Avec des investissements multipliés par dix en Suisse en quelques années, les cleantechs prennent leur envol. «L’urgence climatique actuelle a favorisé la prise de conscience de la société, constate Jordi Montserrat, responsable de Venturelab, programme de soutien aux start-up suisses. Aujourd’hui, ces start-up trouvent leurs marchés et leur clientèle, ce qui leur facilite l’accès aux investisseurs. En outre, la population est désormais prête à payer davantage pour des solutions non fossiles, moins polluantes, ce qui n’était absolument pas le cas il y a encore deux ou trois ans.»

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Les cleantechs s’inscrivent dans un mouvement plus global de la société de valorisation des démarches visant à protéger l’environnement. Environ 8% des start-up créées en 2021 sont actives dans ce secteur, ce qui représente près de 40 nouvelles sociétés sur le territoire, soit une croissance de 30% par rapport à 2017 et de 100% par rapport à 2011. «Nous constatons des pics de création de start-up après de grands événements tels que l’accident nucléaire de Fukushima en 2011 ou les Accords de Paris en 2015», relève Eric Plan, secrétaire général de CleantechAlps.

Une volonté transversale

Créée en 2010, la plateforme vise à rassembler les entreprises de la branche en Suisse occidentale, à positionner la région comme référence internationale et à promouvoir le domaine des cleantechs dans l’économie, auprès du public et des institutions politiques. Elle compte plus de 1000 entreprises membres. «La volonté d’utiliser les ressources de manière durable est transversale et touche tous les domaines de l’économie», poursuit Eric Plan. Les cleantechs ne concernent pas seulement les énergies renouvelables mais regroupent aussi les entreprises qui favorisent l’économie circulaire, l’efficience énergétique, la gestion de l’eau, la mobilité ou encore le «smart grid», c’est-à-dire la gestion optimisée des réseaux électriques.

Ces innovations impactent généralement différentes étapes de la chaîne de valeur. L’agritech, par exemple, repense l’agriculture et donc l’alimentation. Chez Venturelab, les start-up actives dans ce secteur représentent environ 15% des entreprises soutenues, «mais même celles qui ne sont pas spécifiquement dans les cleantechs cherchent désormais à intégrer une dimension environnementale à leur démarche», note Jordi Montserrat.

Les cleantechs emploient 207 000 personnes en Suisse, ce qui représente 5,5% de l'ensemble des travailleurs et 4,2% du PIB.

«La Suisse est à la pointe en matière d’efficience énergétique. Il reste néanmoins encore des filières à développer, à l’instar de l’hydrogène ou des agritechs. Les entreprises doivent comprendre qu’adopter les cleantechs n’est pas forcément coûteux; il faut juste voir au-delà du coût d’acquisition pour observer combien les frais d’exploitation diminuent avec une meilleure gestion des ressources. Il serait donc intéressant de repenser les modalités et les durées d’aide au financement», ajoute Eric Plan.

En 10ème position

En comparaison internationale, la Suisse se classe en dixième position, d’après le Global Cleantech Innovation Index de 2017. «En Suisse, les cleantechs ont comparativement longtemps souffert d’un manque d’investissements publics, souligne Jordi Montserrat. Les autres pays bénéficient également des fonds européens, ce qui manque gravement aux start-up suisses. On oublie trop souvent que, dans les accords universitaires européens, il y a aussi des programmes de financement. Accéder en direct à ce grand consortium de recherche et de soutien aux entreprises en démarrage serait un énorme avantage pour la Suisse.»


01- Réinventer la production et le stockage d’énergie

Govinda Upadhyay, CEO de SmartHelio, une start-up qui a développé une solution pour améliorer la productivité des installations solaires.

© www.sebastiencrettaz.com

Des réseaux électriques intelligents au développement des installations photovoltaïques ou encore le stockage d’énergie: le secteur énergétique concentre une part importante des efforts des entreprises suisses actives dans le secteur cleantech. L’entreprise neuchâteloise Solaxess, créée en 2015, s’est par exemple spécialisée dans la conception de modules solaires sans cellules ni connecteurs apparents. Proposés en blanc ou en n’importe quelle nuance de couleur, ces panneaux ont l’avantage de s’intégrer de manière plus harmonieuse aux bâtiments.

La distinction  Le procédé de Solaxess a notamment été récompensé lors des Green Solutions Awards tenus à l’occasion de la COP26 à Glasgow.

La start-up SmartHelio développe pour sa part une solution destinée à améliorer la productivité des installations photovoltaïques en combinant capteurs physiques et intelligence artificielle. «On construit beaucoup de parcs aujourd’hui, mais leur rendement est souvent déficient, notamment en raison de la maintenance requise, explique Maxine Cronier, responsable du business development chez SmartHelio. Notre solution permet de diagnostiquer et de prédire quand une centrale solaire est sous-performante et de fournir des conseils pour augmenter son rendement jusqu’à 10%. En utilisant l’analyse des données et le machine learning, notre logiciel réduit aussi les besoins en interventions manuelles de 80% par rapport aux solutions existantes.»

L’entreprise emploie 13 personnes, réparties entre la Suisse et l’Inde, et vient d’ouvrir un bureau aux Etats-Unis. Elle compte aujourd’hui une quarantaine de clients à travers le monde, notamment de grands groupes énergétiques.

Le Genevois Joris Vaucher s’intéresse lui aussi à la manière d’optimiser les installations photovoltaïques. Avec son associé Christophe Büchelin, il a fondé l’entreprise Lightswing Solar. L’objectif? Développer un système permettant d’installer des panneaux solaires bifaciaux verticaux, capables de résister au vent et aux intempéries tout en cohabitant harmonieusement avec les plantes installées sur les toits des immeubles.

«Il existe aujourd’hui un conflit d’usage entre végétation et photovoltaïque, indique le jeune entrepreneur. Celui-ci est amené à s’accentuer, car les autorités demandent toujours plus souvent de concilier les deux au sommet des bâtiments, dans le but de rafraîchir ces derniers et de favoriser la biodiversité.» Le directeur de Lightswing Solar précise que ce type d’installation permet aussi d’augmenter le rendement des cultures en optimisant la quantité de lumière reçue par le sol. «L’agrivoltaïque est un domaine qui présente un très grand potentiel en Suisse dans un avenir proche.»


02- Quand le réseau électrique devient intelligent

L’intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique représente donc un défi de taille, tout comme le contrôle de leur utilisation, problématique à laquelle répondent les solutions baptisées «smart grid». Mieux gérer la production et la consommation électrique des bâtiments grâce à l’intelligence artificielle, c’est le pari de Neolec, start-up de cinq employés basée à Pully (VD).

Le constat  «L’énergie produite par les panneaux photovoltaïques est souvent perdue car non utilisée et non stockée. Le réseau électrique n’a pas été dimensionné pour absorber de si grandes quantités d’électricité», explique Nia Youmby, fondateur de l’entreprise et ancien trader en énergie.

Bientôt installée sur un nouvel écoquartier de Delémont (JU), la technologie de Neolec permet de stocker l’énergie acquise par le solaire sous forme de chaleur dans le ballon d’eau chaude ou d’ajuster les périodes de chargement d’une batterie de stockage ou de recharge, notamment pour une voiture électrique. «Le but est d’éviter qu’une quantité trop importante de l’électricité produite soit redirigée vers le réseau du distributeur, qui la rachète souvent entre 8 et 9 centimes en région lémanique, un coût nettement moins élevé que son prix de vente, qui peut dépasser les 20 centimes.»

A Puidoux (VD), l’entreprise Depsys, fondée en 2012 et comptant environ 40 collaborateurs, a développé la solution de monitoring GridEye. Lancée en 2016, cette technologie vise à surveiller le réseau électrique et à en optimiser la distribution grâce à une collecte de données précises. «Aujourd’hui, les gestionnaires de réseau n’ont pas la possibilité de voir ce qui se passe en temps réel, explique Michael De Vivo, cofondateur et CEO de Depsys. Notre solution consiste à déployer des capteurs sur le terrain qui communiquent entre eux et analysent le réseau afin d’optimiser et de répartir les transferts énergétiques tout en maintenant la stabilité.» L’entreprise figure parmi les 100 pépites mondiales 2022 identifiées par l’organisation Global Cleantech.

Pour Michael De Vivo, les technologies d’optimisation sont indispensables. «La transition énergétique se traduira par une décentralisation de la production d’électricité et s’accompagnera d’une augmentation de la demande, notamment en raison de l’électrification du parc automobile. Or le réseau actuel n’a pas été conçu pour cela et se retrouve aujourd’hui déjà sous stress, ce qui risque de freiner considérablement la transition énergétique.» Près de 70% des distributeurs romands d’énergie, à l’instar de Romande Energie ou des Services industriels de Monthey, ainsi qu’une dizaine de leurs homologues en Europe et en Asie se sont déjà dotés de la technologie développée par Depsys.


03- Capter et recycler le CO2, une étape essentielle

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Christoph Gebald (à g.) et Jan Wurzbacher, les fondateurs de Climeworks, une start-up qui capte le CO2.

© Bloomberg

Le captage du dioxyde de carbone (CO2) est désormais considéré comme une étape essentielle – adossée à la transition énergétique – à l’accomplissement de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour la première fois, cette technique a été mentionnée par le GIEC, dans le dernier volet de son sixième rapport, publié en avril 2022.

En Suisse, l’entreprise zurichoise Climeworks s’est illustrée en 2017 en lançant la première installation de captage de CO2 du monde à Hinwil (ZH). Depuis, de nouvelles start-up actives dans ce secteur ont vu le jour en Suisse romande. Fondée à l’été 2021, la start-up valaisanne Qaptis lancera début 2023 le prototype d’un dispositif de captage et de stockage du CO2 pour camions semi-remorques. Après avoir levé près de 500 000 francs, la jeune entreprise, hébergée sur le campus d’Energypolis à Sion, qui cherche désormais à se financer via des actionnaires, développe une technologie capable de réduire de 90% les rejets de CO2 dans l’atmosphère sur ces véhicules.

Elle fonctionne en trois étapes: récupération de la chaleur du moteur, captage et stockage du CO2. «La chaleur récupérée est utilisée comme source d’énergie principale pour alimenter notre dispositif, explique Théodore Caby, CEO et cofondateur de Qaptis. Cette technologie inédite permettra non seulement de diminuer drastiquement les émissions de CO2 dans l’atmosphère mais surtout d’y parvenir sans consommer davantage de carburant et ainsi éviter des surcoûts pour les transporteurs.»

Développant le même type de technologie mais orientée sur les industries, la start-up genevoise WasteOlas, lancée en 2019 par quatre anciens étudiants de la Haute Ecole d’ingénierie de Fribourg, rejoints depuis par trois autres collaborateurs, propose une solution de captage des émissions de carbone avec la possibilité de réutiliser le CO2 piégé.

Le projet «Notre technologie, dont le prototype sera prêt à l’automne 2022 pour les premiers tests en conditions réelles, permettra de capter le CO2 à la source pour ensuite le revaloriser de différentes manières», explique Isaline Fracheboud, directrice des opérations chez WasteOlas.

Cette solution «sur mesure» laisse deux options aux émetteurs de carbone. «Ils peuvent soit revendre le CO2 à des utilisateurs, comme l’industrie pharmaceutique, soit le réinjecter dans leur propre procédé pour ne plus avoir à faire appel à des fournisseurs externes, ce qui concerne par exemple les fabricants de boissons gazeuses, les brasseries ou la culture sous serre. C’est notamment intéressant pour les brasseries, qui utilisent le CO2 tel quel dans leur procédé», explique la Genevoise. En somme, le recycler plutôt que de le relâcher dans l’atmosphère ou de le séquestrer sous terre, comme le fait Climeworks.

Chez Qaptis, l’idée d’appliquer le recyclage aux émissions des moteurs à combustion – comme ceux présents sur les voitures – séduit également. «A long terme, nous chercherons à coupler notre technologie avec celle des producteurs de carburant synthétique pour fabriquer du carburant à partir du CO2 capté, développe Théodore Caby. Les émissions seraient ensuite réinterceptées pour synthétiser le même carburant, ce qui reviendrait à fermer la boucle du CO2.»


04- Décarboner la mobilité, un défi de taille

Les poids lourds de Designwerk, basés sur des châssis Volvo ou Daimler, sont 100% électriques.

Selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), le transport routier est à l’origine de 32% des émissions de CO2 du pays, un chiffre qui monte à environ 42% si l’on y ajoute la part du transport aérien. Dans ce secteur très gourmand en énergie carbonée, les innovations ne se sont pas fait attendre. Dès 2008, l’entreprise zurichoise Designwerk développe des moteurs électriques pour poids lourds. La start-up de Winterthour sort son premier camion électrique en 2016.

Fondée en 2011, la start-up fribourgeoise Softcar, d’une trentaine d’employés, conçoit une technologie permettant de construire des véhicules à faible empreinte carbone et à bas coût. «Nous avons drastiquement réduit le nombre de pièces nécessaires à la construction d’un véhicule, de plusieurs dizaines de milliers à seulement 1800, et utilisons des polymères et des matériaux composites entièrement recyclables», explique le CEO, Jean-Luc Thuliez, ancien ingénieur chez Volkswagen et Smart, notamment, et CEO de Softcar.

Une fois chargé, le moteur peut parcourir 200 km, mais peut être équipé d’un prolongateur d’autonomie à gaz permettant d’effectuer 300 km supplémentaires. En phase test depuis deux ans, les premiers prototypes seront prêts fin 2022; s’ensuivront les premières ventes de licences, des précommandes ayant déjà été passées.

Le constat  «Une fois les licences vendues, des micro-centres de production locaux écologiques verront le jour», indique Jean-Luc Thuliez, CEO de Softcar.

Dans le domaine de l’aviation aussi, l’énergie verte commence à décoller. La start-up valaisanne H55, spin-off de Solar Impulse, est aujourd’hui à l’avant-garde de l’innovation en la matière: elle développe un système modulaire qui permet d’équiper plus facilement les appareils de batteries électriques.

A l’instar de Softcar, H55 ne communique pas ses chiffres financiers mais fait part d’une croissance vigoureuse. «Nous embauchons en moyenne trois nouveaux ingénieurs chaque mois, soutient André Borschberg, cofondateur et président de l’entreprise. Si bien que près de 60 ingénieurs travaillent sur notre site sédunois.» Après un premier vol test réussi en 2019 à Sion sur un petit avion biplace entièrement électrique, la technologie de H55 s’est aussi exportée en 2021 au Canada, pour la conception d’hydravions électriques par magniX, ou avec le constructeur de moteurs Pratt & Whitney Canada, qui cherche à développer une propulsion hybride pour avion court-courrier.

Alors, les avions 100% électriques, c’est pour bientôt? «Nous sommes en bonne voie pour équiper les aéroclubs de petits avions électriques servant à la formation des pilotes dès 2024, mais c’est un processus long, car les normes de sécurité sont extrêmement strictes», répond André Borschberg.


05- L’agriculture se met au vert

Thomas Verduyn et David Bollier, Légumes Perchés

David Bollier (à g.) et Thomas Verduyn ont créé Légumes Perchés, des potagers urbains installés sur les toits ou entre les immeubles.

© Blaise Kormann / L'illustré

Frédéric Hemmeler, fondateur et CEO d’Aero41, a développé un drone «Swiss made» pour la protection des cultures. La start-up née en 2019 et basée à Lausanne vient de clôturer une nouvelle levée de fonds de 700 000 francs. Elle vend une vingtaine de drones (environ 35 000 francs pièce) par année, et 80% de sa clientèle travaille la vigne en agriculture biologique. «La Suisse est le dernier pays d’Europe où l’épandage par hélicoptère est encore autorisé. C’est écologiquement problématique, puisque ces pulvérisations sont trop larges.» Ces surplus sont amplement diminués avec la précision inhérente aux drones.

Contrôlé par l’agriculteur, le drone à batterie électrique mémorise par «active learning» les spécificités de la parcelle et travaille de manière autonome. «Les exploitations agricoles sont aujourd’hui reprises par la nouvelle génération, plus ouverte aux nouvelles technologies et aux considérations écologiques.» Le marché des robots agricoles devrait d’ailleurs continuer de croître de manière exponentielle entre 2015 et 2024, passant de 3 à 73 milliards de dollars, selon le bureau d’études américain Tractica.

Autre initiative, xFarm, basée au Tessin, est une plateforme d’agriculture numérique. Elle facilite la collecte et l’analyse de données concernant l’agriculture, de l’administratif à la traçabilité des produits. Infrascreen, établie à Neuchâtel, a quant à elle développé une technologie qui permet de chauffer les serres de façon plus efficiente, tout en permettant le passage de la lumière indispensable à la photosynthèse.

L’avis  «La technologie n’est pas le seul avenir de l’agriculture, soutient Thomas Verduyn, cofondateur et directeur de Légumes Perchés. Les Suisses ont besoin de revenir à un maraîchage à leur échelle, sans gaspillage alimentaire, avant d’adopter une alimentation futuriste.»

Légumes Perchés, lauréate du Prix SUD 2020, construit des fermes et potagers urbains et aspire à «réduire le fossé entre la production et la consommation». La start-up de Crissier (VD) dénombre une vingtaine de structures installées en Suisse romande, dont 50% sont installées sur les toits, les autres entre les immeubles. Avec le bureau d’études en agriculture urbaine qu’elle vient d’inaugurer, l’entreprise s’associe désormais aux architectes pour développer, dès le début du projet, un concept en agriculture urbaine adapté aux usages et pérenne.

L’entreprise compte six membres et a également collaboré avec Insolight, start-up vaudoise de panneaux solaires translucides. «Nos principaux concurrents pour les toits en ville sont les panneaux photovoltaïques. En nous associant, nous pouvons lier l’agriculture et l’énergie, et ainsi optimiser les espaces disponibles.»


06- Revoir la construction à l’heure de l’efficience

L’entreprise Terrabloc (ici son cofondateur Rodrigo Fernandez) utilise de la terre excavée sur les chantiers pour construire des écoles ou des immeubles.

© ©Stéphanie Liphardt

Optimiser les dépenses énergétiques de chaque bâtiment, c’est le credo de la start-up genevoise E-nno, fondée par l’ingénieur Maël Perret. Ses algorithmes visent à réduire l’empreinte carbone des bâtiments existants ou neufs. Un boîtier «récolte différentes données, qui sont ensuite analysées par nos algorithmes dans le but de réaliser jusqu’à 30% d’économies annuelles de chauffage et d’eau chaude.»

L’entreprise de neuf employés optimise aujourd’hui plus de 1 million de mètres carrés de bâtiments en Suisse, avec à la clé une réduction de leur impact environnemental équivalent à 2500 tonnes de CO2 en 2022. «Jusqu’ici, la numérisation du secteur immobilier a principalement concerné les activités de vente et de courtage. Mais la hausse des coûts de l’énergie et la pression législative augmentent l’attrait pour notre approche, unique en Suisse.»

Conception de villes intelligentes, amélioration de l’efficience énergétique, études environnementales ou de mobilité: la start-up de l’EPFL Uzufly permet de traiter différentes problématiques cleantech avec sa solution de modélisations 3D ultra-détaillées réalisées à partir d’images aériennes 2D.

La valeur ajoutée  «Aujourd’hui, notre technologie sert en premier lieu à l’aide à la décision ou à la communication, par exemple de la part des autorités envers leurs administrés», précise Romain Kirchhoff, fondateur d’Uzufly.

Pour l’entreprise lausannoise, «notre vision à plus long terme est de fournir une sorte de «Google Earth sous stéroïdes», cinq à dix fois plus précis, capable de modéliser des villes entières, que ce soit pour aider les architectes à planifier leur développement urbain ou pour mieux visualiser le potentiel solaire d’un quartier».

Voilà des millénaires que la terre constitue un matériau employé pour la construction. L’architecte Laurent de Wurstemberger et l’ingénieur EPFL Rodrigo Fernandez ont voulu lui redonner ses lettres de noblesse, tout en favorisant l’économie circulaire. Leur entreprise Terrabloc utilise ainsi la terre excavée sur des chantiers pour fabriquer des briques. Pour y parvenir, la start-up procède en premier lieu à l’analyse des propriétés de la terre récoltée. Celle-ci est ensuite concassée, mélangée, puis compressée sous forme de briques de différentes tailles, et plus récemment de cloisons. 


Un secteur porteur pour les investissements?

Plus de 500 milliards de francs de capital-risque ont été injectés dans le secteur cleantech au niveau mondial en 2020, selon une étude récente de BloombergNEF. Les investissements dans ce segment ont ainsi été multipliés par 25 au cours des vingt dernières années.

Mais qu’en est-il des start-up cleantech évoluant en Suisse? «C’est le plus souvent la maturité d’un projet qui déclenche une réponse positive du marché; les investisseurs demeurent souvent frileux face à des projets trop «early stage», remarque Cyril Déléaval, coach en développement d’entreprise au sein de l’association Genilem. Avec la difficulté posée par la petite taille du marché suisse, qui présente donc des débouchés limités.

L’expert souligne que les jeunes pousses technologiques possèdent souvent des compétences techniques considérables, mais se montrent moins habiles en termes de marketing ou de vente. D’où l’importance d’associer différentes compétences au sein de l’équipe des fondateurs. «S’y ajoute par ailleurs une difficulté: dans certains segments, comme l’immobilier, les temps de décision peuvent être longs.»

Ainsi, les premières ventes réalisées ne vont souvent pas amener la croissance espérée. «Nous disons cependant qu’il vaut mieux apporter une grande valeur ajoutée à peu de personnes, pour ensuite adapter ou revoir le proof of concept (POC) initial.» Il cite l’exemple de la start-up vaudoise Wegaw: sa solution d’intelligence artificielle servant à détecter les conditions d’enneigement a été revue pour désormais servir à optimiser la production d’énergies renouvelables. Encore faut-il savoir surmonter cette phase exploratoire.

Trouver des débouchés pour les start-up cleantech au niveau des PME suisses et européennes, qui ont besoin de technologies pour réaliser leur transition écologique, c’est l’ambition de Raphaël Herrera et Daniel Eskenazi. Les deux entrepreneurs genevois sont en train de lancer GoEko, une plateforme en ligne destinée à identifier les meilleurs leads pour les jeunes pousses suisses.


«La prise de conscience de l’importance de l’eau est croissante»

L’avis de David Avery, directeur cleantech chez Switzerland Global Enterprise

David Avery

Les tendances «De nombreuses régions, comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie, cherchent à éviter la mise à la décharge des déchets. La prise de conscience croissante de l’importance de l’eau en tant que ressource constitue également une tendance majeure qui attire notamment le Canada, les Etats-Unis, l’Inde ou encore le Royaume-Uni, par exemple pour le traitement de l’eau douce et des eaux usées. Nous avons aussi constaté récemment un fort intérêt pour l’Amérique latine, les entreprises étant à la recherche de nouveaux marchés. En outre, l’évolution vers des villes intelligentes alimente le besoin de capteurs, d’appareils connectés et de technologies permettant de collecter et de traiter les données nécessaires à la prise de décisions.»

Les secteurs clés «Les domaines de l’eau et des déchets, ainsi que les capteurs, qui peuvent avoir des applications dans de multiples secteurs. L’énergie et les mesures d’efficacité énergétique, par exemple pour des bâtiments efficaces, sont également reconnues et appréciées.»

Les atouts des PME suisses «Le haut niveau technologique, la qualité et la fiabilité des solutions proposées, l’expérience éprouvée sur de multiples marchés ajoutent à l’attrait des solutions suisses. Les entreprises suisses doivent continuer à concentrer leurs efforts et à investir dans les marchés en adaptant leur approche aux conditions des pays étrangers.»


«Les cleantechs peuvent aider à réduire le superflu»

Pierre Roduit dirige l’institut Energie et environnement créé il y a trois ans par la HES-SO Valais. L’organisation emploie 80 personnes actives dans la recherche et le développement de solutions pour la production, la gestion et le stockage d’énergies renouvelables.

Pierre Roduit

Comment agir pour réduire les gaz à effet de serre en Suisse?

Pierre Roduit: La transition énergétique ne repose pas uniquement sur des solutions technologiques, elles doivent aussi être économiquement viables et socialement acceptables. Agir concrètement sur la transition réclame des compétences techniques, digitales, économiques et sociales que l’institut Energie et environnement regroupe. A l’échelle individuelle, il faut se demander où nous avons le plus d’impact sur l’environnement et réfléchir à ce qui nous importe vraiment. L’idée n’est pas de revenir au Moyen Age et de sacrifier tout notre confort, mais d’identifier dans notre mode de vie les éléments superflus.

Quels sont les domaines clés où l’efficience énergétique peut être améliorée?

Les bâtiments et la mobilité sont particulièrement impactants. La rénovation et l’isolation des bâtiments ainsi que l’installation de panneaux solaires garantissent un gain énergétique important qui permet, avec le remplacement des installations de chauffage par des solutions renouvelables (bois, pompes à chaleur), de réduire considérablement la consommation de gaz et de mazout. De même, l’électrification de la mobilité permet d’économiser deux tiers de l’énergie requise. Cependant, plus de la moitié des émissions de CO2 dont est responsable le pays sont produites à l’étranger. Il est donc nécessaire de tenir compte de l’impact de tous les biens que nous importons qui sont notre principale source d’émissions de CO2. Il faut réduire les achats futiles et se diriger vers une consommation plus locale.

Les entreprises actives dans la cleantech peuvent-elles directement contribuer à réduire la consommation d’énergie?

Les cleantechs jouent un rôle crucial pour nous aider à baisser notre consommation et à réduire nos émissions de CO2. Les véhicules électriques et les panneaux solaires en sont des exemples emblématiques. Cependant, les avantages que peuvent apporter certaines cleantechs doivent être considérés avec prudence. Leur participation à la transition est étroitement liée aux solutions proposées. Ce n’est pas une bonne idée de reprendre l’avion sans retenue sous prétexte qu’il est propulsé par du biocarburant, surtout si son usage détruit des écosystèmes et sature des productions agricoles essentielles… Il est donc crucial d’avoir des cleantechs qui offrent de vraies solutions. La Suisse est bien positionnée, avec des entreprises plutôt spécialisées dans des domaines pointus, pour rester compétitive par rapport à l’international.

Qu’est-ce qui pourrait dynamiser encore davantage la transition énergétique?

Au niveau des technologies, de nombreuses solutions sont déjà disponibles. La clé consiste à leur donner une place dans notre quotidien. Je pense que la population est particulièrement disposée à mettre en place des changements favorables à la transition. Les gens vont même plus vite que les gouvernements! Il faudrait davantage de rapidité au niveau politique, mais la transition énergétique ne se fera que si chacun d’entre nous y contribue activement.