maillard et Christoph Blocher», a lancé récemment l'ex-conseiller fédéral PDC Joseph Deiss dans la NZZ. Cette critique laisse le politicien vaudois de marbre. Il se contente de dire: «Nous devons nous battre pour la protection des salaires.» Il ne s'agit pas pour lui de Christoph Blocher, mais de son objectif de salaires minimaux dans tout le pays. Une occasion unique s'offre maintenant à lui. «Il a un agenda qu'il veut faire passer», note une personne qui l'a connu lors des négociations sur les salaires minimaux déclarés de force obligatoire.

Et Pierre-Yves Maillard en rajoute deux couches: il est contre un accord sur l'électricité avec l'UE et contre la concurrence ferroviaire européenne dans le trafic intérieur. Sur le dossier de l'électricité, il explique: «Si l'on importe les méthodes de l'UE, cela conduit à la destruction de l'approvisionnement en électricité garanti et bon marché dans le pays.» Concernant le dossier ferroviaire, il ajoute: «Si l'on importe les méthodes de l'UE, cela conduira à des retards importants dans les horaires, à un mauvais service et à des pannes.» Ainsi, les partisans d'un nouvel accord avec l'UE se demandent si Pierre-Yves Maillard est prêt à faire des compromis dans le dossier européen.

Des compromis à la Maillard

Ceux qui le connaissent depuis longtemps disent qu’il se dit souvent prêt à faire des compromis. Mais qu'il a une conception particulière du compromis: il construit une résistance contre une préoccupation économique centrale qui lui déplaît. Et il laisse entrevoir la possibilité d'abandonner cette résistance si on lui permet de bénéficier de prestations sociales supplémentaires. Il y a deux exemples de cela: la réforme de l'imposition des entreprises et l'initiative contre l'immigration de masse.

L'économie voulait à tout prix la réforme de l'imposition des entreprises, afin de préserver le bas niveau d'imposition. Pierre-Yves Maillard voulait autre chose. Il a dit aux partisans: donnez-nous plus d'argent pour les prestations sociales, et nous abandonnerons notre opposition à un régime fiscal attractif pour les entreprises. Cet échange a certes fonctionné. Mais en réalité, il ne s'agissait pas d'un échange. «Pierre-Yves Maillard n'a fait que développer l'Etat social», déclare un politicien PLR vaudois.

Son «compromis» a également fonctionné lors de la mise en œuvre de l'initiative contre l'immigration de masse. «Seul Pierre-Yves Maillard a obtenu quelque chose, à savoir l'extension de l'État social avec la rente transitoire», explique le politicien PLR mentionné.

Aujourd'hui, le politicien vaudois pratique cette tactique une troisième fois dans la politique européenne, indique le connaisseur mentionné. Son offre: «Donnez-nous davantage de conventions collectives de travail de portée générale, et nous pourrons trouver une solution.» Reste à savoir si cette variante de compromis fonctionnera pour ce politicien rusé. Lui-même se plaint: «Les associations patronales ne sont pas du tout prêtes à faire des compromis.»

Cette fois-ci, la droite ne veut pas entrer en matière sur son pseudo-compromis. Personne ne peut prédire aujourd'hui si les accords bilatéraux avec l'UE vont finalement échouer à cause de cela. Mais si c'est le cas, l'ouragan devrait souffler encore plus fort qu'aujourd'hui sur le plan de la politique sociale.

Cet article est une adaptation d'une publication parue dans Handelszeitung.

BERN, 14.8.2019. Andreas Valda, Redaktor Handelszeigung. Foto: Daniel Rihs / 13 Photo
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