Il est l’un des pionniers du vélo électrique rapide, ou «speed pedelec». Le constructeur bernois Stromer est né en 2009, à l’initiative de Thomas Binggeli et de Carsten Schloter, ancien CEO de Swisscom, aujourd’hui disparu. Leur pari: les vélos à propulsion électrique, plus rapides et endurants que les traditionnels e-bikes, pourraient remplacer la voiture ou les transports publics dans la mobilité des pendulaires. Seize ans plus tard, plus de 145 000 vélos Stromer assemblés à Oberwangen (BE) sont en circulation dans 25 pays. Sur les 145 salariés, près de 100 travaillent sur le site bernois. Le reste se répartit entre la Roumanie et le Benelux.

Un marché très concentré

Prix élevé, assurance, immatriculation et permis de conduire obligatoires, le speed pedelec est considéré comme un produit hybride, à mi-chemin entre un vélo à assistance électrique (VAE) et un véhicule motorisé classique. Son moteur, capable de propulser l’engin à 45 km/h en quelques secondes, est nettement plus puissant que ceux des VAE classiques. Dans de nombreux pays, comme la France et l’Allemagne, ils ne sont pas autorisés à emprunter les pistes cyclables. «Le speed pedelec représente un marché de niche», résume Christoph Lindlein, directeur marketing de Stromer.

Mais cette singularité peut aussi être un atout, et le constructeur bernois ne s’y est pas trompé. «La marque a fait un choix ambitieux en se spécialisant dans les pedelecs longue distance, plus lourds et volumineux, à l’heure où la majorité des acteurs du marché s’employaient à concevoir des vélos plus légers et plus compacts, mais souvent moins performants en termes d’autonomie et de vitesse, observe Frank Aeschbacher, directeur commercial du groupe m-way, spécialisé dans la mobilité électrique. Cette stratégie s’est révélée payante. Sur le segment des vélos à 45 km/h, les procédures d’homologation sont plus longues et coûteuses. La concurrence est donc moins forte que sur les vélos à assistance électrique classiques.»

En se retirant des Etats-Unis fin 2024, notamment pour des raisons de coûts d’acheminement, l’entreprise a achevé de recentrer sa stratégie sur l’Europe centrale et du Nord. La marque helvète a notamment ciblé la Belgique, devenue son premier marché. «L’infrastructure cyclable belge est particulièrement bien développée et admet les speed pedelecs, c’est un net avantage vis-à-vis de marchés comme l’Allemagne ou la France», poursuit Christoph Lindlein.

Il existe aussi des programmes de leasing pour particuliers ou pour entreprises qui permettent aux clients d’accéder au Stromer sans avoir à s’acquitter en une seule fois du montant d’achat, qui oscille entre 4500 et 13 500 francs pour un modèle neuf. «Ces mesures d’incitation et de financement ont grandement contribué à notre succès en Belgique, où plus de 50% des propriétaires de vélos Stromer ont bénéficié d’un programme de leasing.» En Suisse, le fabricant a également tenté de reproduire l’expérience du leasing dans le cadre d’un partenariat avec le concessionnaire AMAG.

Une clientèle de pendulaires

Et beaucoup sont prêts à dépenser de tels montants, même sans leasing. «Pour de nombreux acheteurs, le speed pedelec se substitue à la voiture ou au deux-roues à moteur thermique. Ces consommateurs ne perçoivent donc pas les gammes de prix proposées par Stromer comme particulièrement élevées», commente Frank Aeschbacher de m-way.

Le speed pedelec est surtout un véhicule adapté aux pendulaires périurbains. «Près de 50% de notre clientèle a opté pour le speed pedelec au lieu d’une deuxième voiture ou pour prendre le vélo plutôt que les transports publics», confirme Christoph Lindlein. Et pour un compagnon du quotidien, beaucoup sont prêts à mettre un prix qui leur assure un équipement confortable et solide.

Selon le spécialiste Frank Aeschbacher, «le fait que Stromer concentre ses équipes de production en Suisse lui donne un avantage indéniable. Pour les clients suisses notamment, le «Swiss finish» est synonyme de précision et de savoir-faire. Cet ancrage local facilite également le service après-vente. Les speed pedelecs étant utilisés avant tout comme moyens de transport quotidien plutôt que comme produits de loisir, les pièces de rechange doivent être rapidement disponibles.»

Les Stromer ne sont pas officiellement «Swiss made». Certains composants clés, le cadre et la batterie notamment, viennent de Taïwan. Le site d’Oberwangen réunit notamment la conception et l’assemblage final. Et pour se montrer à la hauteur de la réputation de l’industrie helvétique, le constructeur bernois a su se montrer inventif.

«Sur le plan technique, le placement du moteur dans la roue arrière est un paramètre clé, qui fournit une meilleure accélération et une conduite plus fluide que les moteurs situés dans la partie centrale», observe Frank Aeschbacher.

En 2020, le modèle ST5 est équipé d’un système d’ABS, une technologie d’optimisation du freinage, grâce à une collaboration avec le spécialiste italien du frein Blubrake. Deux ans plus tard, Stromer dote également son nouveau modèle ST7 d’une boîte de vitesses Pinion, une pièce haut de gamme conçue par d’anciens ingénieurs de chez Porsche. Le fabricant de speed pedelecs a également conclu un partenariat avec le géant italien Pirelli. Cette proximité avec des marques liées à l’automobile s’explique aisément. L’ancien directeur général de Stromer, Jakob Luksch (2018-2022), venait de chez BMW. Le CTO actuel, Franz Reindl, a travaillé pour KTM, un fabricant de motos et de voitures de sport. Une partie importante des ingénieurs de recherche et développement viennent eux aussi de ce milieu, ce qui explique sans doute que les distributeurs de la marque la surnomment la «Ferrari des e-bikes».

Pour Christoph Lindlein, ces liens avec le monde de l’automobile ont été décisifs pour accomplir les avancées techniques qui ont présidé au succès de Stromer. «La conception et la fabrication de speed pedelecs font appel à des procédés plus sophistiqués que les vélos classiques. Il est donc important de pouvoir compter sur des profils habitués à cette complexité.»

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 
Trop vite, trop fort, l’industrie européenne du vélo a fini par dérailler

Depuis 2023, le secteur de l’e-bike tourne au ralenti. De nombreux acteurs européens, pourtant réputés solides, ont fini par déposer le bilan ou délocaliser. Les cas du bernois Flyer, de l’autrichien Simplon ou du néerlandais Stella fin 2024 ont notamment marqué les esprits. «Le consommateur n’a pas disparu. Les chiffres de vente en 2024 restent supérieurs à ceux de 2019. Mais les stocks accumulés après la période covid sont difficiles à écouler. Les restrictions liées à la pandémie ont créé une véritable bulle. Pendant cette période, les ventes sont passées de 130 000 à 220 000 unités par an en Suisse», explique Frank Aeschbacher, directeur commercial de m-way, qui ne doute pas que la branche redécollera sous peu. Simplon et Stella ont par ailleurs trouvé de nouveaux financements début 2025, signe que la confiance des investisseurs perdure.

Délocaliser la production de la Pologne vers la Suisse

En 2022, le fonds d’investissement français Naxicap entre au capital de Stromer. Les nouveaux propriétaires organisent le rachat du fabricant d’e-bikes Desiknio. Cette marque espagnole s’est révélée sur le segment des pedelecs limités à 25 km/h. En 2025, la direction du groupe a décidé de centraliser toute la production sur le site d’Oberwangen, alors que les deux-roues de Desiknio étaient jusqu’ici fabriqués en Pologne. «Comme pour Stromer, nous sommes convaincus que la convergence de la conception et de la fabrication sur un même site est la bonne recette.» Les nouveaux Desiknio sortiront de l’usine bernoise dès septembre 2025.