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Le dossier du mois

Un tsunami organisationnel

En automatisant des tâches complexes, l’intelligence menace de bouleverser le marché de l’emploi et la nature même des métiers. Dans les PME comme dans les grands groupes, le doute s’installe sur l’employabilité des jeunes diplômés.

Carré blancCarré blanc

Carole Berset,

Julien Crevoisier,

Erik Freudenreich,

Gabriel Sigrist

Thomas Boyer

Thomas Boyer, directeur du Groupe Mutuel, le reconnaît: à terme, l’automatisation entraînera la disparition de certaines tâches et donc de certains postes.

Louis Dasselborne pour Le Temps

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Les outils d’IA impressionnent, fascinent, et commencent surtout à inquiéter. La numérisation et la course à l’IA générative mettent le secteur tertiaire dans la tourmente. Pour Christophe Barman, directeur de Loyco, une PME de 150 collaborateurs active dans les services aux entreprises, il ne fait aucun doute que ses parts de marché et la valeur de ses prestations seront mises sous pression par les nouveaux outils. Analyse financière, gestion des ressources humaines et des salaires, les prestations offertes par la société genevoise présentent un fort potentiel d’automatisation. A tel point que certaines tâches effectuées par Loyco pourront bientôt être prises en charge directement par ses clients à moindres frais. Face à ce constat, l’entrepreneur ne s’en cache pas, il s’attend à une forte pression sur les effectifs à moyen terme. «L’IA exigera de beaucoup d’entreprises qu’elles revoient leur activité en profondeur. Il est probable qu’une partie importante du temps de travail dans notre domaine devra se concentrer sur les relations humaines que la machine ne peut pas remplacer.»

A l’échelle suisse, les grands acteurs de la gestion administrative s’empressent d’effectuer leur transition vers des modèles à fort degré d’automatisation. Parmi eux, le Groupe Mutuel, basé à Martigny (VS), est réputé pour son rôle de pionnier en matière d’intégration des nouvelles technologies dans le domaine de l’assurance en Suisse. Pour cette entreprise qui expédie près de 18 millions de courriers chaque année, le scannage et le traitement du volume d’informations étaient déjà automatisés à plus de 80%. Mais l’IA a fait entrer l’entreprise dans une autre dimension. «La première phase a démarré début 2024 avec des projets pilotes dans nos centres d’appels où les conversations sont désormais reconnues et résumées automatiquement, quelle que soit la langue ou le dialecte suisse-allemand utilisé. Auparavant, ces synthèses devaient être rédigées manuellement à l’issue de chaque appel par nos collaborateurs. Une tâche répétitive.» En parallèle, un robot conversationnel fournit désormais des réponses sur la couverture d’assurance via l’application, et Copilot, l’IA de Microsoft, a été déployé à l’interne pour servir d’assistant virtuel multitâche aux employés. «Les IA apportent des solutions rapides et efficaces», résume Thomas Boyer. Le directeur reconnaît que la probabilité d’une réduction d’effectifs est importante. «A terme, l’automatisation entraînera la disparition de certaines tâches et donc de certains postes. Mais elle permettra aussi de libérer du temps pour des missions à plus forte valeur ajoutée. Nous comptons notamment sur cet outil pour diversifier nos prestations et élargir notre marché», indique Thomas Boyer. L’entreprise mise sur la formation continue. «Les responsables doivent dégager du temps pour entraîner les salariés à l’IA.»

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Jusqu’au plus haut niveau

Même les processus de direction sont concernés. «Nous utilisons notre IA jusqu’au plus haut niveau», dit Thomas Boyer. Ce qui interroge sur l’avenir du consulting. Nina Probst, responsable du bureau de McKinsey à Genève, accueille pourtant avec optimisme les avancées récentes en matière d’IA. «Les entreprises doivent se réinventer avec une approche globale, qui revisite non seulement les processus et les données, mais aussi le développement des compétences du personnel.» La firme américaine a lancé sa ligne de service de conseil dédié, QuantumBlack, il y a dix ans. Pour son responsable en Suisse, Andreas Ess, «le conseil à l’ère de l’IA consiste à donner l’avantage au client dans son secteur et à optimiser les processus internes. Dans cette même optique, McKinsey s’est elle aussi dotée de sa propre solution d’IA générative interne, Lilli, en 2023.» L’outil permet un gain d’efficacité dans des tâches telles que la recherche, la synthèse de grands ensembles de données ou la création de premiers jets de présentations – des activités souvent confiées à des consultants juniors.

Cette nouvelle donne suscite des interrogations sur l’impact potentiel pour les jeunes diplômés. McKinsey assure continuer à recruter activement afin de former la prochaine génération de consultants, capables d’allier maîtrise de l’IA et discernement humain. «C’est une aide précieuse, notamment pendant la formation des jeunes recrues. Elle libère du temps pour l’interaction humaine et favorise ainsi l’apprentissage, notamment chez les employés junior», explique Andreas Ess. Pour le personnel, le véritable enjeu est de développer rapidement un sens critique face aux résultats produits par la machine. «Les compétences interpersonnelles et cognitives que nous recherchons évolueront. Nous mettrons désormais l’accent sur la capacité à faire preuve de recul face aux résultats d’analyses automatisées. La création de valeur adviendra désormais à la croisée des intelligences artificielle et humaines. L’expérience humaine reste essentielle pour fournir les conseils distinctifs que nos clients recherchent», conclut Nina Probst.

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