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Pour se positionner efficacement sur un marché mondial dominé par les géants américains et chinois, les entreprises de la deep tech helvétique se distinguent en développant des produits spécialement conçus pour les industries de pointe.


Carole Berset,
Julien Crevoisier,
Erik Freudenreich,
Gabriel Sigrist
Les fondateurs de Reshape Systems, Thomas Cartier-Michaud (à gauche) et Andrea Apollonio, ont développé un logiciel permettant aux constructeurs des industries de pointe de modéliser des analyses de risques.
Reshape SystemsPublicité
Derrière le terme énigmatique de deep tech se cachent les PME qui assureront l’avenir de la prospérité suisse à l’ère de l’IA. Les entreprises actives sur ce segment en Suisse ont désormais créé collectivement plus de 100 milliards de dollars de valeur d’entreprise, selon le «Swiss Deep Tech Report 2025». Plus de 60% du capital-risque investi en Suisse est capté par la deep tech, soit le taux le plus élevé du monde. Aujourd’hui, le paysage économique suisse compte plusieurs centaines de start-up dans ce domaine. «Pour attirer des fonds de capital-risque, les entreprises doivent désormais intégrer l’IA dans leurs processus, explique Lennig Pedron, directrice de la Trust Valley romande. Mais, trois ans après le lancement de ChatGPT, les investisseurs veulent voir des résultats économiques. Il faut que la solution développée puisse être déployée dans l’économie et qu’elle devienne rentable à moyen terme.»
Reshape Systems, un spin-off du CERN, a élaboré un logiciel permettant aux constructeurs des industries de pointe de conduire des analyses de risques. A partir de la documentation et des caractéristiques du produit industriel et des normes en vigueur, le logiciel modélise une analyse de risques. Chaque pièce est restituée en modèle numérique, avec ses points critiques et les normes en vigueur pour chacun d’entre eux. «L’opération génère un tableau récapitulatif de tous les risques ou défauts potentiels, la norme correspondante et leur degré de gravité. Pour les ingénieurs, c’est un gain de temps considérable, de l’ordre de 80%», explique le cofondateur Andrea Apollonio. Les analyses de risques sont en effet un passage obligé pour obtenir la certification de conformité nécessaire au lancement de nouveaux produits industriels. Reshape Systems, qui compte cinq employés, a décroché en 2025 une enveloppe de 850 000 francs auprès d’investisseurs privés et de Venturekick et a remporté le Grand Prix Tech4Trust d’une valeur de 70 000 francs. L’algorithme a été conçu pour de nombreuses applications industrielles. «Nous avons adopté une approche «agnostique»: la solution doit fonctionner aussi bien sur l’aéronautique que sur l’énergie nucléaire ou l’automobile. Elle se décline efficacement sur toutes les industries de pointe.» L’IA reste toutefois utilisée en tant que copilote. L’ingénieur reste le maître à bord et il reste le seul à pouvoir valider les résultats produits par la machine.
Dans les PME établies de longue date, l’adoption de nouveaux outils liés à l’intelligence artificielle progresse mais reste encore timide. Selon une étude de l’assureur Axa parue en octobre 2025, elles sont 37% en Suisse à recourir à l’IA. «Pour la plupart des entreprises industrielles, les cas concrets d’utilisation de l’IA les plus fréquents sont l’optimisation des flux ou la facilitation des contrôles de qualité, indique Frédéric Dubois, responsable du programme INNdustry au sein d’Innovaud. Pour l’instant, l’adoption de l’IA se concentre sur les tâches administratives. Le déploiement dans les procédés industriels est plus lent, car il est plus complexe. Mais il s’agit bien d’un avantage stratégique majeur.» Pour aider les PME à sauter le pas, Innovaud lance cette année La Cohorte, un programme de formation continue de trois mois visant à aider à déterminer les cas d’usage concret de l’IA dans les processus de l’entreprise, puis d’approfondir certains domaines, comme la cybersécurité ou la gestion des données, en fonction de leurs besoins.
Reshape Systems figure parmi les nouvelles entreprises de l’écosystème suisse de la deep tech. Ces technologies de pointe ne sont pas axées sur la consommation de masse, comme ChatGPT ou DeepSeek, mais sur des applications très spécifiques, notamment dans l’industrie manufacturière. A Prilly (VD), la start-up TofuPilot, créée en 2024 sur le campus de l’EPFL, s’est distinguée en développant un logiciel qui permet aux ingénieurs industriels de gagner un temps précieux lors des phases de validation et de test en fabrication. «Le développement de ces systèmes et l’analyse des masses de données qu’ils produisent prennent énormément de temps, explique la cofondatrice Charlotte Evéquoz. Notre équipe développe des applications d’IA très efficaces non seulement pour élaborer des bancs de tests plus rapidement, mais aussi pour analyser ces données. Nous avons choisi d’émerger de la base plutôt que d’imposer une transformation par le haut, les solutions d’automatisation les plus efficaces viennent directement des besoins du terrain.»
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Dix-huit mois après sa création, TofuPilot est déployé sur une trentaine de lignes de fabrication, réparties entre les Etats-Unis, l’Inde, l’Europe et la Suisse. La solution s’applique à des domaines variés: robotique humanoïde, agricole, véhicules autonomes, systèmes de défense et sécurité fiduciaire. La start-up, qui emploie cinq personnes, est déjà rentable. «Notre croissance rapide et nos revenus nous ont permis de rester indépendants pour cette première phase, précise Charlotte Evéquoz. En travaillant étroitement avec l’industrie manufacturière, nous construisons l’infrastructure d’IA dont elle aura besoin pour rester compétitive dans la prochaine décennie.» Une approche réfléchie et calibrée bien accueillie par les industriels, pour qui l’adoption de l’IA est souvent plus lente.

Talent Fit: cet outil évalue l’adéquation entre une personne et un poste, en produisant des affinités, des complémentarités et des points de vigilance.
Noura Gauper
Talent Fit: cet outil évalue l’adéquation entre une personne et un poste, en produisant des affinités, des complémentarités et des points de vigilance.
Noura GauperEt si l’intelligence artificielle servait à mieux comprendre les relations humaines au travail? L’entreprise lausannoise Leonardo 3.4.5, spécialisée dans l’analyse des comportements professionnels, lance Talent Fit, une plateforme d’analyse et de conseil en matière de relations interpersonnelles sur le lieu de travail. «Dans les grandes structures, on manque souvent de temps pour traiter les questions relationnelles. Notre outil offre justement un cadre pour favoriser le dialogue», explique Yann Vaucher, directeur de Leonardo 3.4.5.
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Les profils comportementaux de chacun sont créés sur la base d’un questionnaire comptant 80 points. «Talent Fit permet de faire du matching entre un profil et une offre d’emploi, d’analyser la relation entre deux personnes ou de simuler différentes configurations hiérarchiques pour comprendre la dynamique entre un manager et son équipe. En quelques secondes, le logiciel produit un rapport qui met en évidence les affinités, les complémentarités et les points de vigilance. Puis il propose des pistes de formation ou d’adaptation.»
Contrairement à d’autres approches basées sur le scoring, Talent Fit insiste sur sa dimension humaine. «Nous ne voulons pas d’un système de notes ou de classement. Le rôle de l’IA n’est pas de décider à la place de l’humain, mais de nourrir la réflexion. C’est toujours au recruteur, au manager ou au collaborateur d’interpréter les résultats et d’en tirer ses propres conclusions.» L’outil repose sur un grand modèle de langage fourni par la firme genevoise Infomaniak. «Les données ne quittent pas le territoire suisse et elles sont effacées après utilisation.»
Présenté officiellement début octobre lors du Salon RH 2025, Talent Fit a déjà séduit une quinzaine de clients, issus de secteurs comme l’horlogerie ou l’administration publique. «Les retours sont très positifs», note Yann Vaucher.
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Algorized: basée sur l’analyse des signes vitaux, cette solution d’IA redéfinit la manière dont les machines ressentent et interagissent avec les humains.
Algorized
Algorized: basée sur l’analyse des signes vitaux, cette solution d’IA redéfinit la manière dont les machines ressentent et interagissent avec les humains.
Algorized«A la différence de caméras et de capteurs radars standard, qui détectent la présence humaine au travers d’une image ou d’un mouvement, notre technologie permet de localiser des personnes grâce à leur rythme cardiaque, à leur respiration ou à leur niveau de stress», résume Natalya Lopareva, cofondatrice et CEO d’Algorized.
Fondée en 2022 à Etoy (VD), cette start-up a pour but d’optimiser la sécurité des travailleurs des sites industriels, robotiques et automobiles. L’IA fondamentale qu’elle a développée améliore la manière dont les machines perçoivent la présence humaine et y réagissent. «Se baser sur les signes vitaux permet aux robots de disposer d’une compréhension extrêmement fine de ce qu’est une personne. Cela permet par exemple de détecter sa présence également en l’absence de mouvements. Le tout en préservant les données privées, comme nous n’utilisons pas de caméras.»
Par ailleurs, la solution ne nécessite pas de mise à niveau matérielle coûteuse. «Nos algorithmes d’apprentissage automatique utilisent la multitude de données fournie par des capteurs sans fil tels que le wi-fi sensing et des radars (utilisant des technologies existantes comme le mmWave ou l’UWB), sur les différents sites afin d’optimiser le suivi en temps réel des personnes et la détection des signes vitaux dans n’importe quel environnement.»
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Algorized a bouclé un tour de table à 4,3 millions de dollars en 2024. «En à peine douze mois, nous sommes passés d’une équipe de quatre basée exclusivement en Suisse à 14 personnes, dont la moitié se trouve dans la Silicon Valley. Nous avons aussi signé des contrats à long terme pour un montant d’environ 2 millions de francs avec des industriels et des acteurs de l’automobile.» La start-up se prépare à sa prochaine levée de fonds en série A de 15 millions de dollars.

Caffeine: cette nouvelle plateforme d’intelligence artificielle permet aux utilisateurs de créer facilement des sites web, des apps et des services numériques.
Dfinity
Caffeine: cette nouvelle plateforme d’intelligence artificielle permet aux utilisateurs de créer facilement des sites web, des apps et des services numériques.
DfinityLancée à la mi-octobre, Caffeine permet à chacun, qu’il s’agisse d’individus, de PME ou d’organisations diverses, de créer des sites web, des apps et des services numériques en quelques minutes, simplement en les décrivant avec des mots du quotidien. Pour ce faire, il suffit de «chatter» avec la plateforme en lui donnant, au fur et à mesure, les indications souhaitées. Les données ne sont pas stockées dans un cloud centralisé, mais sur l’Internet Computer, un réseau décentralisé et hautement résilient réparti sur de nombreux ordinateurs indépendants à travers le monde.
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«Les applications possibles sont multiples: du réseau social hyper-local à la création de sites d’e-commerce, en passant par des portails intranet ou des services de gestion des flux de travail», énumère Dominic Williams, CEO de la Fondation Dfinity, qui se trouve derrière le projet. Basée à Zurich et en Californie, cette dernière a investi, depuis sa création en 2016, plus de 500 millions de dollars en R&D, principalement dans les travaux complexes d’informatique et d’ingénierie liés à son réseau public, l’Internet Computer.
A la base de cette nouvelle technologie se trouve Motoko, le premier langage de programmation conçu pour l’intelligence artificielle. Son objectif: démocratiser la création de logiciels. A ce jour, 15 000 premiers utilisateurs ont testé le produit et fourni leur feed-back.
La plateforme est multilingue et accessible en freemium. En d’autres termes, elle est gratuite pour les fonctions de base et payante pour certaines options avancées. Comme avec ChatGPT, il est recommandé d’être clair et précis pour exploiter pleinement cet outil: commencer simplement, en indiquant l’objectif et le public cible, puis enrichir progressivement la requête avec des éléments de contexte.
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