«Une soudaine cassure», «un effondrement», «le trou noir». Toutes les victimes d’épuisement professionnel gardent à l’esprit le traumatisme du jour où la tête et le corps ont tiré la prise. Elles se souviennent de ce court-circuit brutal qui les a laissées brutalement dans un état de sidération. Hier encore, elles étaient les maillons forts de leur équipe, les piliers rassurants car hermétiques aux turpitudes d’un monde du travail de plus en plus complexe. Et puis ce fameux jour, le regard dans le miroir sociétal a radicalement changé.

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Les premiers mots réconfortants émaneront des collègues et de l’employeur. Ces «prenez soin de vous» sincères masquent pourtant la réalité des personnes touchées par un épuisement professionnel. Ces dernières, déboussolées dans un premier temps, ignorent en effet que leur chemin vers la guérison ne sera pas de tout repos. Dès le jour 1 de l’incapacité de travail, elles vont mettre le doigt, puis les deux pieds et enfin le corps tout entier dans un système de prise en charge parfois lourd et complexe, aux intérêts parfois divergents et qui révèle le pouvoir des assurances.

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Des outils concrets à portée de clic

Promotion Santé Suisse met gratuitement sur son site trois guides à la disposition des entreprises sur les manières d’aborder la santé en entreprise, y compris la santé mentale. Elle collabore notamment avec Movis, une entreprise de conseil social en entreprise. Des formations, comme ENSA, sensibilisent les collaborateurs aux problématiques de santé mentale. Il existe également le Job Stress Analysis, un questionnaire en ligne faisant office de baromètre au niveau de l’entreprise. Quant aux petites PME, elles peuvent consulter le site friendlyworkspace.ch, qui met tout un tas de documents et d’outils à leur disposition.

Détecter, agir et accompagner

Lorsqu’une personne est déjà en incapacité de travail, l’employeur peut annoncer la situation avec une détection précoce auprès de l’assurance invalidité. Celle-ci peut proposer des prestations d’accompagnement externe afin d’aménager un retour au travail dans de bonnes conditions. Mais pas que. Fin 2022, l’AI a lancé sa campagne Santé mentale en entreprise afin de proposer aux employeurs des outils simples d’application. Un guide téléchargeable (sme.aivd.ch) les forme à la détection des signes précoces d’épuisement, aux manières d’aborder un collaborateur qui ne va pas bien et sur la façon dont un manager peut mener son entretien face à un collègue qui montre des signes de détérioration de sa santé psychique. L’AI propose également quatre ateliers gratuits dans ses locaux par année, en collaboration avec SantéPsy et la Coraasp. Il existe également un podcast avec des interviews d’employeurs. Les assureurs maladie mènent aussi leur campagne de prévention et d’information, à l’instar d’Helsana et sa démarche baptisée «Vive la vie».

Un parcours qui peut s’avérer anxiogène et contre-productif durant lequel les victimes de burn-out peuvent se sentir dépossédées de leur propre convalescence et où les considérations économiques et professionnelles prennent le dessus sur la santé. Avec quelles conséquences sur la guérison et l’employabilité? Et, surtout, à quel prix? Nous avons voulu «autopsier» ces cas d’épuisement professionnel, en parcourant ce chemin d’une durée variable vers la guérison. Au fil des acteurs rencontrés en cours de route, il dévoile les instruments, les atouts, mais aussi les failles, les paradoxes et les dysfonctionnements de notre système de prise en charge.

Ce chemin illustre la relation parfois asymétrique et hiérarchique entre médecins généralistes, psychologues et psychiatres, assurances sociales et perte de gain. Il interroge surtout le pouvoir grandissant et l’influence des assurances dans la prise en charge et le suivi thérapeutique. Les employeurs mal outillés pour faire face aux cas de burn-out et les victimes d’épuisement sont parfois pris en tenailles d’un système de santé qui les dépasse. Quelles seraient donc les solutions pour favoriser un retour au travail dans les meilleures conditions tout en privilégiant les soins? Avec la décision, mi-mars, du parlement d’enterrer le libre choix du médecin en le confiant aux assureurs, le parcours déjà chaotique des victimes de burn-out risque de se transformer en chemin de croix.

Le burn-out vu par ceux qui l’ont vécu

Je dois faire le deuil de cette situation

Nadine Andrey*, ancienne fonctionnaire

Sur le papier, c’était un job de rêve. En novembre 2022, Nadine Andrey* décroche un poste de cadre à l’Etat de Vaud à temps partiel. Des conditions et un taux d’activité idéaux pour cette maman de 45 ans. «Dès mon entrée en fonction, c’est parti vite et fort, se souvient Nadine Andrey. Je constate que mes deux adjointes sont toutes les deux en absence longue durée.» Nadine Andrey démarre donc seule: «Les premiers mois sont très intenses. Je constate au fil des semaines un fort taux d’absentéisme des équipes.» Nadine serre les dents, malgré les premiers signes physiques d’épuisement. Un matin de janvier 2024, elle s’effondre chez son médecin et ne reviendra plus au travail. L’arrêt va durer plusieurs mois. A l’issue du premier mois, sa direction demande une détection précoce et une rencontre: «C’était trop tôt.» Puis c’est l’AI qui entre dans le jeu. Après un an d’arrêt et la fin de ses indemnités versées à 100%, elle décide de démissionner: «Je suis devenue cynique vis-à-vis du salariat. Je dois faire le deuil de cette situation.»

Une partie de mon cerveau s’était mise au régime minimum

Nadine Reichenthal, ex-employée chez Venturelab

Nadine Reichenthal est à l’image de sa carrière: hyperactive. En août 2010, elle est alors chargée de la communication et des programmes de Venturelab lorsque son mari tombe dans le coma à la suite d’une rupture d’anévrisme. Il décédera le 24 décembre. La commune de Saint-Sulpice, où ils vivent, n’organise pas d’enterrements pendant les Fêtes. Il aura lieu le 24 janvier. «Le lendemain, je décide d’aller travailler. En préparant une séance avec mon chef, je me mets à pleurer et il me conseille d’aller voir le médecin, puis je rentre chez moi. Vingt-quatre heures plus tard, je me retrouve comme paralysée dans mon lit. Heureusement, c’était le jour de la femme de ménage. Elle a appelé les secours.» A l’hôpital, Nadine Reichenthal passe une IRM: «Une partie de mon cerveau s’était mise au régime minimum.» Débute alors un arrêt maladie jusqu’en septembre 2011. Grâce à un employeur compréhensif et à l’accompagnement de psychologues et de neuropsychologues, Nadine Reichenthal remonte timidement la pente: «Je suis revenue de loin. Au début, je n’arrivais plus à calculer 1 + 1.» C’est une lettre de l’AI qui va de nouveau tout chambouler: «Elle arrive au pire moment. Son contenu est la chose qui m’a fait le plus souffrir.» Aujourd’hui, Nadine Reichenthal est fraîchement retraitée. Un cap délicat: «Plus grand-chose ne me motive. Je crains une dépression post-retraite. Mais comme je reconnais les signes, désormais, je fais attention.»

Si mon mari avait eu un cancer, cela aurait été plus facile

Baptiste Gold, juriste

Il y a de la pugnacité et de la vulnérabilité chez Baptiste Gold. Un paradoxe des sentiments qui traduit le long combat que le juriste mène avec son mari depuis septembre 2023 pour obtenir gain de cause face à l’assurance perte de gain. C’est à cette période que son mari, informaticien à l’Université de Genève et en burn-out, voit le non-renouvellement de son contrat à durée déterminée au 31 décembre. C’est d’ailleurs son cinquième CDD. «Dans le courant du mois de janvier, nous en avons informé le Groupe Mutuel, qui n’était pas au courant de la situation par l’ex-employeur, s’indigne Baptiste Gold. Quelques jours après, l’assureur nous rassure et nous informe qu’il convoquera une expertise en février.» Le verdict tombe un samedi d’avril: «Mon mari serait apte à reprendre le travail à plein temps. Groupe Mutuel coupe les indemnités. J’étais scandalisé, d’autant plus que nous n’avons pas eu accès au rapport d’expertise.» Débute alors une bataille juridique. Le couple engage l’avocat et conseiller d’Etat Mauro Poggia, consulte un nouveau médecin-conseil, révoque la levée du secret médical ainsi que le consentement à l’échange automatique d’informations avec l’assureur. En juillet 2024, Groupe Mutuel paie une partie des indemnités, mais souligne une aptitude au travail dès le mois de septembre. «Ils sont devins?» s’agace Baptiste Gold. Aujourd’hui, le couple est toujours en litige avec Groupe Mutuel. «J’en veux beaucoup à l’assureur, même si je n’en attends plus grand-chose. Si mon mari avait eu un cancer, cela aurait été plus facile.»

*Nom connu de la rédaction