On parle volontiers de la Chine comme de «l’atelier du monde». Et l’on visualise dès lors des bataillons de petites mains trimant pour des salaires de misère. S’il est un lieu qui fait mentir ce cliché, c’est bien la production de smartphones de Huawei Technologies à Dongguan, près de Shenzhen. Nous voilà derrière une vitre (et interdits d’appareil photo), pour une visite exceptionnelle, invités à découvrir l’une des usines presque intégralement automatisées du groupe. Suivez le guide.

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Sur chacune des 12 lignes de production de 150 mètres de long, des robots, la plupart de marque ABB, et quelques rares humains achèvent l’assemblage d’un smartphone toutes les 26 secondes. Et ce n’est qu’une halle de production parmi des dizaines d’autres. On apprend dans la foulée que, selon l’International Federation of Robotics, la Chine a installé près de 300 000 robots en 2023, plus qu’aucune autre nation industrielle.

Mis sur une liste noire

Cette visite permet aussi de mieux comprendre comment Huawei a rebondi après avoir été mis en 2019 sur une liste noire du gouvernement américain et interdit d’utilisation des services mobiles de Google tournant sur Android. Un coup dur provoquant une brutale chute des ventes de smartphones. En lançant HarmonyOS, son propre système d’exploitation, le fabricant chinois a regagné le terrain perdu. Quelque 46 millions de smartphones sont sortis de ses usines en 2024, selon les estimations de la société Canalys. Et son chiffre d’affaires total est passé à 118 milliards de dollars. Une augmentation de 22,4% après la baisse record de 30% en 2021. Ce qui ne tue pas rend plus fort, dit l’adage.

Autre accomplissement, à fort contenu symbolique, le lancement fin 2024 du Huawei Mate XT, un smartphone triple écran pliable offrant donc un confort de lecture unique. Un bijou à la finition soignée vendu... 2800 dollars. Le premier au monde et la preuve que Huawei se profile dans le haut de gamme et bataille ferme pour son autonomie technologique.

Les politiques restrictives des Etats-Unis envers la Chine ont donc paradoxalement incité les entreprises à accélérer encore leurs efforts d’innovation. Les oukases de Trump, et les incertitudes qui en découlent, pavent le chemin des fabricants chinois. Ils retrouvent ainsi grâce aux yeux d’acheteurs étrangers réticents à se fournir auprès d’entreprises soupçonnées d’espionnage au profit de Pékin.

Il faut dire que le groupe Huawei et son patron fondateur, Ren Zhengfei, ne lésinent pas sur les efforts de recherche et développement. Plus de la moitié des  208 000 collaborateurs du groupe travaillent dans ce secteur. La visite se poursuit d’ailleurs non loin de là, au campus Huawei Ox Horn, qui rassemble plus de 25 000 d’entre eux dans un environnement qui laisse pantois.

Campus Huawei R&D de Dongguan

Pour son campus R&D de Dongguan, le géant Huawei s’est inspiré de l’architecture de 12 villes européennes. Ici, le pont Charles de Prague.

© Tolga Yanik/Anadolu/Getty Images

Non, ce n’est pas un parc d’attractions à la Disney, même si ce décor surréaliste peut en donner l’impression. Les bâtiments, qui abritent laboratoires et bureaux, reproduisent en effet des quartiers ou des bâtiments de plusieurs villes européennes: Heidelberg, Vérone, Bruges, Prague, Paris, Grenade... et Fribourg. Un petit train électrique inspiré de celui de la Jungfrau relie sur 7,2 km les 12 zones du campus. L’intention de Ren Zhengfei: offrir à ses collaborateurs un environnement stimulant la créativité. Manifester son admiration pour l’Europe des grandes découvertes scientifiques du XIXe siècle. Et faire passer le message que Huawei se positionne comme un acteur mondial de l’hyperpuissance numérique de la Chine au XXIe siècle. 

Retard dans les chips pour l’IA

Le même Ren Zhengfei donnait récemment une interview publiée en une du Quotidien du Peuple. Un fait assez rare pour être souligné. Son message est simple: dans la technologie des chips pour l’IA, la Chine et Huawei Technologies, en tête, ont certes une génération de retard sur les Nvidia ou AMD. Mais pas pour longtemps. D’ailleurs, l’intelligence artificielle est aussi fondée sur les mathématiques et les algorithmes les plus sophistiqués. «Le vrai enjeu, concluait-il, c’est notre système d’éducation et le développement des talents.» Et de souligner l’importance de la recherche fondamentale pour soutenir le progrès dans l’industrie, l’agriculture, la santé... Sur les 25 milliards de dollars investis chaque année par Huawei en R&D, un tiers y est consacré. En Chine et à l’étranger.

Le vrai enjeu, c’est notre système d’éducation et le développement des talents.

Ren Zhengfei, fondateur et CEO de Huawei

Ce message est rendu plus concret dans un showroom spectaculaire où notre guide nous explique la stratégie de Huawei Technologies, graphiques et illustrations projetées sur des écrans géants à l’appui. Le groupe conçoit et installe les infrastructures des villes intelligentes, elle rend opérationnel ce qu’on appelle «l’hôpital intelligent»… Le géant est aussi un acteur majeur du développement des véhicules autonomes, non pas en tant que constructeur, mais comme fournisseur de capteurs, de caméras, de puces et de logiciels d’aide à la conduite.

Le groupe fournit des onduleurs pour panneaux solaires, dont il est le premier producteur mondial, des systèmes de stockage d’électricité et des logiciels de gestion énergétique. Devenir un acteur incontournable de la transition en pilotant les flux d’énergie comme des données numériques, voilà l’idée. Emerge alors la vision d’un monde intégralement connecté dans lequel la sécurité et la protection des données s’imposent comme un enjeu crucial. Aux prétendues back doors installées dans les équipements Huawei, ses dirigeants opposent un langage clair: «Si nous avions triché, résume Chengdong Wang, le président responsable de la communication, nous serions morts depuis longtemps.»

Le groupe est régi, en matière de sécurité informatique, par une gouvernance très structurée, avec 170 avocats actifs dans 150 pays pour un respect intégral des différentes lois nationales. A Bruxelles, le groupe a créé son European Cyber Security Transparency Center. Et dit investir 5% de son budget R&D dans la sécurité informatique. Des explications qui trouvent un écho chez le groupe d’entrepreneurs de la mission économique vaudoise. «Les fabricants américains ne peuvent plus prétendre à une fiabilité et à une sécurité supérieures à celles de leurs concurrents, notamment chinois, souligne l’un d’eux. Dans ces conditions, pourquoi se priver de matériel et de services au moins aussi performants, mais accessibles à des prix inférieurs de 30 à 50%?»  C’est le choix effectué par plus d’un opérateur télécoms en Suisse. Plusieurs énergéticiens ont aussi recours aux équipements Huawei dans le domaine des renouvelables. Et l’une des régies fédérales fait confiance au groupe chinois pour ses services de cloud computing. Présent à Berne depuis 2008, Huawei Technologies emploie 400 collaborateurs dans le pays. Deux de ses 29 centres de recherche européens se trouvent à l’EPFL et à l’EPFZ. Un ancrage solide mais peu connu en sol helvétique.