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«Innovante et insouciante», l’économie suisse fait figure de cible idéale

Convoitées par des espions ou des informateurs peu scrupuleux, les entreprises doivent souvent s’organiser elles-mêmes pour assurer leur sécurité. Plus d’un tiers d’entre elles ont été visées, selon un rapport de l’Université de Berne.

Carré blancMehdi-Atmani

Julien Crevoisier,

Mehdi Atmani

espionnage
Imago

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La Suisse alimente un paradoxe. Son économie prospère, stable et en tête des innovations en fait une puissance économique et financière reconnue dans le monde entier. Parallèlement, son statut de petit pays religieusement neutre et libéral se traduit par l’absence d’une politique de sécurité économique et industrielle fiable. Ces spécificités rendent le pays particulièrement attractif et vulnérable à l’espionnage.

1. Un tissu de PME innovantes

«Le risque d’espionnage est très fort, car la Suisse possède des technologies et de l’innovation qui intéressent le reste du monde», dit Alexis Pfefferlé, fondateur du cabinet d’intelligence économique Heptagone, à Genève. Composé majoritairement de PME, le tissu économique suisse apparaît donc comme une cible de choix pour des personnes malintentionnées souhaitant s’emparer de secrets industriels ou de données confidentielles.» Selon une étude de l’Université de Berne, entre 15 et 35% des entreprises ont déjà été victimes d’espionnage économique. «Les grandes entreprises sont mieux préparées que les PME à cet égard. En général, elles réagissent trop tard, après avoir subi des dommages ou des expériences négatives», regrette Ueli Hostettler, professeur à l’Institut de droit pénal et de criminologie de l’Université de Berne et auteur de l’étude «Espionnage économique: rapport final à l’attention du Service de renseignement de la Confédération (SRC)», le dernier grand rapport sur la situation en Suisse.

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2. Un État peu protecteur

La culture politique suisse fait qu’il est relativement mal perçu qu’un service public protège les intérêts d’un groupe privé. «C’est une différence fondamentale avec les doctrines de grands Etats comme la France, où les services de renseignement s’activent notamment dans la protection des entreprises exportatrices, explique Alexis Pfefferlé. Par ailleurs, l’ordre judiciaire est assez clément (le Code pénal prévoit une peine maximale de 3 ans d’emprisonnement, ndlr) comparé à ce qu’on peut observer aux Etats-Unis, par exemple.» Maintenir l’Etat à l’écart des affaires privées au nom du libéralisme fait a priori partie de l’ADN de la Suisse, mais pourrait aussi devenir son talon d’Achille. «En matière d’espionnage, les entreprises investissent dans des mesures de défense courantes, mais ne parviennent pas à compenser entièrement leur vulnérabilité», observe le professeur Ueli Hostettler.

3. Cartographier les risques

Conséquence de cette couverture étatique parcimonieuse, les autorités n’ont parfois pas la visibilité nécessaire sur l’importance stratégique des entreprises qu’elles hébergent sur leur territoire. «L’une des premières mesures à prendre par l’Etat serait de procéder à cet inventaire», commente Alexis Pfefferlé. Une première étape dans l’élaboration d’un plan de protection des acteurs économiques stratégiques pour le fonctionnement du pays et sa compétitivité internationale. Pour Alexis Pfefferlé, cela permettrait aussi de mieux contrôler les acquisitions d’entreprises stratégiques ou de technologies de pointe par des groupes étrangers. «Ces mesures sont réputées anti-libérales, mais il faut rappeler qu’avec l’ouverture insouciante de l’économie suisse l’espionnage économique n’est même plus nécessaire pour une grande puissance étrangère. Il suffit de s’offrir ces technologies par voie légale.» Les pays voisins n’hésitent plus à employer cette méthode. L’Etat fédéral allemand a notamment bloqué la vente d’une filiale du groupe Volkswagen à un conglomérat chinois. De même, les Pays-Bas ont récemment édicté une loi d’urgence pour prendre le contrôle du fabricant de semi-conducteurs Nexperia, propriété d’un groupe chinois, afin d’éviter les risques de transfert de technologies critiques vers la Chine.

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4. Sensibiliser le personnel

Comme dans les cas de cyberattaques, les espions exploitent souvent l’insouciance humaine pour s’infiltrer. La bonne nouvelle, c’est que la simple sensibilisation des cadres et du personnel peut avoir un effet décisif pour prévenir les cas les plus bénins et compliquer la tâche des assaillants. «La prévention fait 90% du travail», dit Alexis Pfefferlé. «Les portes d’entrée les plus courantes sont les réseaux sociaux, où les profils des cadres et employés sont souvent mis en avant, parfois avec de précieuses informations sur les dernières avancées de l’entreprise.» Pour le spécialiste, un bon moyen de se prémunir contre l’espionnage est donc de diffuser le moins d’informations possible en source ouverte. «Certaines entreprises l’ont déjà bien compris. On peut prendre l’exemple de cette entreprise alémanique de la pharma qui a mis en place une procédure de reporting pour tout contact suspect via les réseaux sociaux.» Et de préciser que, dans ce milieu, la réalité rivalise souvent avec la fiction. «Le cas d’école, c’est une personne qui tente d’obtenir des informations en séduisant un cadre ou un ingénieur. Certains utilisent notamment des applications de rencontre pour y parvenir.»

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