Etablie à Neuchâtel depuis septembre dernier, la fondation Shiku, à l’origine du premier métavers suisse, commercialisera ses premières planètes ou terrains (lands) à l’été 2023. Une dizaine de sociétés neuchâteloises sont déjà présentes dans l’univers de la version pilote. Entretien avec son fondateur, le Chinois Yulin Liu, docteur en économie de l’EPFZ et également économiste en chef chez Origyn, spécialisée dans la traçabilité blockchain pour l’industrie du luxe.

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Comment passe-t-on de la physique quantique à la création d’un métavers?

Yulin Liu: Je suis né en Chine, j’ai étudié à Lyon, puis à Zurich à l’ETH pour mon master et doctorat en économie, la question serait plutôt: quelle sera la prochaine étape? Mais je dirais que c’est l’envie de participer à la construction d’un système de régulation financière efficace, rapide et sûr qui m’a amené à la cryptoéconomie. Aujourd’hui, avec le web 3.0 et l’Internet Computer (ICP) créé par Dfinity en 2021 à Neuchâtel, on a une blockchain beaucoup plus rapide, moins coûteuse et qui permet de stocker plus de données.

Concrètement, en quoi cette blockchain Internet Computer est-elle mieux?

Le web 3.0, ou protocole d’échange décentralisé, a permis de sécuriser des contrats, des brevets et des ICO (Initial Coin Offering) ou émissions de jetons. Mais chaque transaction sur Ethereum coûtait entre 20 et 30 dollars, alors vous imaginez le prix d’un giga de données! L’arrivée de l’ICP permet d’offrir un accès gratuit à tous les utilisateurs. Il est rapide (60 minutes pour une transaction finale sur bitcoin et 1 seconde sur Dfinity, ndlr) et consomme aussi moins d’énergie. Selon le rapport «Footprint IC Sustainability 2022», cette nouvelle technologie est considérablement plus efficiente énergétiquement que les autres blockchains. Ses émissions en 2022 sont de l’ordre de la consommation d’une centaine de maisons aux Etats-Unis.

Shiku est donc construit sur la base de cette technologie. Pourquoi ce nom pour un métavers suisse?

C’est un caractère chinois, une sorte de porte entre le monde réel et un autre monde. Aujourd’hui, 50 personnes travaillent pour Shiku, une dizaine en Suisse, à Neuchâtel, Lausanne et Zurich. Une quarantaine de développeurs sont à l’étranger. Nous avons 100 terrains à vendre, dix ont déjà trouvé preneurs avant la commercialisation.

Comment Shiku va-t-il faire le poids face à d’autres métavers comme Sandbox ou Decentraland?

On ne veut pas que Facebook (Meta) soit le propriétaire de notre monde. C’est pareil pour nos clients. Shiku appartient à sa communauté. Par ailleurs, il est né en Suisse avec des standards de qualité recherchés par les grands noms de l’horlogerie et les marques. Le design et les services sont de très haute qualité. Nos bases sont suisses, mais nous sommes ouverts au monde.

Combien coûte un terrain chez Shiku?

On part de 200 000 dollars pour 10 000 m2 pour descendre à 40 000 dollars pour les planètes moins centrales. Il y a aussi le vaisseau spatial pour les utilisateurs. Celui-ci est gratuit. On peut venir y chercher des informations, de la connaissance, le décorer et même gagner de l’argent en participant à des sondages sur la «métaversité», un partenariat que nous avons mis en place avec des professeurs d’universités en Chine et aux Etats-Unis.

Comment fonctionne votre modèle de financement, notamment via DAO (organisation autonome décentralisée)?

C’est ce qu’on appelle la démocratie liquide. En achetant des jetons, on gagne un pouvoir de décision. Il n’y a pas de conseil d’administration figé. Ici, chacun vote en fonction de son nombre de jetons. On peut aussi déléguer son droit de vote. L’avantage par rapport à un modèle classique, c’est qu’on a une réelle possibilité de faire changer le système. Ce mécanisme permet aussi de réunir des fonds bien plus rapidement qu’une levée de fonds classique. Nous avons déjà levé 4 millions de francs. Une levée de fonds est ouverte auprès de family offices suisses. Près d’un tiers des tokens de Shiku seront distribués gratuitement à la communauté déjà active, tandis que 5% seront proposés prochainement au public.

De quelle manière la faillite de FTX et la chute des cryptos ont-elles affecté votre projet?

2017 était également une période cyclonique pour les cryptos. Les années qui ont suivi n’ont jamais été aussi bonnes pour le développement de la blockchain. Quand les cryptos vont mal, les développeurs travaillent davantage au lieu de passer leur temps à acheter et à spéculer. Certains projets vont mourir, mais, de notre côté, nous avons de la sécurité. Un musée de la crypto est d’ailleurs prévu dans Shiku.

Forbes a récemment critiqué le métavers comme un monde sans futur. Que répondez-vous à vos détracteurs?

C’est comme pour internet, personne ne croyait en cette technologie au début et elle est aujourd’hui indispensable.


Bienvenue dans le web décentralisé

Traçabilité Avec le web 1.0, on pouvait lire de l’information en ligne. Le web 2.0, ou web participatif, a permis de lire et d’écrire sur le web avec tous les réseaux sociaux qu’on connaît. Le web 3.0, ou web décentralisé, permet d’authentifier la propriété de la donnée (photo, texte, musique, cryptomonnaie) et offre une traçabilité. Comme on ne peut rien supprimer ni modifier dans la blockchain, cela confère de la transparence sur chaque étape ou transaction. Difficile dès lors de s’attribuer le travail, les propos ou même l’identité d’un autre puisque les comptes dans la blockchain sont authentifiés par votre carte de crédit. Le web 3.0 a pris son essor avec le protocole Ethereum (2014) permettant notamment la création de contrats «smart» scellés et consultables dans la blockchain.