On ne fait pas de cadeau aux riches: telle est, en principe, la règle du fisc. Et celui-ci impose partout où il le peut. L'année dernière, il a perçu exactement 10,9 milliards de francs auprès des cinq plus puissants groupes suisses: Roche, Nestlé, Novartis, UBS et Zurich. Les cinq plus grandes entreprises n'avaient jamais versé autant aux autorités fiscales dans le monde entier. C'est le groupe pharmaceutique Roche qui a contribué le plus, avec 2,67 milliards. Un chiffre record, alors qu'il n'était que de 1,7 milliard l'année précédente.
Le fisc suisse a également réclamé un total de 3,5 milliards de francs aux cinq grands. C'est autant que l'année dernière, mais plus qu'en 2018, où ils avaient payé un tiers de moins. Ces chiffres montrent que l'affirmation du coprésident du PS, Cédric Wermuth, selon laquelle les entreprises auraient récemment bénéficié de toutes sortes de privilèges au détriment des salariés, est un mythe.
Zurich et UBS versent plus d'un milliard
Le plus gros contribuable est Roche, non seulement au niveau mondial, mais aussi en Suisse, avec 840 millions de francs. Viennent ensuite Novartis avec 807 millions, Nestlé avec environ 800 millions, UBS avec 605 millions et Zurich avec 450 millions. Ce classement fiscal 2024 de Handelszeitung se base sur les rapports financiers des cinquante plus grandes entreprises, sur des valeurs empiriques et sur des entretiens avec les sociétés. La raison pour laquelle les impôts ont encore augmenté de manière aussi spectaculaire l'année dernière est simple: les entreprises sont rentables, ce qui se reflète dans leur capacité de gain et leur capacité fiscale.
Prenons l'exemple de Zurich Insurance: il y a quelques années, elle payait encore 240 millions de francs en Suisse, aujourd'hui, ce chiffre devrait presque doubler. La hausse est encore plus importante chez UBS. En dix ans, la banque a multiplié par sept son impôt sur le revenu en Suisse, passant de 90 à 605 millions de francs. Lors de la crise financière de 2008, alors que la banque était au bord du gouffre, le fisc suisse a dû se contenter de 50 millions. Et les impôts sont restés bas pendant un certain temps, car UBS a pu compenser des pertes antérieures.
Novartis mène des recherches et produit en Suisse
Les caisses de l'État sont donc bien remplies, et ce pour deux raisons: le succès commercial est un moteur fiscal, tout comme la forte concentration de sièges sociaux. ABB, Liebherr, Kühne+Nagel, Richemont, Swiss Re, Syngenta ou Clariant: des dizaines de marques mondiales ont leur siège en Suisse. Cela rapporte énormément, comme le montre une analyse des impôts payés. En règle générale, 20 à 30% de la substance fiscale mondiale reste dans le pays où se trouvent le siège social, les dirigeants et les fonctions centrales, le reste étant déduit en appliquant les règles fiscales de chaque pays, selon les taux nationaux et les normes comptables internationales.
L'époque où la charge fiscale était minimisée par des montages offshore aventureux dans les Caraïbes est révolue. Dans le cas de la marque de chaussures de sport On, qui déclare 35 millions d'impôts pour 2024, le canton de Zurich, où se trouve son siège, encaisse facilement 10 millions de francs, le reste étant réparti entre les principaux marchés. Chez Novartis, la part du siège social est particulièrement élevée, à savoir 39%, soit 807 millions de francs. Cela s'explique par le fait que le groupe pharmaceutique n'est pas seulement représenté par son siège social en Suisse, mais qu'il y mène également des activités de recherche et de production.
Ces 39% constituent un pourcentage impressionnant, d'autant plus que cette entreprise mondiale n'emploie qu'un septième de son personnel dans notre pays et ne génère que 3% du chiffre d'affaires du groupe. Chez Sulzer et Nestlé, ce pourcentage est encore plus faible, à savoir moins de 2%, mais les impôts prélevés sont disproportionnés. Pour les cantons qui accueillent des multinationales, ce sont des conditions paradisiaques que leur envient les autres pays.
Ce qui rend ces sièges sociaux encore plus attractifs, ce sont leurs cadres bien rémunérés. Il s'agit généralement d'une centaine à un millier de personnes hautement qualifiées qui touchent des salaires bruts de plusieurs centaines de milliers de francs, imposables à des taux progressifs. Les flux financiers provenant des entreprises réjouissent particulièrement Tanja Soland, directrice des finances de Bâle-Ville: sur l'ensemble des recettes fiscales du canton, qui s'élèvent à 3 milliards de francs par an, la moitié proviendrait de Lonza, Novartis, Roche et Syngenta et de leurs cadres supérieurs.
Concrètement, le canton dépend financièrement des grandes entreprises pharmaceutiques. Cela ne convient pas à tout le monde. Les Verts réclament depuis longtemps «la nationalisation et le contrôle démocratique des grandes entreprises». Il est plutôt étrange de vouloir laisser la politique locale décider du pipeline de produits d'une entreprise mondiale.
Le CEO de Novartis verse 6 millions de francs à Bâle-Ville
Cela montre une approche assez naïve des avantages liés à la localisation, un point de vue encore largement relayé dans les médias. Le fait que Novartis crée chaque année des centaines d'emplois attractifs en Suisse, investisse 4 milliards de francs dans la recherche et verse près d'un milliard aux caisses de l'État ne mérite guère plus qu'une ligne dans la presse à scandale. En revanche, l'agitation autour de la rémunération des dirigeants fait partie du programme habituel. Il est vrai que le directeur général de Novartis, Vas Narasimhan, a reçu l'année dernière 19,2 millions de francs à titre de rémunération, dont 6 millions vont au fisc et 1 million à l'AVS/AI.
Ceux qui font leurs calculs de manière objective et ne veulent pas abolir l'économie de marché le savent bien: la longue liste des multinationales est une bénédiction pour la Suisse. Elle est d'ailleurs sous-estimée dans le classement de Handelszeitung, car toutes les entreprises ne dévoilent pas leur jeu. Parmi les plus discrètes, on trouve des entreprises privées telles que la compagnie maritime genevoise MSC, qui réalise un chiffre d'affaires de plus de 80 milliards de francs, les concessionnaires automobiles Emil Frey et Amag, le groupe d'emballage Tetra et la société commerciale Omya, propriété du clan Plüss-Stauffer depuis 141 ans. Toutes ces entreprises familiales traditionnelles devraient verser des centaines de millions de francs d'impôts à Genève, Zurich, Safenwil, Zoug, Pully et Oftringen. Leurs contributions sont d'autant plus importantes que plus de 50% des entreprises réalisent des bénéfices trop modestes et ne génèrent donc que très peu d'impôts.
Les groupes ne veulent pas partir, d'autant plus que la Suisse offre des taux d'imposition compétitifs. Ainsi, plus de deux cents entreprises internationales s'installent chaque année dans le pays, parmi lesquelles de grands noms tels que le groupe pharmaceutique DSM-Firmenich, qui a choisi Kaiseraugst (AG) comme nouveau siège social. C'est une aubaine, d'autant plus que l'entreprise a versé 136 millions de francs à l'administration fiscale l'année dernière. Ou encore le géant japonais de la technologie NEC, qui transfère son siège EMEA pour la finance numérique de Tokyo à Zurich.
Cela montre que la lutte pour la substance fiscale fait rage à l'échelle mondiale, les entreprises de matières premières étant particulièrement convoitées. Elles sont sensibles à la fiscalité et peuvent facilement transférer leur siège social ou certaines fonctions du groupe d'un pays à l'autre. Et elles n'hésitent pas à le faire: le groupe minier brésilien Vale a quitté Rio de Janeiro en 2006 pour s'installer à Saint-Prex, au bord du lac Léman, avant de revenir dans son pays d'origine. Le producteur de pétrole Transocean a quitté Houston (Texas, États-Unis) en 2010 pour s'installer à Steinhausen (ZG). Peu après son déménagement, sa plate-forme pétrolière Deepwater Horizon a explosé dans le golfe du Mexique, entraînant une chute des bénéfices et des impôts pendant plusieurs années.
Singapour, concurrent de la Suisse, sous pression
Singapour s'en prend également aux entreprises de matières premières et les attire avec des accords fiscaux scandaleux tels que le Global Trader Programme, qui offre des taux d'imposition très bas de 5%. Trafigura a succombé à l'attrait financier et a transféré ses activités commerciales dans la métropole asiatique, suivie par des centaines d'entreprises et avec elles des milliers de traders hautement rémunérés.
L'avenir nous dira si ce recrutement est durable: avec l'introduction de l'impôt minimum de 15% par l'OCDE, Singapour doit tripler sa charge fiscale. Le ministre des Finances singapourien, Lawrence Wong, craint que ce bond ne déclenche une vague d'expatriations et n'affaiblisse l'assiette fiscale. Les États du Golfe pourraient souffrir de la même manière: eux aussi ont attiré les entreprises du secteur des matières premières et de la finance avec des exonérations fiscales temporaires et des taux minimaux.
Pour éviter cette fuite, Singapour et Dubaï s'inspirent de la Suisse, qui a déjà introduit début 2024 un impôt complémentaire afin de se conformer au taux minimum de 15% tout en dissuadant les entreprises de fuir grâce à d'autres avantages. La Suisse, sous l'impulsion de son ministre des Finances Ueli Maurer, a réagi plus rapidement que tous les autres et a également introduit début 2025 la «règle d'inclusion des revenus», qui oblige les groupes suisses à appliquer l'impôt minimum à leurs filiales étrangères. Cette mesure vise à éviter que les filiales de Novartis ou Clariant ne doivent transférer le manque à gagner fiscal vers des pays tiers. Le canton de Zoug a sorti le grand jeu dans cet exercice de défense fiscale, car malgré la charge supplémentaire liée à l'objectif de 15%, le cluster des matières premières n'a pas diminué.
Jusqu'à présent, le calcul de la Suisse s'est avéré payant, car les conséquences financières de la nouvelle réglementation de l'OCDE sont modestes, comme le constatent UBS, Lindt & Sprüngli ou Novartis. «Aucun impact significatif», peut-on lire dans les rapports financiers. Seule Roche fait exception: l'entreprise doit s'acquitter en Suisse d'un impôt complémentaire de 189 millions de francs pour atteindre le minimum fiscal fixé par l'OCDE. Les Bâlois invoquent des dépréciations de goodwill qui n'ont pas été prises en compte fiscalement, ce qui pourrait indiquer un litige avec les autorités fiscales.
La Banque cantonale de Zurich (ZKB), qui est en principe exonérée d'impôts en tant que banque publique, est également concernée par la réglementation de l'OCDE et affiche désormais des impôts de 168 millions de francs. Toutefois, le paiement compensatoire n'est pas à la charge de la banque, mais pris en charge par le canton propriétaire et compensé par la distribution des bénéfices. La ZKB se conforme ainsi aux exigences de l'OCDE et peut en outre se dédommager. «La ZKB fait un pied de nez à l'OCDE», a écrit la NZZ.
Ems-Chemie: plus d'impôts pour la Suisse
L'attaque contre le bastion des entreprises qu'est la Suisse a échoué pour l'instant. En revanche, l'introduction de l'impôt minimum de l'OCDE impose aux entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 750 millions d'euros des frais de conseil considérables et une lourde bureaucratie. Personne ne s'en réjouit, mais seule Magdalena Martullo-Blocher, directrice générale d'EMS, se permet une petite note de protestation dans le rapport financier: «Le groupe Ems doit appliquer ces lois», y lit-on avec défi.
La modification législative impopulaire a toutefois pour conséquence que les entreprises ne publient pas leurs données fiscales et leurs taux de décompte par pays, car cela ne ferait qu'éveiller la méfiance des autorités étrangères. Seules quelques entreprises misent néanmoins sur la transparence, comme Novartis, UBS et Ems-Chemie. Il s'agit de firmes qui souhaitent sans doute afficher leur attachement à la Suisse, qui leur rapporte des millions, en divulguant ces informations.
Là encore, le groupe Ems se distingue: contrairement à toutes les autres multinationales, l'entreprise a payé beaucoup plus d'impôts en Suisse qu'à l'étranger.
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Cet article est une adaptation d'une publication parue dans Handelszeitung.