Contrairement à une maladie, les critères justifiant l’arrêt de travail à la suite d’un burn-out sont beaucoup plus subjectifs. Votre intervention sert-elle donc aussi à dépister les fraudes et à favoriser une reprise professionnelle plus rapidement?
Cela fait vingt ans que je suis actif dans ce domaine. Je n’ai jamais rencontré une personne qui était en arrêt maladie par plaisir. C’est pour cela que dans les cas d’épuisement professionnel – comme dans les autres d’ailleurs –, il me tient à cœur de rencontrer la personne assurée à domicile pour lui expliquer ce que je fais et comment je pourrais lui être utile si elle devait en avoir besoin. Mon aide est facultative, j’insiste sur cette notion. Mon objectif n’est pas tant de dépister une potentielle fraude mais de favoriser un retour durable au travail et pas forcément rapide, cette nuance est importante. En effet, un retour trop précoce au travail peut engendrer le risque de recrudescence de la symptomatologie.
Qui vous mandate?
Cela peut se faire par le biais du gestionnaire de l’assurance perte de gain dès le signalement d’un arrêt maladie, voire de l’employeur via les ressources humaines ou parfois par la personne concernée elle-même. C’est varié. Les discussions sont souvent très riches avec les personnes en arrêt de travail. Elles me permettent de mieux saisir leur réalité. Souvent, on se rend compte que la charge de travail est la conséquence sous-jacente d’autres éléments non identifiables préalablement. Un arrêt de travail pour épuisement est rarement en lien avec une seule cause bien précise.
Dans quelle mesure vous substituez-vous au rôle du médecin?
J’accompagne la personne, je ne la soigne pas. Mon rôle est de comprendre ses besoins pour entreprendre, si elle le souhaite, un processus de réinsertion. Je travaille d’ailleurs en étroite collaboration avec le médecin. Ce dernier peut prescrire les meilleurs traitements, être doté de compétences diverses et variées, mais lorsque l’arrêt de travail est lié à une situation conflictuelle sur la place de travail, ce ne sont pas les anxiolytiques ni la temporalité qui permettront de résoudre le problème. Il faut collaborer, discuter et proposer des solutions d’accompagnement ainsi que des perspectives de réinsertion professionnelle par le biais d’un bilan d’orientation, du coaching, de la conciliation sur la place de travail, par exemple.
Comment se déroule votre accompagnement?
Le premier rendez-vous est vraiment important. La personne m’explique la chronologie des événements qui l’ont amené à l’arrêt maladie. A moi ensuite d’identifier les besoins de la personne. L’objectif, c’est de se mettre d’accord sur une stratégie, un objectif, une direction. Bien sûr, il faut que la personne puisse être capable, au niveau de sa santé, de s’investir dans une mesure de réinsertion. Une fois l’accompagnement mis en place, je suis l’évolution et l’adapte si besoin.
Ce n’est pas commun de se livrer à son assureur. Comment votre intervention est-elle perçue?
C’est clair que les gens se méfient parfois de l’assurance. Il faut le reconnaître et l’assurance doit aussi se remettre en question au niveau de la communication. Avec une personne qui ne verrait aucun sens à collaborer avec moi, je ne vais en aucun cas insister. En revanche, elle peut se montrer méfiante en début d’entretien et comprendre au fil de la discussion que ma démarche n’est pas pourvue de mauvaises intentions en lien avec le seul argument économique et que l’accompagnement peut clairement apporter une plus-value à sa situation.
On pourrait craindre que votre appréciation ait des répercussions sur le versement des indemnités.
Evidemment, à l’issue de la rencontre, je rédige un rapport destiné au gestionnaire du dossier au sein de l’assurance perte de gain. Je lui explique ce que je fais et où l’on va. Le gestionnaire du dossier a besoin de connaître la direction. Je lui dis que nous partons sur un accompagnement (par exemple bilan de compétences ou conciliation avec l’employeur). Ces éléments seront communiqués au médecin consultant lors de l’appréciation médicale de la situation. Effectivement, il peut arriver qu’une personne refuse mon intervention et ne souhaite pas me rencontrer. Je transmets cette information au gestionnaire. Cela ne signifie aucunement qu’il y aura une sanction.
Mais l’objectif d’un assureur est d’abord de limiter la période d’indemnités.
Le Case Manager intervient pour favoriser une réinsertion durable, parfois en collaboration avec l’assurance invalidité. Le problème dans les situations de burn-out, c’est la durée de l’arrêt maladie. Nous avons toujours en ligne de mire cette barre fatidique des six mois. S’il n’y a pas une solution de réinsertion après 180 jours, les chances d’un retour au travail s’amenuisent et le risque de perte d’emploi augmente considérablement. Un retour en emploi dans de bonnes conditions permet de surcroît à l’assurance de réduire la durée des indemnités. Par ailleurs, il faut savoir qu’Helsana propose des accompagnements en case management préventif, pour éviter une éventuelle incapacité de travail. Pour ce faire, nous comptons sur la bienveillance de l’employeur qui détecterait des signes avant-coureurs chez un collaborateur encore actif au sein de l’entreprise: baisse de l’humeur, irritabilité, changement de comportement, etc.
Au bout de quelques semaines d’arrêt maladie, l’assurance perte de gain ordonne une expertise psychiatrique externe pour juger de l’incapacité de travail. La personne en arrêt doit s’y soumettre sous peine de perdre ses indemnités. Ce plein pouvoir de l’assurance nourrit les critiques. Vous les comprenez?
Par votre affirmation, c’est davantage le système en général que vous visez, de mon point de vue. Dans les cas d’arrêt maladie, nous avons affaire au médecin de famille, dont l’objectif est de soigner son patient. Si ce dernier a besoin d’un arrêt maladie pour se remettre, le médecin le délivrera avec bienveillance. Dans le cas d’une expertise externe, le rôle du médecin expert est d’apprécier la notion d’exigibilité d’une reprise professionnelle dans l’activité habituelle ou dans une activité adaptée à l’état de santé. Le rôle et l’objectif ne sont pas les mêmes. L’expertise peut être utile lorsqu’elle est pratiquée avec impartialité et objectivité et il est crucial qu’elle soit déclenchée au moment opportun.
Mais comprenez-vous ces critiques?
Ce n’est pas à moi d’y répondre.
Selon vous, les convocations aux expertises externes interviennent trop tôt dans la convalescence?
Lorsqu’un arrêt médical perdure, le risque d’entrer dans la phase de chronicité existe et peut être une entrave évidente à la réinsertion professionnelle. Si l’expertise a lieu trop vite, elle peut générer énormément d’anxiété supplémentaire chez la personne concernée, qui doit prioritairement privilégier les soins. Dans ma fonction, j’estime percevoir dans une certaine mesure la réalité des personnes que je rencontre. Mon rôle ne consiste pas à déterminer le bon moment pour organiser une évaluation médicale. Cette décision appartient au service administratif. De mon côté, j’accompagne la personne concernée dans l’optique de la réinsertion professionnelle en considérant les différents éléments qui surviennent dans divers contextes durant le processus.
Quels sont vos liens avec les médecins?
J’aimerais collaborer davantage avec eux. Je prends de plus en plus l’initiative de les appeler pour aborder la thématique de la réinsertion professionnelle en toute quiétude sans mettre en péril le secret médical, en instaurant des mesures de coordination et en tenant compte de la temporalité. La nouvelle génération de médecins comprend relativement bien le rôle du Case Manager. C’est important de les impliquer et d’instaurer une relation bilatérale et réciproque. Je pense qu’il y a des préjugés des deux côtés. Les médecins continuent donc à s’ouvrir davantage au dialogue avec les assureurs, plus particulièrement au sujet de la réinsertion professionnelle. Je suis convaincu que nous avons quelque part des valeurs et objectifs communs.